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28/07/2017 | FRANCE | N°403445

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 juillet 2017, 403445


Vu la procédure suivante :

L'association Promouvoir et l'association Pour la dignité humaine ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'interdire la représentation des films " Nymphomaniac " volumes 1 et 2, dans leur version longue, et a décidé de ne pas prescrire aux distributeurs la mise en conformité des DVD en cause avec les exigences des articles 32 et suivants de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la protection des mineurs. Par un jugement n° 1503175/5-1 du 14 janvier 2016,

le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Ces associati...

Vu la procédure suivante :

L'association Promouvoir et l'association Pour la dignité humaine ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'interdire la représentation des films " Nymphomaniac " volumes 1 et 2, dans leur version longue, et a décidé de ne pas prescrire aux distributeurs la mise en conformité des DVD en cause avec les exigences des articles 32 et suivants de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la protection des mineurs. Par un jugement n° 1503175/5-1 du 14 janvier 2016, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Ces associations ont également demandé au tribunal administratif de Paris de déclarer inexistants, ou à défaut d'annuler, les deux visas accordés, le 9 mars 2015, par le ministre de la culture et de la communication aux versions longues des films " Nymphomaniac " volumes 1 et 2 et d'annuler la décision par laquelle ce ministre a refusé de procéder au retrait du visa accordé, le 9 mars 2015, au film " Nymphomaniac ", volume 2, dans sa version longue. Par un jugement n° 1504253-1504998/5-1 du 14 janvier 2016, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16PA00287 du 12 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir joint les appels formés par l'association Promouvoir et l'association Pour la dignité humaine contre ces jugements, a annulé le visa d'exploitation délivré le 9 mars 2015 par le ministre de la culture et de la communication au film " Nymphomaniac ", volume 1, dans sa version longue, annulé dans cette mesure le second jugement attaqué, et, par son article 4, rejeté le surplus de leurs conclusions d'appel.

1° Sous le numéro 403445, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 septembre et 12 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la culture et de la communication demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui fait grief ;

2°) réglant, dans cette mesure, l'affaire au fond, de rejeter l'appel des associations requérantes.

2° Sous le numéro 403500, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 septembre et 14 décembre 2016, l'association Promouvoir et l'association Pour la dignité humaine demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 4 de cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du ministre de la culture, à la SCP Gaschignard, avocat de l'association promouvoir et de l'association pour la dignité humaine et à la SCP Gaschignard, avocat de l'association Pour La Dignité Humaine ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois du ministre de la culture et de la communication et de l'association Promouvoir et de l'association Pour la dignité humaine sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 9 mars 2015, le ministre de la culture et de la communication a accordé aux films intitulés " Nymphomaniac ", volumes 1 et 2, dans leur version longue, deux visas d'exploitation comportant une restriction interdisant la représentation publique de ces films respectivement aux mineurs de seize ans et de dix-huit ans. L'association Promouvoir et l'association Pour la dignité humaine ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir, ces visas, ainsi que la décision par laquelle le ministre de la culture et de la communication a refusé de procéder au retrait du visa accordé au film " Nymphomaniac ", volume 2, dans sa version longue. Par un jugement du 14 janvier 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande. Le ministre de la culture et de la communication se pourvoit contre l'arrêt du 12 juillet 2016, en tant que la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit, dans cette seule mesure, à l'appel des associations requérantes, a annulé le visa d'exploitation qu'il avait délivré au film " Nymphomaniac ", volume 1, dans sa version longue. Les associations requérantes se pourvoient contre le même arrêt, en tant que la cour a refusé d'annuler le refus du ministre de retirer le visa accordé au film " Nymphomaniac ", volume 2, dans sa version longue.

