La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/05/2018 | FRANCE | N°407147

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 30 mai 2018, 407147


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 407147, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 24 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Organisation juive européenne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis du ministre de l'économie et des finances du 24 novembre 2016 destiné aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ;

2°) de mettre à la charge de l'Et

at la somme de trois mille euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice ad...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 407147, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 janvier et 24 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association Organisation juive européenne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis du ministre de l'économie et des finances du 24 novembre 2016 destiné aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de trois mille euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 407212, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 25 janvier 2017, 25 avril 2017, 16 juin 2017 et 9 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société vignoble PSAGOT LTD demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'avis du ministre de l'économie et des finances du 24 novembre 2016 destiné aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

- le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires ainsi que la communication interprétative de la Commission européenne du 12 novembre 2015 relative à l'identification de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis 1967 ;

- le code de la consommation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code pénal ;

- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Laure Denis, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de l'Association Organisation juive européenne et à la SCP Briard, avocat de la société vignoble PSAGOT LTD.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967, publié au Journal Officiel de la République française du 24 novembre 2016, le ministre de l'économie et des finances, en se référant au règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires et en attirant l'attention des opérateurs sur la communication interprétative relative à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967, publiée au Journal Officiel de l'Union européenne le 12 novembre 2015, a notamment précisé les mentions susceptibles ou non d'être utilisées pour les produits issus de ces territoires. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une même décision, l'Association Organisation juive européenne et la société vignoble PSAGOT LTD demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis du ministre de l'économie et des finances qui comporte des mentions à caractère général et impératif.

2. Si aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations du public avec les administrations : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ", la circonstance que l'avis attaqué, publié au Journal officiel de la République française sous le timbre du ministre de l'économie et des finances, ne mentionne ni le nom et le prénom ni la qualité de son signataire, n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité eu égard à la nature d'un tel acte.

3. D'une part, aux termes de l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis. / Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. / (...) / Les recommandations et les avis ne lient pas. ". Aux termes de l'article 1er du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires : " 1. Le présent règlement contient les dispositions de base permettant d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d'information sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception desdits consommateurs et de leurs besoins en information, tout en veillant au bon fonctionnement du marché intérieur. / 2. Le présent règlement définit les principes généraux, les exigences et les responsabilités générales régissant l'information sur les denrées alimentaires et, en particulier, l'étiquetage des denrées alimentaires. Il fixe les dispositifs garantissant le droit des consommateurs à l'information et les procédures d'information sur les denrées alimentaires, tout en tenant compte de la nécessité de prévoir une souplesse suffisante permettant de répondre aux évolutions futures et aux nouvelles exigences en matière d'information. / (...) ". Aux termes du g) du 2. de l'article 2 du même règlement : " 'lieu de provenance' : le lieu indiqué comme étant celui dont provient la denrée alimentaire, mais qui n'est pas le 'pays d'origine' tel que défini conformément aux articles 23 à 26 du règlement (CEE) n° 2913/92 ; le nom, la dénomination commerciale ou l'adresse de l'exploitant du secteur alimentaire figurant sur l'étiquette ne vaut pas, au sens du présent règlement, indication du pays d'origine ou du lieu de provenance de la denrée alimentaire. ". Aux termes du 1 de l'article 3 du même règlement : " L'information sur les denrées alimentaires tend à un niveau élevé de protection de la santé et des intérêts des consommateurs en fournissant au consommateur final les bases à partir desquelles il peut décider en toute connaissance de cause et utiliser les denrées alimentaires en toute sécurité, dans le respect, notamment, de considérations sanitaires, économiques, écologiques, sociales et éthiques. " Aux termes du 2 de l'article 26 du même règlement : " L'indication du pays d'origine ou du lieu de provenance est obligatoire : / a) dans les cas où son omission serait susceptible d'induire en erreur les consommateurs sur le pays d'origine ou le lieu de provenance réel de la denrée alimentaire, en particulier si les informations jointes à la denrée ou l'étiquette dans son ensemble peuvent laisser penser que la denrée a un pays d'origine ou un lieu de provenance différent ; / (...) ". Enfin, par la communication interprétative relative à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967, qui précise notamment que " La présente communication n'instaure pas de nouvelles prescriptions législatives. Elle traduit la lecture, par la Commission, de la législation pertinente de l'Union, l'application des règles en vigueur relevant de la responsabilité première des États membres ", la Commission indique que " Puisqu'en vertu du droit international, le plateau du Golan et la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) ne font pas partie du territoire israélien, l'indication 'produit en Israël' est considérée comme fausse et susceptible d'induire en erreur au sens de la législation dont les références sont visées dans la présente communication " et précise notamment que " En ce qui concerne les produits issus de Palestine qui ne sont pas originaires de colonies de peuplement, une indication qui n'induit pas en erreur quant à l'origine géographique mais correspond aux usages internationaux pourrait être la suivante: 'produit originaire de Cisjordanie (produit palestinien)', 'produit originaire de Gaza' ou 'produit originaire de Palestine'. / En ce qui concerne les produits issus de Cisjordanie ou du plateau du Golan qui sont originaires de colonies de peuplement, une mention limitée à 'produit originaire du plateau du Golan' ou 'produit originaire de Cisjordanie' ne serait pas acceptable. Bien que ces expressions désignent effectivement la zone ou le territoire au sens large dont le produit est originaire, l'omission de l'information géographique complémentaire selon laquelle le produit est issu de colonies israéliennes induirait le consommateur en erreur quant à sa véritable origine. Dans de tels cas, il est nécessaire d'ajouter, entre parenthèses, par exemple, l'expression "colonie israélienne" ou des termes équivalents. Ainsi, des expressions telles que 'produit originaire du plateau du Golan (colonie israélienne)' ou 'produit originaire de Cisjordanie (colonie israélienne)' pourraient être utilisées. "

