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25/05/2018 | FRANCE | N°407343

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème chambres réunies, 25 mai 2018, 407343


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 407343, par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 janvier, 31 juillet, 13, 27 et 28 août et 28 septembre 2017 et 23 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Vivre en famille " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2016 par lequel le ministre des affaires étrangères et du développement international a suspendu les procédures d'adoption internationale concernant les enfants de nationalité congolaise résidant en République démocratique du Congo ;



2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères de reprendre et poursuiv...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 407343, par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 janvier, 31 juillet, 13, 27 et 28 août et 28 septembre 2017 et 23 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Vivre en famille " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2016 par lequel le ministre des affaires étrangères et du développement international a suspendu les procédures d'adoption internationale concernant les enfants de nationalité congolaise résidant en République démocratique du Congo ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères de reprendre et poursuivre l'instruction des demandes de visas des familles adoptantes, d'autoriser tout dépôt de pièces complémentaires et de visa initial ou nouveau après la date du 1er janvier 2017 pour les situations légalement acquises à la date de l'acte attaqué et d'effectuer le contrôle de légalisation conformément aux dispositions du décret du 10 août 2007 relatif aux attributions du ministre des affaires étrangères, des ambassadeurs et des chefs de poste consulaire en matière de légalisation des actes, et, à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de reprendre l'instruction des dossiers déposés devant les autorités consulaires de Kinshasa avant le 1er janvier 2017, y compris la prise en compte d'éventuels éléments complémentaires, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de prononcer la suppression de certains passages du mémoire en défense du ministre des affaires étrangères sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme d'un euro au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code ainsi que les dépens.

2° Sous le n° 407394, par une requête et cinq mémoires, enregistrés les 31 janvier, 31 juillet et 28 septembre 2017 et les 28 février et 10 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et MmeL..., M. et MmeD..., M. et MmeI..., M. et MmeE..., M. et MmeF..., M. et MmeB..., M. et MmeG..., M. et Mme J..., M. et Mme H...et M. et Mme K...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2016 par lequel le ministre des affaires étrangères et du développement international a suspendu les procédures d'adoption internationale concernant les enfants de nationalité congolaise résidant en République démocratique du Congo ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères de reprendre l'instruction des demandes de visas des familles adoptantes, d'autoriser tout dépôt de pièces complémentaires et de visa initial ou nouveau après la date du 1er janvier 2017 pour les situations légalement acquises à la date de l'acte attaqué, d'effectuer le contrôle de légalisation conformément aux dispositions du décret du 10 août 2007, et, à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de reprendre l'instruction des dossiers déposés devant les autorités consulaires de Kinshasa avant le 1er janvier 2017, y compris la prise en compte d'éventuels éléments complémentaires, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de prononcer la suppression de certains passages du mémoire en défense du ministre des affaires étrangères sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme d'un euro au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code ainsi que les dépens.

....................................................................................

3° Sous le n° 408697, par une ordonnance nos 1702356 et 1702084 du 24 février 2017, enregistrée le 7 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application des articles R. 341-3 et R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de M. et Mme L..., M. et MmeD..., M. et MmeI..., M. et MmeE..., M. et Mme F..., M. et MmeB..., M. et MmeG..., M. et MmeJ..., M. et Mme H...et M. et Mme K...et celle de l'association " Vivre en famille ".

Par ces demandes, enregistrées respectivement les 31 janvier et 3 février 2017 au greffe de ce tribunal, et des mémoires enregistrés les 31 juillet, 13, 27 et 28 août, et 28 septembre 2017 et les 26 et 28 février et 10 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme L...et autres et l'association " Vivre en famille " demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2016 par lequel le ministre des affaires étrangères et du développement international a retiré à l'association " Vivre en famille " l'habilitation pour exercer son activité pour l'adoption ou le placement en vue de l'adoption d'enfants mineurs originaires de la République démocratique du Congo ;

2°) d'enjoindre au ministre des affaires étrangères de délivrer à l'association " Vivre en famille " une nouvelle habilitation et de déterminer ses modalités d'application, avec des mesures transitoires aux processus d'adoption en cours et, à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de réexaminer sa décision de retrait, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de prononcer la suppression de certains passages du mémoire en défense du ministre des affaires étrangères sur le fondement de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme d'un euro au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code ainsi que les dépens.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international sur les droits civils et politiques ;

