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28/12/2017 | FRANCE | N°416390

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 28 décembre 2017, 416390


Vu la procédure suivante :

Mme A...C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'enjoindre à la métropole de Lyon de poursuivre sa prise en charge par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance sans délai, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la métropole de Lyon de la mettre provisoirement à l'abri dans l'attente d'une décision du juge judiciaire, sans délai, sous astreinte de 200 euros par

jour de retard, et, à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au pr...

Vu la procédure suivante :

Mme A...C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'enjoindre à la métropole de Lyon de poursuivre sa prise en charge par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance sans délai, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la métropole de Lyon de la mettre provisoirement à l'abri dans l'attente d'une décision du juge judiciaire, sans délai, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et, à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Rhône de la mettre provisoirement à l'abri dans l'attente d'une décision du juge judiciaire, sans délai, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1708343 du 5 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a enjoint au président de la métropole de Lyon de faire débuter par ses services un examen de la situation de la requérante dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance et de se prononcer de nouveau sur la possibilité de lui accorder un contrat de jeune majeur, dans un délai de trois mois à compter de cette notification et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 et 15 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la métropole de Lyon demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Lyon.

Elle soutient que :

- elle n'a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- c'est à tort que l'ordonnance a prononcé à son encontre une injonction concernant MmeB..., qui est majeure, dès lors que l'intervention d'une collectivité au titre de l'aide sociale à l'enfance en application des articles L. 222-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles ne présente qu'un caractère supplétif par rapport aux missions qui incombent à l'Etat lorsque sont en cause des personnes autres que des mineurs, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans ;

- la métropole de Lyon n'a commis aucune illégalité manifeste en ne proposant pas à Mme B...un contrat de jeune majeur, l'avant dernier alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ne lui en faisant pas obligation et le règlement départemental d'aide sociale subordonnant un tel contrat à des conditions, notamment de projet de vie, que Mme B...ne remplit pas ;

- le juge des référés du tribunal administratif a méconnu son office en enjoignant au président de la métropole de Lyon une mesure qui n'est pas au nombre de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense ainsi que, pour observations, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à la ministre des solidarités et de la santé qui n'ont pas produit.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le décret n°75-96 du 18 février 1975 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la métropole de Lyon et le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et la ministre des solidarités et de la santé, d'autre part, Mme B... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 décembre 2017 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la métropole de Lyon ;

- les représentants de la ministre des solidarités et de la santé ;

- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

2. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ; (...) / 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du code du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : / 1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service tel que prévu au 12° du I de l'article L. 312-1 ; (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) / Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée. ". Enfin, aux termes de l'article 1er du décret du 18 février 1975 fixant les modalités de mise en oeuvre d'une action de protection judiciaire en faveur de jeunes majeurs : " Jusqu'à l'âge de vingt et un ans, toute personne majeure ou mineure émancipée éprouvant de graves difficultés d'insertion sociale a la faculté de demander au juge des enfants la prolongation ou l'organisation d'une action de protection judiciaire. ".

4. Il résulte de l'instruction diligentée par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon que MmeB..., jeune majeure née le 28 octobre 1999 au Nigéria, est entrée en France le 8 août 2013. Par une décision du 24 décembre 2015, le service de la mission d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés étrangers (MEOMIE) de la métropole de Lyon a refusé de la prendre en charge au motif, notamment, de doutes sur son âge réel. Par une ordonnance de placement provisoire du 7 novembre 2016, le juge des enfants du tribunal de grande instance de Lyon a confié l'intéressée pour une durée de six mois aux services de l'aide sociale à l'enfance de la Métropole de Lyon. Par un jugement du 5 septembre 2017, le juge des enfants a renouvelé ce placement jusqu'au 28 octobre 2017, date de la majorité de l'intéressée. Par une décision du 22 novembre 2017, la Métropole de Lyon a refusé à Mme B... la prise en charge par ses services de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeure par le biais d'un " contrat jeune majeur " au motif qu'elle ne s'inscrivait dans aucun projet concret et élaboré avec des perspectives de formation ou de projet professionnel. Elle lui a en outre demandé de quitter l'hôtel où elle était logée. Mme B... a saisi le juge des enfants d'une requête tendant à ce que lui soit accordée une mesure de protection, sur le fondement de l'article 1er du décret du 18 février 1975, demande sur laquelle il n'a pas encore été statué. Par une ordonnance n° 1708343 du 5 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, saisi par Mme B...sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au président de la métropole de Lyon de faire débuter par ses services un examen de la situation de la requérante dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance et de se prononcer de nouveau sur la possibilité de lui accorder un contrat de jeune majeur, dans un délai de trois mois à compter de cette notification. Cette ordonnance implique que la métropole de Lyon poursuive, dans cette perspective, la prise en charge et l'accompagnement qu'elle assurait à Mme B...avant le 22 novembre 2017. La métropole de Lyon relève appel de cette ordonnance. Si elle ne conteste pas que Mme B...se trouvait dans une situation d'urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, elle fait valoir que la situation de l'intéressée ne permettait pas au juge des référés de prononcer une mesure d'urgence à son encontre.

5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 qu'il incombe à l'autorité en charge de l'aide sociale à l'enfance, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance, cette prise en charge pouvant s'étendre, dans certaines circonstances, aux majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

6. Il ressort des pièces du dossier et des échanges tenus lors de l'audience que la prise en charge et l'accompagnement que la métropole de Lyon a assurés à Mme B...jusqu'au 22 novembre 2017 ont permis à celle-ci de bénéficier d'un hébergement et de débuter une scolarité à compter du 18 septembre 2017 dans une classe de " non scolarisés antérieurement " d'un lycée de Lyon, le rapport d'évaluation réalisé le 6 décembre 2017 par la MEOMIE précisant que Mme B...est sérieuse et assidue dans le suivi de cette scolarité. Ainsi que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon l'a souligné, cette scolarisation très récente rendait particulièrement difficile la mise au point d'un projet professionnel réaliste. Il ressort également des pièces du dossier que Mme B...est isolée, sans ressource ni hébergement autre que celui que lui assure la métropole de Lyon et éprouve de ce fait des difficultés d'insertion sociale qui l'ont conduite à demander au juge des enfants le bénéfice d'une mesure de protection sur le fondement du décret du 18 févier 1975. Par ailleurs, si la métropole de Lyon fait valoir qu'elle a connu depuis 2014 une augmentation sensible des demandes de prise en charge présentées par des mineurs non accompagnés ainsi que par des jeunes majeurs isolés, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette augmentation aurait fait obstacle à la poursuite temporaire de la prise en charge et de l'accompagnement de MmeB.... Eu égard à ces circonstances très particulières, la métropole de Lyon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon lui a enjoint de poursuivre la prise en charge de Mme B...afin de laisser à celle-ci la possibilité de bâtir, avec l'aide de la MEOMIE, un projet de vie pouvant lui permettre de conclure un contrat de jeune majeur, cette prise en charge pouvant prendre fin dans l'hypothèse où le juge des enfants ordonnerait une mesure de protection au profit de Mme B...sur le fondement du décret du 18 février 1975.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la métropole de Lyon est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la métropole de Lyon et à Mme A... C... B....

Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 416390
Date de la décision : 28/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2017, n° 416390
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LE PRADO ; SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:416390.20171228
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