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02/12/2019 | FRANCE | N°416260

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 02 décembre 2019, 416260


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 1611469 du 28 novembre 2017, enregistrée le 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, le mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 22 juillet 2016, les 20 janvier et 20 octobre 2017 au greffe de ce tribunal, présentés par Mme A... B.... Par cette requête, ces deux mémoires et par deux nouveaux mémoires, enregistrés le 7 mai

2018 et le 7 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 1611469 du 28 novembre 2017, enregistrée le 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, le mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 22 juillet 2016, les 20 janvier et 20 octobre 2017 au greffe de ce tribunal, présentés par Mme A... B.... Par cette requête, ces deux mémoires et par deux nouveaux mémoires, enregistrés le 7 mai 2018 et le 7 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) à lui verser une indemnité de 300 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des illégalités ayant affecté les procédures relatives au recrutement d'un titulaire de la chaire " accessibilité " et ayant fait obstacle à ce que sa candidature soit retenue ;

2°) de mettre à la charge du CNAM la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le décret du 22 mai 1920 portant règlement du Conservatoire national des arts et métiers, notamment son article 26 ;

- le décret n° 88-413 du 22 avril 1988 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Yaël Treille, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme B... et à Me Brouchot, avocat du Conservatoire national des arts et métiers.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 26 du décret du 22 mai 1920 portant règlement du Conservatoire national des arts et métiers : " Lorsqu'une chaire devient vacante, le conseil d'administration est appelé à donner son avis, le conseil scientifique entendu, sur le point de savoir si la chaire doit être maintenue ou modifiée, soit dans son titre, soit dans sa nature. Cet avis est transmis au ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, qui statue. / Si la chaire est maintenue sans modification, l'annonce de la vacance est insérée au Journal officiel. Un mois après la publicité donnée à cet avis, le conseil d'administration se réunit pour dresser, après discussion des titres, le conseil scientifique entendu, une liste de présentation comprenant deux candidats au moins et trois au plus. / La liste de présentation est adressée au ministre. Le ministre invite ensuite l'Institut de France (classe correspondant à l'enseignement de la chaire vacante) à lui présenter de son côté une liste de deux ou trois candidats, qui pourra comprendre les mêmes noms que la liste dressée par le conseil d'administration du conservatoire. / Il est procédé de la même façon pour la publicité et la présentation des candidats en cas de modification de la chaire ou de création d'une chaire nouvelle. / Toutefois, la procédure mentionnée ci-dessus n'est pas obligatoire dans les cas ci-après indiqués : / 1° Proposition de désignation du premier titulaire d'une chaire ; / 2° Demande de mutation d'un professeur titulaire en vue de son affectation à une autre chaire devenue vacante ; / 3° Demande de permutation entre deux professeurs titulaires. / Dans ces trois cas, l'avis du conseil d'administration, le conseil scientifique entendu, suffit ".

2. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 27 avril 2012, le ministre chargé de l'enseignement supérieur a proposé de nommer Mme B... au poste de professeur du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) sur la chaire " accessibilité ", nouvellement créée, et demandé à l'administrateur général de cet établissement de procéder aux consultations prévues par les dispositions de l'article 26 du décret du 22 mai 1920, citées au point 1. Par une délibération du 12 juin 2012, le conseil scientifique de l'établissement a rendu un avis défavorable. Puis, par une délibération du 10 décembre 2012, le conseil d'administration restreint a émis un avis avec 4 abstentions, 2 votes favorables et 2 votes défavorables. Par un courrier du 15 mai 2013, le ministre chargé de l'enseignement supérieur a refusé de proposer la nomination de Mme B... pour pourvoir la chaire " accessibilité " et a demandé à l'administrateur général de " recommencer la procédure d'ouverture du poste ". Une procédure de recrutement a été ouverte par la publication, au Journal officiel du 22 novembre 2013, d'un appel à candidatures destiné à pourvoir la chaire " accessibilité " au CNAM. Mme B..., qui s'est portée candidate, a été auditionnée par une commission de sélection, dont le rapporteur a rédigé un rapport favorable à sa candidature, daté du 16 avril 2014. A la suite de cette audition, ni le conseil scientifique, ni le conseil d'administration du CNAM n'ont délibéré sur la candidature de l'intéressée. Enfin, une nouvelle procédure de recrutement destinée à pourvoir la chaire " accessibilité " au CNAM a été ouverte, par un avis publié au Journal officiel du 4 octobre 2014. Le conseil d'administration du CNAM a classé M. C... en première position et Mme B... en seconde position, puis a transmis cette proposition à la ministre de l'enseignement supérieur. Par un décret du Président de la République du 22 janvier 2016, M. C... a été nommé et titularisé en qualité de professeur du CNAM sur la chaire " accessibilité ". Mme B... demande que le CNAM soit condamné à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des irrégularités qui ont entaché les deux premières procédures suivies.