- la convention sur les droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la convention de La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale ;

- le code civil ;

- le code de procédure civile ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 2007-1205 du 10 août 2007 ;

- le décret n° 2008-1176 du 13 novembre 2008 ;

- le décret n° 2009-407 du 14 avril 2009 ;

- le décret n° 2014-400 du 16 avril 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions connexes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale : " La convention a pour objet : a) d'établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international ... " ; qu'aux termes de l'article 4 de la même convention : " Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'origine : a) ont établi que l'enfant est adoptable ; b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l'enfant dans son Etat d'origine, qu'une adoption internationale répond à l'intérêt supérieur de l'enfant ; c) se sont assurées : 1) que les personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d'une adoption, des liens de droit entre l'enfant et sa famille d'origine, 2) que celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit, 3) que les consentements n'ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte et qu'ils n'ont pas été retirés, et 4) que le consentement de la mère, s'il est requis, n'a été donné qu'après la naissance de l'enfant ; et d) se sont assurées, eu égard à l'âge et à la maturité de l'enfant, 1) que celui-ci a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l'adoption et de son consentement à l'adoption, si celui-ci est requis, 2) que les souhaits et avis de l'enfant ont été pris en considération, 3) que le consentement de l'enfant à l'adoption, lorsqu'il est requis, a été donné librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été donné ou constaté par écrit, et 4) que ce consentement n'a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte " ; qu'aux termes de l'article 5 de la même convention : " Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'accueil : a) ont constaté que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter ; b) se sont assurées que les futurs parents adoptifs ont été entourés des conseils nécessaires ; et c) ont constaté que l'enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans cet Etat " ; qu'aux termes de l'article 6 de la même convention : " 1. Chaque Etat contractant désigne une autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la Convention. " ; qu'aux termes de l'article 8 de la même convention, l'autorité centrale prend " toutes mesures appropriées pour (...) empêcher toute pratique contraire aux objectifs de la Convention " ; qu'aux termes de l'article 33 de la même convention, l'autorité centrale qui a été informée de ce " qu'une des dispositions de la Convention a été méconnue ou risque manifestement de l'être (...) a la responsabilité de veiller à ce que les mesures utiles soient prises " ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 148-2 du code de l'action sociale et des familles : " Il est institué une Autorité centrale pour l'adoption chargée d'orienter et de coordonner l'action des administrations et des autorités compétentes en matière d'adoption internationale " ; qu'aux termes de l'article L. 225-11 du même code : " Tout organisme, personne morale de droit privé, qui sert d'intermédiaire pour l'adoption ou le placement en vue d'adoption de mineurs de quinze ans, doit avoir obtenu une autorisation préalable d'exercer cette activité auprès du président du conseil départemental de chaque département dans lequel elle envisage de placer les mineurs concernés " ; qu'aux termes de l'article L. 225-12 du même code : " Les organismes autorisés doivent obtenir une habilitation du ministre chargé des affaires étrangères pour exercer leur activité au profit de mineurs étrangers " ; qu'en vertu de l'article L. 225-15 du même code, l'Agence française de l'adoption, habilitée à intervenir comme intermédiaire pour l'adoption dans les Etats parties à la convention de La Haye du 29 mai 1993, suspend ou cesse son activité dans l'un de ces pays, à la demande du ministre chargé des affaires étrangères, " si les procédures d'adoption ne peuvent plus être menées dans les conditions définies par la convention précitée " ; que, pour exercer son activité dans les autres pays d'origine des mineurs, non parties à la convention de La Haye, l'Agence doit, selon l'article L. 225-15, obtenir l'habilitation prévue à l'article L. 225-12 ;

