La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2018 | FRANCE | N°404453

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème chambres réunies, 25 mai 2018, 404453


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 octobre 2016 et 7 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l'art

icle L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 octobre 2016 et 7 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 ;

- le décret n° 90-850 du 25 septembre 1990 ;

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;

- le décret n° 2001-623 du 12 juillet 2001 ;

- le décret n° 2002-60 du 14 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Lombard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 2 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction de temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, rendu applicable aux agents des collectivités territoriales par l'article 1er du décret du 12 juillet 2001 pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ". Dans sa rédaction applicable au litige, le décret 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels dispose à son article 1er : " La durée de travail effectif des sapeurs-pompiers professionnels est définie conformément à l'article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé auquel renvoie le décret du 12 juillet 2001 susvisé et comprend : / 1. Le temps passé en intervention ; / 2. Les périodes de garde consacrées au rassemblement qui intègre les temps d'habillage et déshabillage, à la tenue des registres, à l'entraînement physique, au maintien des acquis professionnels, à des manoeuvres de la garde, à l'entretien des locaux, des matériels et des agrès ainsi qu'à des tâches administratives et techniques, aux pauses destinées à la prise de repas ; / 3. Le service hors rang, les périodes consacrées aux actions de formation définies par arrêté du ministre de l'intérieur dont les durées sont supérieures à 8 heures, et les services de sécurité ou de représentation ". L'article 2 de ce même décret dispose : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. Lorsque cette période atteint une durée de 12 heures, elle est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". L'article 3 dispose, enfin : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2 relatives à l'amplitude journalière, une délibération du conseil d'administration du service d'incendie et de secours peut, eu égard aux missions des services d'incendie et de secours et aux nécessités de service, et après avis du comité technique, fixer le temps de présence à vingt-quatre heures consécutives. / Dans ce cas, le conseil d'administration fixe une durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail, qui ne peut excéder 1 128 heures sur chaque période de six mois. / Lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de présence supérieur à 12 heures, la période définie à l'article 1er n'excède pas huit heures. Au-delà de cette durée, les agents ne sont tenus qu'à accomplir les interventions. / Ce temps de présence est suivi d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". La Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels demande l'annulation pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation du décret du 31 décembre 2001.

Sur le calcul des durées de travail pour l'application des seuils prévus par la directive :

2. En premier lieu, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, définit, au point 1 de son article 2, le temps de travail comme " toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales " et prescrit aux Etats membres de fixer des règles minimales en matière de protection des travailleurs, et notamment, à son article 6, une durée maximale hebdomadaire de travail de quarante-huit heures, dont le calcul ne peut, en principe, s'opérer, en vertu de son article 16, que sur une période de référence de quatre mois au maximum. Cette période peut, toutefois, être portée, en vertu des dispositions du point 3) c) iii) de son article 17 et des dispositions de son article 19, à six mois, soit un maximum semestriel de 1 152 heures de temps de travail effectif, pour les services de sapeurs-pompiers.

3. Les dispositions du décret attaqué qui prévoient que le conseil d'administration du service d'incendie et de secours doit fixer, dans le cas où il est prévu un temps de présence des sapeurs-pompiers supérieur à douze heures consécutives, " une durée équivalente au décompte semestriel du temps de travail, qui ne peut excéder 1 128 heures sur chaque période de six mois ", n'ont ni pour objet ni pour effet d'assimiler tout ou partie du temps de présence des sapeurs-pompiers à du temps de repos. Sans introduire de pondération qui minorerait la durée de travail effectivement prise en compte, elles imposent que la totalité de la durée effective de travail des agents ne dépasse pas mille cent vingt-huit heures sur chaque période de six mois, soit l'équivalent de 48 heures par semaine. Une telle durée n'est pas incompatible avec la durée maximale de travail effectif prévue par la directive du 4 novembre 2003. Dès lors, le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient incompatibles la directive au motif, d'une part, qu'elles introduiraient un " régime d'équivalence " dans le décompte du temps de travail et, d'autre part, qu'elles aboutiraient à fixer une durée maximale hebdomadaire de travail supérieure à 48 heures doit, par suite, être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la directive du 4 novembre 2003 : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que : / a) le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures (...) ". L'article 17 de la même directive prévoit cependant qu'il peut être dérogé à cette disposition, notamment " 3. c) pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu'il s'agit : (...) iii) des services (...) de sapeurs-pompiers ou de protection civile ", et ce, aux termes du 2 du même article " à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l'octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateurs n'est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés ".

5. Si le fait de déroger, ainsi que le prévoit le décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels, à la durée maximale journalière de travail effectif de douze heures peut conduire les sapeurs-pompiers professionnels à travailler de nuit, il résulte des dispositions des articles 2 et 3 de ce décret que, d'une part, lorsque la durée du travail effectif s'inscrit dans un cycle de travail journalier supérieur à douze heures, le temps de travail effectif ne peut dépasser une durée de huit heures, à l'exception des temps passés en interventions, et que, d'autre part, toute période de travail effectif d'une durée supérieure à douze heures est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale. La fédération requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait incompatible avec les dispositions de la directive relatives au travail de nuit.