Sur les illégalités invoquées :

En ce qui concerne la procédure de recrutement engagée en avril 2012 :

3. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions de l'article 26 du décret du 22 mai 1920, citées au point 1, qui exigent que le conseil scientifique et le conseil d'administration du CNAM rendent un avis sur la liste de présentation des candidats à une nouvelle chaire, ne font pas obstacle à ce que ces instances, dès lors qu'elles se prononcent sur ce point, émettent également un avis sur l'opportunité de créer une chaire. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la procédure engagée en avril 2012 pour pourvoir la chaire " accessibilité " du CNAM était irrégulière au seul motif que, dans son avis du 12 juin 2012, le conseil scientifique a émis un avis défavorable à " la proposition de créer une chaire " accessibilité " avec Mme B... comme première titulaire ". Par ailleurs, Mme B... ne saurait utilement soutenir que l'avis rendu par le conseil d'administration restreint lors de sa séance du 2 juillet 2012 entacherait la procédure d'irrégularité, dès lors que l'avis du conseil d'administration restreint sur sa candidature a été rendu lors de sa séance du 10 décembre 2012.

4. En second lieu, l'article 9 du décret du 22 avril 1988 relatif au Conservatoire national des arts et métiers dispose que son conseil d'administration est composé de trente-et-un membres, dont quinze personnalités extérieures à l'établissement et seize représentants de l'établissement, parmi lesquels trois représentants élus des professeurs du CNAM et trois représentants élus des professeurs des universités. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 11 de ce décret : " (...) le conseil d'administration délibère valablement lorsque la moitié au moins des membres en exercice du conseil sont présents ou représentés. Si le quorum n'est pas atteint, le conseil est à nouveau convoqué par son président dans un délai de quinze jours et peut alors valablement délibérer quel que soit le nombre des membres présents ou représentés. Aucun membre ne peut détenir plus d'une procuration. Les délibérations sont prises à la majorité des membres présents ou représentés ". Aux termes de l'article L. 952-16 du code de l'éducation : " Les instances de recrutement du Conservatoire national des arts et métiers, lorsqu'elles sont appelées à se prononcer sur une candidature à un recrutement d'enseignant-chercheur, siègent en formation restreinte aux enseignants-chercheurs, aux personnels assimilés d'un rang au moins égal à celui postulé par l'intéressé et aux personnalités extérieures ".

5. Il résulte de l'article L. 952-16 du code de l'éducation que la formation restreinte du conseil d'administration du CNAM qui doit se prononcer sur les candidatures au poste de professeur titulaire d'une chaire comprend non seulement les représentants élus des professeurs, mais également les personnalités extérieures. Par suite, la condition de quorum applicable à la formation restreinte du conseil d'administration du CNAM, fixée par le deuxième alinéa de l'article 11 du décret du 22 avril 1988, doit être appréciée au regard du nombre total des représentants élus des professeurs et des personnalités extérieures. Or, lors de la séance de la formation restreinte du conseil d'administration du CNAM du 10 décembre 2012, au cours de laquelle celui-ci a émis un avis sur la proposition de nommer Mme B... titulaire de la chaire " accessibilité ", seuls huit membres étaient présents ou représentés. Il suit de là que Mme B..., qui n'est pas contredite sur ce point, est fondée à soutenir que le quorum requis par l'article 11 du décret du 22 avril 1988 n'était pas atteint et que, dès lors, la délibération adoptée par le conseil d'administration restreint du CNAM lors de sa séance du 10 décembre 2012 est entachée d'irrégularité pour ce motif.