4. Considérant que l'article R. 148-10 du code de l'action sociale et des familles dispose que " L'Autorité centrale pour l'adoption internationale instruit les demandes et prépare les décisions du ministre des affaires étrangères relatives à : 1° L'habilitation des organismes privés autorisés pour l'adoption ainsi que, le cas échéant, la modification, la suspension ou le retrait de cette habilitation, dans les conditions prévues à l'article L. 225-12 ; (...) 4° La suspension ou la reprise des adoptions en fonction des circonstances et des garanties apportées par les procédures mises en oeuvre par les pays d'origine des enfants dans les conditions prévues au présent code " ; que l'article R. 225-38 du même code dispose que : " Le ministre des affaires étrangères modifie ou retire l'habilitation accordée à l'organisme si l'évolution de la situation du pays pour lequel elle a été accordée ne permet plus de mener à bien des procédures d'adoption d'enfants originaires de celui-ci par des ressortissants français ou par des personnes résidant en France (....) " ;

5. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier qu'à la suite de soupçons d'irrégularités dans des procédures d'adoption d'enfants mineurs en République démocratique du Congo, les autorités de cet Etat ont décidé, à la fin de l'année 2013, de ne plus donner suite aux demandes d'adoption internationale et d'autorisations de sortie du territoire des enfants adoptés ; que si, au début de l'année 2016, ces mêmes autorités ont repris l'instruction des dossiers, les autorités françaises ont estimé que, dans un nombre important de cas, l'adoption des enfants de ce pays avait été prononcée dans des conditions gravement irrégulières ;

6. Considérant que, après en avoir informé au cours d'une réunion en date du 16 novembre 2016 les trois organismes français habilités pour l'adoption d'enfants mineurs en République démocratique du Congo, le ministre des affaires étrangères et du développement international a pris, le 23 novembre 2016, un arrêté selon lequel : " les procédures d'adoption internationale (...) concernant les enfants de nationalité congolaise résidant en République démocratique du Congo sont suspendues à compter du 1er janvier 2017. En conséquence, toute demande de visa long séjour adoption devra être déposée au plus tard le 31 décembre 2016. (...) Passé ce délai, aucune demande de visa ne sera instruite " ; que le ministre a, en outre, par un arrêté du 24 novembre 2016, retiré à l'association " Vivre en famille ", à compter du 1er janvier 2017, l'habilitation dont elle disposait en vertu de l'article L. 225-12 du code de l'action sociale et des familles pour exercer son activité pour ce qui concerne la République démocratique du Congo ; que le ministre a fait de même à l'égard des deux autres organismes qui disposaient d'une telle habilitation ; que, par les requêtes visées ci-dessus, l'association " Vivre en famille ", M. et Mme L...et les autres requérants demandent l'annulation de ces deux arrêtés des 23 et 24 novembre 2016 ;

Sur les interventions :

7. Considérant que Mme A...et M. et MmeC..., qui ont adopté des enfants en République démocratique du Congo, justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir à l'appui des requêtes ; qu'ainsi leurs interventions sont recevables ;

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2016 :

8. Considérant, en premier lieu, que les engagements pris par la France en tant qu'Etat partie à la convention de la Haye lui imposent de veiller au respect des exigences posées par la convention en matière d'adoption internationale ; qu'à ce titre, le législateur a expressément prévu, à l'article L. 225-15 du code de l'action sociale et des familles, que le ministre des affaires étrangères peut demander à l'Agence française de l'adoption de suspendre son activité d'intermédiaire pour l'adoption dans un Etat partie à la convention si les procédures d'adoption dans cet Etat ne peuvent plus être menées dans le respect des conditions définies par la convention ; que le ministre des affaires étrangères peut, en outre, s'agissant de l'activité de l'Agence dans les autres pays d'origine des mineurs ainsi que de l'activité des autres organismes habilités sur le fondement de l'article L. 225-12 du code de l'action sociale et des familles en vue de l'adoption de mineurs étrangers, mettre fin aux habilitations délivrées lorsqu'il existe, dans des proportions importantes, un risque avéré que les procédures d'adoption soient menées dans les pays concernés dans des conditions frauduleuses ou ne présentant plus de garanties suffisantes pour les enfants, leurs parents et les adoptants ; que c'est pour des motifs de cet ordre que, par l'arrêté du 23 novembre 2016 attaqué, le ministre des affaires étrangères a indiqué " suspendre " à compter du 1er janvier 2017 les procédures d'adoption internationale concernant des enfants congolais résidant au Congo et a prescrit aux autorités consulaires de ne plus instruire, à titre temporaire et à compter d'une date fixée avec un préavis, de demandes de visas de long séjour formées par des ressortissants de nationalité française ou résidant en France pour des enfants faisant l'objet de procédures d'adoption ;