6. En troisième lieu, si l'article 3 de la directive du 4 novembre 2003 prévoit une période minimale de repos de onze heures consécutives au cours de chaque période de vingt-quatre heures et si, ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus, son article 16 fixe à un maximum de quatre mois la période de référence du calcul de la durée maximale hebdomadaire de travail, l'article 17 de la directive prévoit qu'il peut être dérogé à ces deux dispositions, notamment pour les services de sapeurs-pompiers. Une telle dérogation, qui permet, ainsi qu'il a été dit au point 2, d'adopter une période de référence de six mois, est toutefois subordonnée à ce que, aux termes du 2 du même article déjà cité au point 4 ci-dessus " des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ".

7. L'article 2 du décret du 31 décembre 2001 ayant, ainsi qu'il a été dit, prévu que toute période de travail effectif d'une durée supérieure à douze heures devait être suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale, le décret attaqué n'a pas, compte tenu de ce repos compensateur, méconnu les dispositions des articles 3, 16 et 17 de la directive en prévoyant, d'une part, qu'il pourrait être dérogé, pour les sapeurs pompiers professionnels, à la durée maximale de travail effectif journalier de douze heures et, d'autre part, que les sapeurs-pompiers professionnels verraient, dans ce cas, leur durée maximale de travail hebdomadaire calculée sur une période de référence de six mois.

8. En quatrième lieu, ainsi qu'il a été dit, l'article 17 de la directive du 4 novembre 2003 prévoit que les États membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 " à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ". Dès lors, en prévoyant à son article 3 que lorsqu'il est dérogé à la durée de travail effectif journalier définie fixée à l'article 2, le temps de présence des sapeurs-pompiers professionnels " est suivi d'une interruption de service d'une durée au moins égale ", le décret du 31 décembre 2001 n'a pas méconnu les dispositions de la directive.

9. En cinquième lieu, les dispositions de l'article 2 et 3 du décret du 31 décembre 2001 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels prévoient notamment, d'une part, que, lorsque la durée de travail effectif dépasse douze heures consécutives, elle est suivi d'une interruption de service d'une durée au moins égale et, d'autre part, que le temps de travail effectif est, en dehors du temps passé en intervention, limité à huit heures par cycle de travail journalier lorsque celui-ci est de plus de douze heures. Ainsi, le décret du 31 décembre 2001, dans sa rédaction modifiée par les dispositions dont la légalité est contestée, comprend les contreparties prévues au II de l'article 3 du décret du 20 août 2000.

Sur le calcul des durées de travail pour l'établissement de la rémunération des sapeurs pompiers :

10. Si, pour le calcul de la durée de travail pour l'application des seuils prévus par la directive, la présence au cours d'une garde est, au sens des dispositions du décret attaqué, assimilable à du travail effectif, dès lors que les intéressés doivent se tenir en permanence prêts à intervenir, ces mêmes dispositions n'empêchent en revanche pas, pour l'établissement de la rémunération des sapeurs-pompiers pendant ces gardes, de fixer des équivalences en matière de durée du travail, afin de tenir compte des périodes d'inaction que comportent ces périodes de garde, dans la mesure où la directive de 2003, qui fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d'aménagement du temps de travail, n'a pas vocation à s'appliquer aux questions de rémunération. Par suite, eu égard à la moindre intensité du travail effectué pendant les gardes de 24 heures par rapport aux gardes de 12 heures, la fédération requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le décret attaqué, du fait de l'application d'un régime d'équivalence, dans le cas de gardes de 24 heures, pour la détermination de la rémunération des sapeurs-pompiers professionnels, méconnaîtrait les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole à cette convention. Ce moyen doit donc être écarté.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité :

11. La fédération requérante soutient que le régime du temps de travail mis en oeuvre par les articles 2 et 3 du décret attaqué pour les sapeurs-pompiers professionnels méconnaît le principe d'égalité entre agents relevant d'un même cadre. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. En l'espèce, la différence de traitement, qui résulte de la dérogation prévue à l'article 3 permettant au conseil d'administration des services d'incendie et de secours de fixer le temps de présence journalier des sapeurs-pompiers professionnels à vingt-quatre heures consécutives, se trouve expressément justifiée par une différence de conditions d'exercice des fonctions des sapeurs-pompiers professionnels dans chacun des services d'incendie et de secours. Au surplus, ainsi qu'il a été dit au point 8 ci-dessus, la directive du 4 novembre 2003 prévoit elle-même la possibilité pour les Etats membres de mettre en oeuvre un régime dérogatoire pour les sapeurs-pompiers, qui sont explicitement mentionnés à l'article 17, parmi les professions justiciables d'un traitement dérogatoire par rapport au principe du repos journaliser figurant à l'article 3. Il en résulte que la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que le régime du temps de travail mis en oeuvre par les articles 2 et 3 du décret attaqué méconnaît le principe d'égalité et, par suite, les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce moyen doit donc être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels doit être rejetée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels, au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 404453
Date de la décision : 25/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mai. 2018, n° 404453
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Lombard
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:404453.20180525
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award