La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/07/2020 | FRANCE | N°441146

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 juillet 2020, 441146


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 17 juin et le 7 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Zentiva France demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, révélée par communiqué de presse du 25 mai 2020, de

mettre fin à la recommandation temporaire d'utilisation des spécialités à base de Ba...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 17 juin et le 7 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Zentiva France demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, révélée par communiqué de presse du 25 mai 2020, de mettre fin à la recommandation temporaire d'utilisation des spécialités à base de Baclofène, ensemble la décision du directeur général de l'ANSM du 29 mai 2020 rejetant la demande de retrait de cette communication ;

2°) d'enjoindre au directeur général de l'ANSM de procéder au retrait de son site internet de la communication du 25 mai 2020 dans un délai de 12 heures à compter de la notification de la présente ordonnance ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au directeur général de l'ANSM de procéder à l'édiction d'une nouvelle recommandation temporaire d'utilisation du Baclofène Zentiva dans l'alcoolo-dépendance ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au directeur général de ANSM de procéder à la modification de la communication du 25 mai 2020 sur son site internet dans un délai de 12 heures à compter de la notification de la présente ordonnance en vue de fournir aux patients une information claire et complète leur permettant de comprendre et d'anticiper la mise en oeuvre du processus de passage d'un traitement à l'autre, d'adapter le contenu de la communication aux patients concernés, d'évoquer le suivi médical et psychosocial qui pourra accompagner la fin de la recommandation temporaire d'utilisation en vue de rassurer les patients concernés, d'utiliser une tournure conditionnelle au sein de la nouvelle communication s'agissant de la fin de la recommandation temporaire d'utilisation dans l'hypothèse où la nouvelle communication annoncerait une éventuelle décision d'abrogation de la recommandation temporaire d'utilisation.

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société requérante soutient que :

- les décisions administratives attaquées revêtent le caractère d'un acte faisant grief que le Conseil d'Etat est compétent pour en connaître en premier et dernier ressort ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que les décisions attaquées portent un préjudice grave et immédiat, d'une part, à l'intérêt de la santé publique et, en particulier, à l'intérêt des patients bénéficiant du baclofène pour traiter une affection grave d'alcoolo-dépendance, d'autre part, à ses propres intérêts, en ce que, en premier lieu, la prolongation de la recommandation temporaire d'utilisation jusqu'au 17 septembre 2020 l'a conduite à constituer un stock de médicaments et à conclure des engagements contractuel, en deuxième lieu, la fin anticipée de cette recommandation entraine de graves conséquences financières pour la société, en troisième lieu, l'abrogation de cette recommandation est intervenue le 15 juin 2020 et, en dernier lieu, le risque d'interruption du traitement des patient est imminent, du fait de la suspension de l'autorisation de mise sur le marché du Bacloclur ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par ordonnance du 17 juin 2020 ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées ;

- la décision du 25 mai 2020 mettant fin à la recommandation temporaire d'utilisation pour les spécialités à base de baclofène indiquées dans le traitement de l'alcoolo-dépendance est entachée d'irrégularité en ce que la compétence de son auteur n'est pas établie, dès lors notamment qu'elle est dépourvue de signature ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière en ce que, d'une part, elle a été adoptée en méconnaissance de l'article R. 121-76-8 du code de la santé publique et, d'autre part, elle n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article R. 5121-76-8 du code de la santé publique en ce que, en l'absence de toute situation d'urgence, elle entre en vigueur moins d'un mois après réception du courrier de l'ANSM l'ayant informée de son intention de mettre fin à la recommandation temporaire d'utilisation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article R. 121-76-9 du code de la santé publique dès lors qu'elle constitue indirectement une communication promotionnelle en faveur du Bacloclur ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle abroge la recommandation temporaire d'utilisation pour les spécialités à base de baclofène au motif de la commercialisation du médicament Baclocur qui dispose d'une autorisation de mise sur le marché, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 121-12-1 du code de la santé publique ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce que l'ANSM a fixé la date de commercialisation effective du Bacloclur au 15 juin 2020 pour déterminer la date de fin de la recommandation temporaire d'utilisation du Baclofène Zentiva, alors même que cette notion n'était pas définie par l'ANSM, qu'elle ne repose sur aucune disposition légale ou réglementaire et qu'aucune certitude n'est attachée à la date de commercialisation du Bacloclur en raison de l'état d'urgence sanitaire ;