Sur le pourvoi du ministre de la culture et de la communication :

3. L'article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animée dispose que : " La représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivré par le ministre chargé de la culture. / Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine (...) ". L'article L. 311-2 du même code prévoit que le ministre chargé de la culture établit, lors de la délivrance du visa d'exploitation cinématographique, une liste des oeuvres et documents cinématographiques ou audiovisuels " à caractère pornographique ou d'incitation à la à la violence " auxquels s'appliquent les règles spécifiques définies à cet article. Aux termes de l'article R. 211-10 du code du cinéma et de l'image animée : " Le ministre chargé de la culture délivre le visa d'exploitation cinématographique aux oeuvres ou documents cinématographiques ou audiovisuels destinés à une représentation cinématographique, après avis de la commission de classification des oeuvres cinématographiques ou au vu du rapport, visé par le président de cette commission, du comité de classification (...) ". Aux termes de l'article R. 211-12 du même code, dans sa version applicable au litige : " Le visa d'exploitation cinématographique s'accompagne de l'une des mesures de classification suivantes : / 1° Autorisation de la représentation pour tous publics ; / 2° Interdiction de la représentation aux mineurs de douze ans ; 3° Interdiction de la représentation aux mineurs de seize ans ; / 4° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans sans inscription sur la liste prévue à l'article L. 311-2, lorsque l'oeuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription ; / 5° Interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription de l'oeuvre ou du document sur la liste prévue à l'article L. 311-2 ".

4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le ministre chargé de la culture est investi d'un pouvoir de police spéciale fondée sur les nécessités de la protection de l'enfance et de la jeunesse et du respect de la dignité humaine. A ce titre, il lui appartient d'apprécier s'il y a lieu d'assortir la délivrance du visa d'exploitation d'une oeuvre cinématographique de l'une des restrictions prévues par les dispositions citées au point précédent. Le caractère pornographique et d'incitation à la violence d'une oeuvre cinématographique conduit à ce que la délivrance du visa d'exploitation soit accompagnée d'une interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans avec inscription sur la liste désormais prévue à l'article L. 311-2 du code du cinéma et de l'image animée. Néanmoins, alors même qu'elle comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence, le ministre chargé de la culture peut légalement, s'il estime que la manière dont cette oeuvre est filmée et la nature du thème traité ne justifient pas une telle inscription, limiter la restriction dont est assorti le visa d'exploitation à la seule interdiction de la représentation aux mineurs de dix-huit ans.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris a notamment relevé que le film " Nymphomaniac ", volume 1, dans sa version longue, comportait, d'une part, de nombreuses scènes présentant, sans aucune dissimulation des pratiques à caractère sexuel, d'autre part, que ces scènes étaient filmées en gros plan et de manière parfaitement réaliste. En déduisant de ces constatations suffisamment motivées que le visa de ce film aurait dû être assorti d'une restriction interdisant sa représentation publique aux mineurs de dix-huit ans, et en annulant pour ce motif le visa d'exploitation délivré le 9 mars 2015 par le ministre de la culture et de la communication qui n'interdisait sa représentation publique qu'aux seuls mineurs de seize ans, la cour n'a pas, contrairement à ce que soutient le ministre, entaché son arrêt d'erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la culture et de la communication n'est pas fondé à demander l'annulation partielle de l'arrêt attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à l'association Promouvoir et à l'association Pour la dignité humaine, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur le pourvoi de l'association Promouvoir et de l'association Pour la dignité humaine :

