La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/07/2019 | FRANCE | N°418113

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 24 juillet 2019, 418113


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence sur le territoire de la commune de Montpellier en lui faisant notamment obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat central et de demeurer dans les locaux où il réside tous les jours entre 20 heures et 6 heures. Par un jugement n° 1506633 du 20 septembre 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n°

17MA01088 du 10 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 14 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence sur le territoire de la commune de Montpellier en lui faisant notamment obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat central et de demeurer dans les locaux où il réside tous les jours entre 20 heures et 6 heures. Par un jugement n° 1506633 du 20 septembre 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17MA01088 du 10 juillet 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février et 14 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son avocat, la SCP Monod, Colin et Stoclet, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. B...;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 20 novembre 2015, l'état d'urgence permet au ministre de l'intérieur de prononcer l'assignation à résidence, dans un lieu qu'il fixe, d'une personne " à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics ". Selon ces dispositions, le ministre peut prescrire à cette personne " l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine, et dans la limite de trois présentations par jour ". Il revient au juge administratif de s'assurer que les mesures de police administrative prescrites sur le fondement de ces dispositions sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent.

2. M. B...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 juillet 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur, sur le fondement des dispositions mentionnées au point 1., l'a astreint à résider sur le territoire de la commune de Montpellier avec obligation de se présenter trois fois par jour, à 8 heures, 13 heures et 19 heures, au commissariat de police de Montpellier, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et lui a imposé de demeurer tous les jours, de 20 heures à 6 heures, dans les locaux où il réside à Montpellier.

3. En premier lieu, en jugeant que le ministre avait pu prendre en compte, dans le cadre de son appréciation de la menace, les relations directement entretenues par M. B... avec différentes personnes dont son ex-fiancée et la famille de celle-ci et sa fréquentation d'individus liés au jihadisme ayant ultérieurement rejoint la zone irako-syrienne, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.

4. En deuxième lieu, la cour a relevé que la note initiale des services de renseignements sur M. B...portait l'indication " ignorée " devant la rubrique " profession ou établissement scolaire ", alors que l'intéressé justifiait de ses inscriptions professionnelles en qualité de commerçant. En jugeant que cette ignorance était sans incidence sur la légalité de la mesure d'assignation à résidence, qui n'était pas prise en compte dans l'analyse, par l'administration, du comportement du requérant, la cour, qui a suffisamment motivé sa décision sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.

5. En troisième lieu, pour juger que le préfet avait pu légalement estimer qu'il existait, à la date de l'arrêté en litige, des raisons sérieuses de penser que le comportement de M. B... présentait une menace pour l'ordre et la sécurité publics, la cour a relevé les liens étroits que M. B...avait entretenus avec une famille de voisins ayant rejoint la zone irako-syrienne, les résultats de la perquisition à son domicile, au cours de laquelle avaient été trouvés des documents comprenant plusieurs ouvrages habituellement utilisés par les tenants d'une pratique fondamentaliste de l'islam et un cahier de dessins représentant les bannières et emblèmes de " Daech " ainsi que les relations qu'il avait avec d'autres personnes de son quartier également parties combattre en Syrie. La cour a par ailleurs estimé que le motif de l'arrêté selon lequel M. B...avait fait l'objet d'un contrôle routier en compagnie d'un membre d'un groupuscule pro-jihadiste ne suffisait pas à caractériser un comportement dangereux, dès lors qu'il était soutenu sans contradiction que les déplacements en cause avaient un caractère professionnel. Dans ces conditions, eu égard à la situation de fait prévalant à la date à laquelle la décision portant assignation à résidence de M. B...a été prise et compte tenu des informations dont disposait alors l'administration, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.

6. En quatrième lieu, alors que M. B...exposait être commerçant sur les marchés et que le commissariat central de Montpellier est situé à une heure de transport de son domicile, la cour ne pouvait légalement conclure, en l'absence de tout élément avancé par l'administration pour justifier la nécessité de tels déplacements, que l'arrêté attaqué, en obligeant M. B...à se présenter trois fois par jour, à 8 heures, 13 heures et 19 heures, au commissariat de police de Montpellier, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, ne portait pas une atteinte excessive à sa liberté d'aller et venir et à sa liberté d'entreprendre. Dès lors, son arrêt doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B... dirigées contre les modalités de présentation périodique aux services de police fixées par l'arrêté du 14 décembre 2015.

7. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans cette mesure.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'arrêté du 14 décembre 2015, en ce qu'il a fait obligation à M. B...de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Montpellier, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, a porté à la liberté d'aller et de venir et à la liberté d'entreprendre de l'intéressé une atteinte disproportionnée.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande en annulation de la décision de l'arrêté du 14 décembre 2015 en tant qu'il lui a fait obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Montpellier, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat de M.B..., sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 10 juillet 2017 et le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 20 septembre 2016 sont annulés en tant qu'ils statuent sur les modalités de présentation périodique de M. B...aux services de police fixées par l'arrêté du 14 décembre 2015.

Article 2 : L'arrêté du 14 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur a assigné M. B... à résidence sur le territoire de la commune de Montpellier est annulé en tant qu'il lui a fait obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Montpellier, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés.

Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la SCP Monod, Colin et Stoclet, une somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 418113
Date de la décision : 24/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jui. 2019, n° 418113
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Stéphanie Vera
Rapporteur public ?: M. Guillaume Odinet
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:418113.20190724
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award