9. Considérant que la fixation des règles concernant l'état des personnes relève, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de la compétence du législateur ; que si l'arrêté attaqué du 23 novembre 2016 indique " suspendre " les procédures d'adoption, un tel arrêté ne saurait, en l'absence de disposition législative le prévoyant expressément, avoir pour effet de faire obstacle à l'application des dispositions législatives régissant l'adoption ; qu'il ne saurait, en particulier, s'opposer à la possibilité de faire légaliser les actes d'état civil établis par une autorité étrangère ou s'opposer aux démarches engagées par les familles ayant adopté un ou plusieurs enfants par l'effet d'un jugement d'adoption prononcé par un tribunal étranger afin de faire reconnaître l'opposabilité en France d'un tel jugement par le juge judiciaire, seul compétent pour se prononcer sur l'effet des jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes ; que l'arrêté attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire aux familles de demander, le cas échéant, au procureur de la République de transcrire ce jugement sur les registres d'état-civil français ou de saisir le tribunal de grande instance compétent en France afin qu'il soit statué sur une demande d'exequatur d'un tel jugement ;

10. Considérant, dans ces conditions, que les dispositions de l'arrêté attaqué ne sont pas illégalement intervenues dans le domaine de la loi et n'empiètent ni sur la compétence du juge judiciaire français ni, en tout état de cause, sur la souveraineté de l'Etat étranger concerné ; qu'elles ne méconnaissent pas l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et n'affectent pas l'application des règles relatives à l'état des personnes et à l'acquisition de la nationalité française ; que la circonstance que des dispositions analogues ne soient pas prévues en matière de regroupement familial est sans incidence sur la légalité des dispositions litigieuses et ne méconnaît pas, en tout état de cause, le principe d'égalité devant le service public ;

11. Considérant qu'il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté du 23 novembre 2016, en indiquant, en raison des risques présentés par les adoptions au Congo, que les procédures d'adoption en provenance de ce pays devaient être suspendues aurait été pris par une autorité incompétente ou sur le fondement de dispositions réglementaires illégales ; que le ministre des affaires étrangères, qui dispose du pouvoir de délivrer des instructions particulières pour la délivrance des visas relatifs aux procédures d'adoption internationale, pouvait prescrire aux autorités consulaires de ne plus instruire, à titre temporaire et après un préavis, de demandes de visas de long séjour formées par des ressortissants de nationalité française ou résidant en France pour des enfants faisant l'objet de procédures d'adoption ;

12. Considérant, en deuxième lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait que l'arrêté du 23 novembre 2016 fût motivé ;

13. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'intervention de l'arrêté attaqué est justifiée par les graves irrégularités qui ont affecté, dans des proportions importantes, les procédures d'adoption en République démocratique du Congo ; que cet arrêté vise à éviter temporairement l'engagement de procédures d'adoption tant que perdurent ces irrégularités ; qu'ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté serait entaché d'inexactitude matérielle des faits, d'inexacte qualification juridique, de détournement de pouvoir et de procédure ou d'erreur de droit ; que, contrairement à ce qui est soutenu, il ne méconnaît ni l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, ni l'article 1168 du code de procédure civile ; que des adoptions qui seraient prononcées dans des conditions irrégulières seraient contraires à l'intérêt supérieur des enfants concernés, qui suppose notamment que leur filiation adoptive puisse être légalement établie ; que l'arrêté attaqué ne méconnaît pas l'intérêt supérieur des enfants concernés et ne porte pas une atteinte excessive au respect dû au droit au respect de la vie familiale ; que ne peuvent, par suite, qu'être écartés les moyens tirés de ce que l'arrêté serait contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'article 14 de la même convention, au paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, au paragraphe 1 de l'article 10 de la même convention et au paragraphe 4 de l'article 12 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

14. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué a été pris après qu'ont été informés, au cours d'une réunion en date du 16 novembre 2016, les trois organismes habilités pour ce qui concerne la République démocratique du Congo ; que cet arrêté a fixé au 31 décembre 2016 la date limite de dépôt des demandes de visa afin de permettre aux familles disposant d'un jugement d'adoption définitif en République démocratique du Congo de pouvoir utilement déposer une telle demande ; que l'administration a accepté que les demandes de visa déposées avant le 31 décembre 2016 puissent être complétées par la fourniture de pièces complémentaires au-delà du 1er janvier 2017 ; que, dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté méconnaîtrait le principe de sécurité juridique, ou les articles L. 221-4 et L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration, ou le principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

15. Considérant, en cinquième lieu, que l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : / (...) 2° A l'enfant étranger d'un ressortissant de nationalité française si cet enfant (...) est à la charge de ses parents (...), sous réserve qu'ils produisent un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ; / (...) L'enfant visé aux 2° (...) du présent article s'entend de l'enfant ayant une filiation légalement établie, y compris l'enfant adopté, en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger " ; que ces dispositions n'ont toutefois ni pour objet ni pour effet de conférer le droit d'obtenir un visa de long séjour ; qu'ainsi le moyen tiré de leur méconnaissance ne peut, en tout état de cause, être accueilli ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre en défense, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 23 novembre 2016, sur la légalité duquel la qualité des signataires des mémoires en défense présentés par le ministre des affaires étrangères ne saurait, en tout état de cause, avoir d'incidence ; que leurs conclusions à fin d'injonction comme celles tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions à fins d'annulation de l'arrêté du 24 novembre 2016 retirant l'habilitation de l'association " Vivre en famille " pour ce qui concerne son activité en République démocratique du Congo :

17. Considérant que si, ainsi qu'il a été dit, le ministre des affaires étrangères peut, par arrêté, abroger l'habilitation, prévue par l'article L. 225-12 du code de l'action sociale et des familles, délivrée à un organisme servant d'intermédiaire pour l'adoption de mineurs étrangers afin de lui permettre d'exercer son activité dans un pays déterminé en raison de la situation prévalant dans ce pays, une telle décision, qui abroge une décision créatrice de droits, est au nombre des décisions individuelles défavorables qui doivent être motivées en vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

18. Considérant que l'arrêté attaqué du 24 novembre 2016, qui a retiré à l'association " Vivre en famille " l'habilitation qui lui avait été délivrée pour exercer son activité en matière d'adoption d'enfants mineurs originaires de la République démocratique du Congo, s'il vise certains textes, ne comporte l'énoncé d'aucune considération de fait ; qu'ainsi il ne satisfait pas à l'exigence de motivation résultant des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association " Vivre en famille ", qui justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, est fondée à demander, pour ce motif et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 24 novembre 2016, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre aux autres requérants ;

20. Considérant que l'annulation de l'arrêté du 24 novembre 2016 n'implique pas nécessairement de mesure d'exécution dans un sens déterminé ; que les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées ;

21. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'en outre, faute de dépens exposés en l'espèce, les conclusions présentées au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :

22. Considérant les mémoires en défense du ministre des affaires étrangères ne contiennent pas, contrairement à ce qui est soutenu, d'imputation à caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire, au sens des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, de nature à en faire prononcer la suppression ; qu'il n'y a pas lieu, par suite de faire droit aux conclusions des requérants tendant à une telle suppression et au versement d'une indemnité à ce titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de Mme A...et de M. et Mme C...sont admises.

Article 2 : L'arrêté du 24 novembre 2016 est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et MmeL..., M. et Mme D..., M. et MmeI..., M. et MmeE..., M. et MmeF..., M. et MmeB..., M. et MmeG..., M. et MmeJ..., M. et Mme H...et M. et Mme K...et de l'association " Vivre en famille " est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée, pour l'ensemble des requérants, à M. et Mme L..., premiers dénommés, à l'association " Vivre en famille" et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407343
Date de la décision : 25/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 mai. 2018, n° 407343
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Caroline de Margerie
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:407343.20180525
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