7. L'article R. 211-11 du code du cinéma et de l'image animée dispose : " Le visa d'exploitation cinématographique vaut autorisation de représentation publique des oeuvres ou documents sur tout le territoire de la France métropolitaine et des départements et régions d'outre-mer. / Le refus de visa d'exploitation cinématographique vaut interdiction de représentation cinématographique des oeuvres ou documents ". Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 211-10 du même code : " Le ministre chargé de la culture peut retirer le visa d'exploitation cinématographique en cas d'inobservation des dispositions du présent chapitre et notamment en cas de production, à l'appui de la demande de visa, de fausses déclarations ou de faux renseignements ". Aux termes de l'article R. 211-17 de ce code, dont les dispositions ne concernent que la représentation cinématographique d'une oeuvre : " L'oeuvre ou le document pour lequel un visa d'exploitation cinématographique a été délivré est représenté dans la forme où il a été présenté et visionné en vue de cette délivrance. L'oeuvre ou le document pour lequel un visa d'exploitation cinématographique a été délivré, à l'exception des bandes-annonces, des oeuvres cinématographiques à caractère publicitaire et des oeuvres ou documents servant une grande cause nationale ou d'intérêt général, est représenté avec l'indication du numéro du visa ". Aux termes de son article R. 211-22 : " Lorsqu'une oeuvre ou un document dont le visa d'exploitation cinématographique comporte une interdiction particulière de représentation fait l'objet d'une édition sous forme de vidéogramme destiné à l'usage privé du public, mention en est faite de façon claire, intelligible et apparente sur chacun des exemplaires édités et proposés à la location ou à la vente, ainsi que sur leur emballage ". La méconnaissance de cette dernière obligation est, en vertu de l'article R. 432-1 du même code, punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe. Il résulte de ces dispositions que la faculté ouverte au ministre chargé de la culture, sur le fondement de l'article R. 211-10, de retirer un visa d'exploitation cinématographique lorsque sont méconnues les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de cet acte individuel créateur de droits, relève du pouvoir de police spéciale dont il est investi. Dès lors, une telle décision ne saurait être fondée que sur l'inobservation des obligations attachées à la délivrance du visa d'exploitation ainsi qu'à la représentation cinématographique publique du film y afférent. En revanche, la méconnaissance des dispositions de ce chapitre encadrant la mise à disposition ultérieure du film sous d'autres supports, laquelle n'est pas subordonnée à la délivrance d'un tel visa, n'est pas de nature à justifier le retrait de ce dernier.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les associations requérantes ont demandé au ministre de la culture et de la communication de faire usage du pouvoir qu'il tire du dernier alinéa de l'article R. 211-10 du code du cinéma et de l'image animée pour retirer le visa accordé au film " Nymphomaniac ", volume 2, dans sa version longue, au motif que l'édition de ce film sous forme de vidéogramme destiné à l'usage privé du public méconnaissait les dispositions des articles R. 211-17 et R. 211-22 de ce code. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée des écritures des requérantes, n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant que de tels manquements n'étaient pas de ceux susceptibles de fonder légalement le retrait du visa litigieux.

9. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent partiellement. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi du ministre de la culture et de la communication et le pourvoi de l'association Promouvoir et de l'association Pour la dignité humaine sont rejetés.

Article 2 : L'Etat versera à l'association Promouvoir et à l'association Pour la dignité humaine la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la culture, à l'association Promouvoir et à l'association Pour la dignité humaine.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 403445
Date de la décision : 28/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

09-05-01 ARTS ET LETTRES. CINÉMA. - MÉCONNAISSANCE DE L'OBLIGATION DE MENTIONNER SUR LES VIDÉOGRAMMES DESTINÉS À L'USAGE PRIVÉ DU PUBLIC L'INTERDICTION PARTICULIÈRE DE REPRÉSENTATION DONT EST LE CAS ÉCHÉANT ASSORTI LE VISA D'EXPLOITATION DE L'OEUVRE REPRODUITE (ART. R. 211-22 DU CODE DU CINÉMA ET DE L'IMAGE ANIMÉE) - POSSIBILITÉ POUR LE MINISTRE CHARGÉ DE LA CULTURE DE RETIRER CE VISA D'EXPLOITATION (ART. R. 211-10 DU CODE DU CINÉMA ET DE L'IMAGE ANIMÉE) - ABSENCE.

09-05-01 La méconnaissance de l'obligation prévue à l'article R. 211-22 du code du cinéma et de l'image animée, selon lequel, lorsqu'une oeuvre ou un document dont le visa d'exploitation cinématographique comporte une interdiction particulière de représentation fait l'objet d'une édition sous forme de vidéogramme destiné à l'usage privé du public, mention en est faite de façon claire, intelligible et apparente sur chacun des exemplaires édités et proposés à la location ou à la vente, ainsi que sur leur emballage, est, en vertu de l'article R. 432-1 du même code, punie de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe.... ,,La faculté ouverte au ministre chargé de la culture, sur le fondement de l'article R. 211-10, de retirer un visa d'exploitation cinématographique lorsque sont méconnues les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de cet acte individuel créateur de droits relève du pouvoir de police spéciale dont il est investi. Dès lors, une telle décision ne saurait être fondée que sur l'inobservation des obligations attachées à la délivrance du visa d'exploitation ainsi qu'à la représentation cinématographique publique du film y afférent. En revanche, la méconnaissance des dispositions encadrant la mise à disposition ultérieure du film sous d'autres supports, laquelle n'est pas subordonnée à la délivrance d'un tel visa, n'est pas de nature à justifier le retrait de ce dernier.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2017, n° 403445
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Villette
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:403445.20170728
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