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10/05/2019 | FRANCE | N°418082

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 10 mai 2019, 418082


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février, 14 mai, 2 novembre 2018 et 12 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 8 décembre 2017 relatif à l'indication géographique protégée " Pays d'Oc " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

V...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février, 14 mai, 2 novembre 2018 et 12 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 8 décembre 2017 relatif à l'indication géographique protégée " Pays d'Oc " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles ;

- le règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 en ce qui concerne les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Vu l a note en délibéré, enregistrée le 16 avril 2019, présentée par l'INAO ;

Vu l a note en délibéré, enregistrée le 17 avril 2019, présentée par le syndicat des producteurs de vin de pays d'Oc ;

Vu l a note en délibéré, enregistrée le 17 avril 2019, présentée par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémant et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 8 décembre 2017, les ministres de l'économie et des finances, de l'agriculture et de l'alimentation et de l'action et des comptes publics ont homologué le nouveau cahier des charges de l'indication géographique protégée " Pays d'Oc ", proposé par l'Institut national de l'origine et de la qualité. Si la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté, il ressort des termes de sa requête et notamment des moyens développés qu'elle entend attaquer cet arrêté en tant seulement qu'il élargit aux vins mousseux de qualité rouges, rosés, blancs, gris et gris de gris la possibilité de se prévaloir de l'indication géographique protégée " Pays d'Oc ", auparavant réservée aux seuls vins tranquilles par la précédente dénomination " Vin de pays d'Oc " à laquelle s'est substituée l'indication litigieuse.

Sur les interventions de la Confédération des vins IGP de France et du syndicat des producteurs de vin de pays d'Oc :

2. La Confédération des vins IGP de France et le syndicat des producteurs de vin de pays d'Oc ont intérêt au maintien de l'arrêté attaqué. Leurs interventions sont donc recevables.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la Confédération des vins IGP de France :

3. D'une part, eu égard à la concurrence que sont susceptibles de faire au crémant les vins mousseux auxquels l'arrêté contesté a élargi le bénéfice de l'indication géographique protégée concernée, autrefois réservée aux seuls vins tranquilles, la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant peut se prévaloir d'un intérêt à agir.

4. D'autre part, en l'absence dans les statuts d'une association ou d'un syndicat de stipulations réservant à un autre organe la capacité de décider de former une action, celle-ci est régulièrement engagée par l'organe tenant des mêmes statuts le pouvoir de représenter en justice cette association ou ce syndicat. Aux termes de l'article 15 des statuts de la fédération requérante : " (...) Le Président représente l'Association dans ses rapports avec les tiers et en justice (...) ". Aucune autre stipulation ne réserve à un autre organe de la Fédération requérante le pouvoir de décider d'engager une action en justice au nom de celle-ci. Ainsi, le président de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant avait qualité pour former, au nom de cette organisation, un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté interministériel du 8 décembre 2017.

5. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées par la Confédération des vins IGP de France doivent être écartées.

Sur la légalité de l'arrêt attaqué :

6. Pour le secteur vitivinicole, le b) du paragraphe 1 de l'article 93 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, qui reprend sur ce point les dispositions du b) du paragraphe 1 de l'article 118 ter du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007, définit l'indication géographique protégée comme : " une indication renvoyant à une région, à un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, à un pays, qui sert à désigner un produit (...) : / i) possédant une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques particulières attribuables à cette origine géographique (...) ". Selon le 2 de l'article 94 du même règlement : " Le cahier des charges permet aux parties intéressées de vérifier le respect des conditions de production associées à l'appellation d'origine ou à l'indication géographique. / Il comporte au minimum les éléments suivants : / (...) g) les éléments qui corroborent le lien visé (...) à l'article 93, paragraphe 1, point b) i) ". Enfin, l'article 7 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole dispose que : " 1. Les éléments qui corroborent le lien géographique (...) expliquent dans quelle mesure les caractéristiques de la zone géographique délimitée influent sur le produit final (...) 3. Pour une indication géographique, le cahier des charges contient : a) des informations détaillées sur la zone géographique contribuant au lien ; / b) des informations détaillées sur la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques spécifiques du produit découlant de son origine géographique ; / c) une description de l'interaction causale entre les éléments visés au point a) et ceux visés au point b). / 4. Pour une indication géographique, le cahier des charges précise si l'indication se fonde sur une qualité ou une réputation spécifique ou sur d'autres caractéristiques liées à l'origine géographique ".

