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28/07/2017 | FRANCE | N°406639

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 juillet 2017, 406639


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pacific Mobile Télécom demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la " loi du pays " n° 2016-41 LP/APF du 6 décembre 2016 portant modification de la fiscalité spécifique aux télécommunications ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constituti

on, notamment son Préambule et son article 74 ;

- la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;

- l...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pacific Mobile Télécom demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la " loi du pays " n° 2016-41 LP/APF du 6 décembre 2016 portant modification de la fiscalité spécifique aux télécommunications ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;

- la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code des postes et télécommunications de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Présidence de la Polynésie française ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article 180-2 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, les actes dénommés " lois du pays " relatifs aux impôts et taxes sont publiés au Journal officiel de la Polynésie française et promulgués par le président de la Polynésie française au plus tard le lendemain de leur adoption. Sur le fondement des dispositions combinées de l'article 180-1 et du II de l'article 180-3 de la même loi, ces actes peuvent faire l'objet, dans le délai d'un mois suivant la publication de leur acte de promulgation, d'un recours devant le Conseil d'Etat exercé par les personnes physiques ou morales justifiant d'un intérêt à agir. En application des dispositions de l'article 180-4 de cette loi, le Conseil d'Etat se prononce alors dans un délai de trois mois à compter de sa saisine et annule toute disposition de ces actes contraire à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit.

2. Le 6 décembre 2016, l'assemblée de la Polynésie française a adopté la proposition de " loi du pays " n° 2016-41 portant modification de la fiscalité spécifique aux télécommunications. Cette " loi du pays " a été promulguée et publiée au Journal officiel de la Polynésie française le jour de son adoption. La société Pacific Mobile Télécom en demande l'annulation, dans le cadre du contrôle juridictionnel prévu par les dispositions mentionnées plus haut des articles 180-1 et suivants de la loi organique du 27 février 2004.

Sur la légalité externe de la " loi du pays " attaquée :

3. Si la société requérante soulève un moyen tiré du caractère insuffisant du rapport de présentation de la " loi du pays " attaquée, le contenu de ce dernier, qui n'est pas tel qu'il doive être regardé comme inexistant, est sans incidence sur la régularité de la procédure ayant conduit à son adoption.

Sur la légalité interne de la " loi du pays " attaquée :

En ce qui concerne la taxe annuelle sur les abonnements et services de télécommunications :

4. La " loi du pays " attaquée institue une taxe annuelle sur les abonnements et services de télécommunications due par tout opérateur de télécommunications qui fournit un service de télécommunications en Polynésie française. Ainsi l'article LP. 339-21 du code des impôts de Polynésie française précise que : " La taxe est assise sur le montant total, hors taxe sur la valeur ajoutée, du chiffre d'affaires afférent aux abonnements et autres offres de services proposés par les opérateurs de télécommunications, réalisé au cours de l'année civile précédant l'année d'imposition./ Sont exclues de l'assiette les sommes acquittées par les opérateurs au titre de l'interconnexion et des services de base du service public ". Selon l'article LP. 339-25 : " La taxe est entièrement à la charge des entreprises redevables et ne peut être répercutée de quelque manière que ce soit sur le prix payé par la clientèle ".

5. La circonstance que les opérateurs de télécommunications sont redevables à la fois de l'impôt sur les sociétés et de la taxe annuelle sur les abonnements et services de télécommunications n'est pas constitutive d'une double imposition, dès lors que la taxe annuelle sur les abonnements et services assise sur le chiffre d'affaire n'a pas la même assiette que l'impôt sur les sociétés assis sur les bénéfices. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions créant cette nouvelle taxe portent atteinte au principe d'égalité devant l'impôt doit, en tout état de cause, être écarté.

6. En outre, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des dispositions fiscales différentes s'appliquent à des activités professionnelles différentes. Les opérateurs de télécommunications qui fournissent un service en Polynésie française présentent, en raison de leur domaine d'activité et de leur statut, des caractéristiques qui les différencient des autres entreprises industrielles, commerciales ou agricoles. Par suite la " loi du pays " attaquée instaure une différence de traitement avec ces dernières qui ne méconnaît pas le principe d'égalité.

7. Enfin le principe d'égalité n'impose pas de traiter de manière différente des personnes placées dans des situations différentes. Le moyen tiré de ce qu'en excluant de l'assiette de la taxe les sommes acquittées par les opérateurs au titre de l'interconnexion et des services de base du service public, et en interdisant de répercuter le montant de cette taxe sur le prix payé par leur clientèle, la " loi du pays " attaquée méconnaîtrait le principe d'égalité en favorisant l'opérateur historique au détriment des nouveaux entrants sur le marché des télécommunications en Polynésie française, ne peut qu'être écarté.

