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11/07/2018 | FRANCE | N°414819

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 11 juillet 2018, 414819


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mmes E...B...et F...D..., M. A...C...et l'association Résistance Républicaine demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'a

rticle L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;
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Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mmes E...B...et F...D..., M. A...C...et l'association Résistance Républicaine demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Mmes E...B...et F...D..., M. A...C...et l'association Résistance Républicaine demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 3 août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire, en tant, d'une part, qu'il modifie l'article R. 625-7 du code pénal qui définit l'infraction de provocation non publique à la discrimination, à la haine et à la violence à l'égard d'une personne en l'élargissant au cas où elle est commise en raison de l'identité de genre de la victime et, d'autre part, qu'il crée, au sein du même code, deux articles R. 625-8 et R. 625-8-1 rangeant dans la catégorie des contraventions de cinquième classe les infractions de diffamation et d'injure non publiques, en les élargissant également au cas où elles sont commises en raison de l'identité de genre de la victime.

Sur la légalité externe :

2. Les décrets du Premier ministre doivent être contresignés par les ministres qui sont compétents pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de ces actes. Le décret attaqué n'appelant aucune mesure d'exécution du ministre de la culture et de la communication, le moyen tiré du défaut de contreseing de celui-ci ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne :

3. En premier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines à raison de la prétendue imprécision des termes de " provocation à la haine " est inopérant à l'encontre du décret attaqué, qui n'a pas créé l'infraction de provocation non publique à la discrimination, à la haine et à la violence à l'égard d'une personne.

4. En deuxième lieu, les termes " identité de genre ", qui figurent également à l'article 225-1 du code pénal et aux articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans leur version issue de la loi du 27 janvier 2017, visent le genre auquel s'identifie une personne, qu'il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l'état civil ou aux différentes expressions de l'appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin. Ils sont donc, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment clairs et précis. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le recours à ces termes pour définir les éléments constitutifs d'incriminations pénales, lesquelles, au demeurant, sont caractérisées par le comportement d'un tiers à l'égard d'une personne à raison de la caractéristique qu'il lui prête, indépendamment de la réalité de celle-ci, méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines, notamment rappelé par l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté. Il en est de même du moyen, opérant seulement à l'encontre du décret attaqué en tant qu'il range les infractions de diffamation et d'injure non publiques dans la catégorie des contraventions de 5e classe, tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines en raison du recours à la notion d' " orientation sexuelle ", qui désigne l'attirance affective et sexuelle d'une personne envers d'autres personnes à raison de leur sexe et qui ne peut être regardée, ainsi qu'il est soutenu, comme imprécise.

5. En troisième lieu, le décret attaqué ne porte pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée en tant qu'il range dans la catégorie des contraventions de 5e classe les infractions de diffamation et d'injure non publiques qui ne concernent les propos ou écrits exprimés en dehors des lieux ou réunions publics qu'à la condition d'avoir été tenus ou diffusés dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel,

6. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que, en rangeant dans la catégorie des contraventions de 5e classe les infractions de diffamation et d'injure non publiques, le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité entre personnes croyantes et personnes athées ne peut qu'être écarté dès lors que les motifs qui y sont visés doivent être regardés comme incluant la non appartenance à une religion.

7. En dernier lieu, l'élargissement des infractions de provocation non publique à la discrimination, à la haine et à la violence à l'égard d'une personne ainsi que de diffamation et d'injure non publique au cas où celles-ci sont commises en raison de l'identité de genre de la victime et le passage, pour les deux dernières, de la catégorie des contraventions de quatrième classe à celle de cinquième classe ne fixent à la liberté d'expression, notamment protégée par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que des limites nécessaires et proportionnées à la défense de l'ordre, au respect de la liberté et de la vie privée des personnes, ainsi qu'à celui de l'égalité entre les personnes.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, la requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mmes B...etD..., de M. C...et de l'association Résistance Républicaine est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme E...B..., première dénommée, pour l'ensemble des requérants, au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de la culture.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 414819
Date de la décision : 11/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2018, n° 414819
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:414819.20180711
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