4. D'autre part, aux termes de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l'interprétation des traités, b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. (...) ".

5. L'appréciation de la conformité de l'avis du ministre de l'économie et des finances du 24 novembre 2016 destiné aux opérateurs économiques relatif à l'indication de l'origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 avec le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires dépend de la réponse à la question de savoir si le droit de l'Union européenne et en particulier le règlement précité, lorsque la mention de l'origine d'un produit entrant dans le champ de ce règlement est obligatoire, impose, pour un produit provenant d'un territoire occupé par Israël depuis 1967, la mention de ce territoire ainsi qu'une mention précisant que le produit provient d'une colonie israélienne lorsque tel est le cas, ou, à défaut, à la question de savoir si les dispositions du règlement, notamment celles de son chapitre VI, permettent à un Etat membre d'exiger de telles mentions.

6. Les questions énoncées au point 5 sont déterminantes pour la solution des litiges que doit trancher le Conseil d'Etat. Elles présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les requêtes de l'Association Organisation juive européenne et de la société vignoble PSAGOT LTD.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est sursis à statuer sur les requêtes présentées par l'Association Organisation juive européenne et la société vignoble PSAGOT LTD jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

le droit de l'Union européenne et en particulier le règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, lorsque la mention de l'origine d'un produit entrant dans le champ de ce règlement est obligatoire, impose t'il pour un produit provenant d'un territoire occupé par Israël depuis 1967, la mention de ce territoire ainsi qu'une mention précisant que le produit provient d'une colonie israélienne lorsque tel est le cas ' A défaut, les dispositions du règlement, notamment celles de son chapitre VI, permettent-elles à un Etat membre d'exiger de telles mentions '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association Organisation juive européenne, à la société vignoble PSAGOT LTD, au ministre de l'économie et des finances et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407147
Date de la décision : 30/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2018, n° 407147
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Laure Denis
Rapporteur public ?: Mme Julie Burguburu
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:407147.20180530
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award