En ce qui concerne la procédure engagée en novembre 2013 :

6. En premier lieu, si Mme B... soutient que le CNAM n'aurait pas dû publier un avis de vacance, dès lors qu'il s'agissait de désigner " le premier titulaire d'une chaire " nouvellement créée, ce qui n'impose pas la publication d'un avis de vacance au Journal officiel en vertu des cinquième et sixième alinéas de l'article 26 du décret du 22 mai 1920, et que la procédure ainsi engagée en novembre 2013 est de ce fait irrégulière, il résulte des termes mêmes de l'article 26 du décret du 22 mai 1920 cité au point 1 que ses dispositions permettent qu'un avis de vacance soit publié en vue de recruter " le premier titulaire d'une chaire " nouvellement créée. Par suite, le moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

7. En second lieu, si un jury de concours, qui apprécie souverainement l'aptitude des candidats à occuper les postes ouverts au concours, peut ne pas retenir autant de candidats qu'il y a de postes à pourvoir, le conseil d'administration du CNAM et l'Institut de France n'agissent pas en cette qualité dans la procédure régie par les dispositions citées au point 1. Dès lors, ces deux autorités ne peuvent, en principe, se dispenser de proposer au ministre deux ou trois candidatures, en application des dispositions de l'article 26 du décret du 22 mai 1920 ; il leur est seulement loisible d'assortir leurs propositions d'un ordre de classement ou des observations qu'elles jugent opportunes. Il n'en va autrement que dans les cas où une telle proposition est impossible, soit parce qu'il n'y a qu'un seul candidat, soit parce qu'un seul candidat répond aux exigences minimales pour être légalement nommé. Dans une telle circonstance, il appartient au CNAM de transmettre au ministre le nom de ce candidat.

8. Il résulte de l'instruction que Mme B... était la seule à s'être portée candidate à la chaire " accessibilité " à la suite de l'avis de vacance publié au Journal officiel du 22 novembre 2013 et qu'elle remplissait les exigences minimales pour occuper ce poste. Si le CNAM soutient, dans ses écritures, que le processus de recrutement n'a pu aboutir, compte tenu de l'impossibilité de présenter au ministre chargé de l'enseignement supérieur une liste comprenant deux candidats au moins et trois au plus, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que cette circonstance était sans incidence sur l'obligation, pour le CNAM, de transmettre au ministre une liste de présentation, dès lors que Mme B... s'était portée candidate et remplissait les exigences minimales pour être nommée. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que la procédure ouverte par l'avis de vacance publié en 2013 a été entachée d'irrégularité en ce que le conseil d'administration du CNAM n'a transmis aucune candidature au ministre.

Sur les demandes indemnitaires :

9. Mme B... demande réparation du préjudice matériel, consistant en une perte de revenus et en une diminution de sa pension, ainsi que du préjudice professionnel et du préjudice moral tiré de l'atteinte à sa réputation professionnelle, qu'elle estime avoir subis en raison des irrégularités qui ont entaché tant la procédure engagée en avril 2012 que celle qui a été engagée en novembre 2013 pour pourvoir le poste de titulaire de la chaire " accessibilité ". Il résulte toutefois de l'instruction que le ministre de l'enseignement supérieur n'a pas souhaité la nommer titulaire de la chaire " accessibilité " à l'issue de la procédure engagée en 2012, de sorte que l'irrégularité de la procédure antérieurement conduite au sein du CNAM est sans lien avec les préjudices allégués par Mme B.... Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que, si la procédure de recrutement engagée en 2013 a été entachée de l'irrégularité mentionnée au point 8, cette irrégularité ne peut être regardée comme l'origine directe des préjudices qu'invoque la requérante, dès lors que sa nomination par le ministre était, en tout état de cause, purement éventuelle.

10. Il en résulte que Mme B... n'est pas fondée à demander que le CNAM soit condamné à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des procédures de recrutement conduites en 2012 et 2013

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CNAM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme que demande le CNAM au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Conservatoire national des arts et métiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au Conservatoire national des arts et métiers.

Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416260
Date de la décision : 02/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 déc. 2019, n° 416260
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Yaël Treille
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; BROUCHOT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:416260.20191202
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