8. La société requérante soutient par ailleurs que la " loi du pays " attaquée, en interdisant de répercuter le montant de cette taxe sur les prix, porte atteinte à la liberté d'entreprendre. Il résulte des articles 13, 14, 102 et 140 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 que la Polynésie française exerce la compétence fiscale, s'agissant des impositions instituées au profit de cette collectivité ou, dans les cas prévus par la loi organique, au profit d'autres collectivités de la Polynésie française. Il est également loisible à l'assemblée de la Polynésie française, en vertu des mêmes dispositions, de restreindre les conditions de fixation des prix sur un marché. Toutefois, l'atteinte qu'elle porte ainsi à la liberté d'entreprendre implique qu'elle n'apporte pas aux activités de production, de distribution ou de services des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

9. En l'espèce, les dispositions de l'article LP. 339-25 du code des impôts de Polynésie française, qui se bornent à traduire l'objectif de la Polynésie française d'éviter que le montant de la taxe ne soit supporté par le consommateur, n'ont pas pour objet ni pour effet d'entraîner un blocage des prix mais se bornent à faire supporter le montant de cette taxe aux entreprises assujetties. Dès lors, elles ne portent pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

En ce qui concerne l'imposition forfaitaire sur les stations radioélectriques en Polynésie française :

10. La " loi du pays " attaquée institue également une imposition forfaitaire sur les stations radioélectriques en Polynésie française due annuellement par les entreprises de réseau disposant de stations radioélectriques. L'article LP. 339-31 du code des impôts de Polynésie française définit la station radioélectrique comme " un ensemble d'émetteurs ou de récepteurs, d'antennes et d'auxiliaires permettant d'assurer un service de radiocommunication en un emplacement donné ". L'article LP. 339-32 assujettit à cette taxe toute personne qui dispose pour les besoins de son activité professionnelle des stations radioélectriques au 1er janvier de l'année d'imposition. L'article LP. 339-33 renvoie à un arrêté pris en conseil des ministres le soin de fixer " dans le respect de la définition prévue à l'article LP. 339-31 " les modalités de décompte des stations électriques lorsque la personne dispose en un même emplacement de plusieurs émetteurs/récepteurs de fréquence identique pour des réseaux distincts, de plusieurs stations appartenant à des réseaux différents ou d'une station fournissant un service de communications électroniques ainsi que d'émetteurs/récepteurs destinés au transport des communications électroniques de la station GSM. Son dernier alinéa précise que la répartition du montant de l'imposition forfaitaire s'effectue lors du dépôt de la déclaration prévue à l'article LP. 339-35, par part égale entre chaque opérateur, indépendamment du niveau d'utilisation par chacun d'eux de la station radioélectrique concernée. Enfin, l'article LP. 339-4 fixe le montant de l'imposition forfaitaire et l'article LP. 339-35 les modalités de déclaration.

11. Ce faisant le législateur du pays a défini en des termes dépourvus d'ambiguïté et suffisamment précis l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement de l'imposition forfaitaire sur les stations radioélectriques en Polynésie française, ne renvoyant à un arrêté pris par le conseil des ministres, compétent en application de l'article 89 de la loi organique susmentionnée, que le soin de fixer, dans le respect de la définition qu'il a posée à l'article L. 339-31 du code des impôts, les modalités de décompte des stations électriques lorsque la personne dispose en un même emplacement de plusieurs installations. Par suite, le moyen tiré de ce que la " loi du pays " attaquée serait entachée sur ce point d'incompétence négative doit être écarté.

12. Si la société requérante soutient que la circonstance que l'imposition forfaitaire soit appliquée de manière identique à toutes les entreprises de réseaux crée une rupture d'égalité entre les différents agents économiques selon la technologie qu'ils utilisent et le degré de développement de leur réseau, elle n'apporte au soutien de ce moyen aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il ne peut dès lors, en tout état de cause, qu'être écarté.

13. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de présentation de la " loi du pays " attaquée, que celle-ci en instituant l'imposition forfaitaire contestée vise à encourager la mutualisation des infrastructures nécessaires aux réseaux de télécommunication et notamment l'installation des stations radioélectriques sur un même site afin de limiter les impacts environnementaux. La répartition du montant de l'imposition forfaitaire par part égale entre chaque opérateur, indépendamment du niveau d'utilisation par chacun d'eux de la station radioélectrique concernée, est en rapport avec l'objectif poursuivi. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation n'est pas fondé.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pacific Mobile Telecom n'est pas fondée à demander l'annulation de la " loi du pays " qu'elle attaque. Ses conclusions doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros à verser à la Polynésie française au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Pacific Mobile Telecom est rejetée.

Article 2 : La société Pacific Mobile Telecom versera la somme de 3 000 euros à la Polynésie française, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Pacific Mobile Telecom, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française, au haut-commissaire de la République en Polynésie française et à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 406639
Date de la décision : 28/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2017, n° 406639
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP DE CHAISEMARTIN, COURJON

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:406639.20170728
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