7. Il résulte clairement de ces dispositions que l'homologation d'un cahier des charges d'une indication géographique protégée, qui n'est pas une simple indication de provenance géographique, ne peut légalement intervenir que si ce cahier précise les éléments qui permettent d'attribuer à une origine géographique déterminée une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques particulières du produit qui fait l'objet de l'indication et met en lumière de manière circonstanciée le lien géographique et l'interaction causale entre la zone géographique et la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques du produit. Il découle en outre nécessairement de ces mêmes dispositions qu'elles ne permettent de reconnaître un lien avec une origine géographique que pour une production existante, attestée dans la zone géographique à la date de l'homologation et depuis un temps suffisant pour établir ce lien. Enfin, celui-ci doit être établi pour un produit déterminé et ne peut donc procéder d'une analogie avec un autre produit, même voisin.

8. Il ressort des pièces du dossier que l'antériorité de la production de vins mousseux de qualité dans la zone géographique délimitée par le cahier des charges de l'indication géographique protégée " pays d'Oc " n'était pas établie à la date de l'arrêté attaqué. Notamment, les éléments relatifs à l'existence, au-delà d'une production de " vin local et festif, consommé à l'occasion de repas de famille ou offert à titre de trophées dans les tournois locaux de pétanque ou de rugby ", de certaines productions historiques, d'une part, et de quelques productions développées au cours du 20ème siècle par quelques caves ou domaines dans certains départements de la zone concernée, d'autre part, ne suffisent pas à établir, en l'absence par ailleurs de précisions suffisamment probantes concernant, pour la période antérieure à 2012, le nombre de producteurs et les volumes produits, l'existence d'une production de vins mousseux de qualité, même limitée, qui s'étendrait sur une période continue et d'une durée suffisante, même récente, dans la zone retenue par ce cahier des charges. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que, dès lors qu'une production existante de vins mousseux de qualité n'est pas attestée dans la zone géographique à la date de l'homologation et depuis un temps suffisant pour établir le lien entre l'origine géographique et des vins mousseux de qualité, qui ne peut procéder d'une analogie avec des vins tranquilles de qualité, les ministres ont entaché leur arrêté d'une erreur d'appréciation en estimant que l'existence d'un lien géographique pouvait être établie entre l'aire géographique de l'indication " Pays d'Oc " et la production de vins mousseux de qualité rouges, rosés, blancs, gris et gris de gris.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il homologue les dispositions du cahier des charges litigieux qui autorisent les vins mousseux de qualité issus des zones qu'il définit à se prévaloir de l'indication géographique protégée " Pays d'Oc ".

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les interventions de la Confédération des vins IGP de France et du syndicat des producteurs de vin de pays d'Oc sont admises.

Article 2 : L'arrêté interministériel du 8 décembre 2017 relatif à l'indication géographique protégée " Pays d'Oc " est annulé en tant qu'il homologue celles des dispositions du cahier des charges de cette indication géographique protégée relatives aux vins mousseux de qualité rouges, rosés, blancs, gris et gris de gris.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'Institut national de l'origine et de la qualité présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de Crémant, au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre de l'action et des comptes publics, à l'Institut national de l'origine et de la qualité, à la Confédération des vins IGP de France et au syndicat des producteurs de vin de pays d'Oc.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 418082
Date de la décision : 10/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2019, n° 418082
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:418082.20190510
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