- elle est irrégulière en ce que la commercialisation d'une spécialité sous autorisation de mise sur le marché n'implique pas la fin de la recommandation temporaire d'utilisation ;

- la décision du directeur général de l'ANSM du 29 mai 2020 est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits en ce qu'elle estime que la décision du 25 mai 2020 n'a pas pour objet de mettre fin à la recommandation temporaire d'utilisation pour les spécialités à base de baclofène indiquées dans le traitement de l'alcoolo-dépendance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2020, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé conclut à au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Zentiva la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les conclusions de la requête sont dépourvues d'objet dès lors que, postérieurement à l'introduction du recours, la recommandation temporaire d'utilisation sur les spécialités Lioresal 10 mg et Baclofène Zentiva 10 mg dans le traitement des patients alcoolo-dépendants a été remise en vigueur, à raison de la suspension de l'exécution de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclocur 10 mg, que la requête est irrecevable, dès lors que le communiqué de l'ANSM publié sur son site internet le 25 mai 2020 ne révèle pas une décision de mettre fin à la recommandation temporaire d'utilisation pour les spécialités à base de baclofène, que la condition d'urgence n'est pas remplie et, enfin, qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.

La requête a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Zentiva France et, d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 juillet 2020, à 9 heures :

- Me Molinie, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Zentiva France ;

- les représentants de la société Zentiva France ;

- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

- le représentant de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-1 du même code : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.

Sur le cadre du litige :

3. Aux termes de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : " I. - Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. (...) / II. - Les recommandations temporaires d'utilisation mentionnées au I sont établies pour une durée maximale de trois ans, renouvelable (...) ".

4. Depuis le 17 mars 2014, des recommandations temporaires d'utilisation successives, en date des 17 mars 2014, 15 mars 2017 et 13 mars 2018, ont été accordées aux spécialités à base de Baclofène Lioresal 10 mg et Balcofène Zentiva 10 mg dans l'indication de l'aide au maintien de l'abstinence après sevrage pour des patients alcoolo-dépendants et de la réduction majeure de la consommation d'alcool chez les patients alcoolo-dépendants à haut risque. Par décisions du 22 octobre 2018, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a autorisé la mise sur le marché des spécialités Baclocur, dont le principe actif est le baclofène, indiquées à des fins de réduction de la consommation d'alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les patients adultes ayant une dépendance à l'alcool et une consommation d'alcool à risque élevé. Par un communiqué de presse du 23 octobre 2018, le directeur général de l'agence a annoncé la délivrance de ces autorisations et indiqué que la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolo-dépendants serait prolongée jusqu'à la commercialisation effective de la spécialité Baclocur. Par des décisions du 15 mars 2019 puis du 16 septembre 2019, cette recommandation a été renouvelée jusqu'au 17 septembre 2020. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a publié le 25 mai 2020 sur son site internet une nouvelle communication annonçant, d'une part, que le médicament Baclocur sera commercialisé à compter du 15 juin 2020 et, d'autre part, que cette commercialisation mettra fin à la recommandation temporaire d'utilisation pour les autres spécialités à base de baclofène dans cette indication. Le directeur général de l'agence nationale a, par un courrier du 29 mai 2020, rejeté la demande de retrait de cette communication formée par la société Zentiva France. Par une ordonnance du 17 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a cependant suspendu l'exécution des décisions du directeur général de l'agence nationale du 22 octobre 2018 accordant à la société Ethypharm l'autorisation de mise sur le marché des spécialités Bacloclur jusqu'à l'intervention du jugement au fond, faisant ainsi obstacle à la commercialisation de ce médicament.

Sur la demande en référé :

5. La société Zentiva France demande, à titre principal, au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, révélée par communiqué de presse du 25 mai 2020, de mettre fin à la recommandation temporaire d'utilisation des spécialités à base de baclofène, ensemble la décision du directeur général de l'ANSM du 29 mai 2020 rejetant la demande de retrait de cette communication et, d'autre part, d'enjoindre au directeur général de l'agence nationale de procéder au retrait de son site internet de la communication du 25 mai 2020.

6. Pour justifier de l'urgence à ordonner la suspension demandée, la société requérante fait valoir que les décisions attaquées portent un préjudice grave et immédiat, d'une part, à l'intérêt de la santé publique et, en particulier, à l'intérêt des patients susceptibles de bénéficier du baclofène pour traiter l'affection grave d'alcoolo-dépendance dont ils sont atteints et, d'autre part, à ses propres intérêts. Toutefois, il résulte de l'instruction que, du fait de la suspension de l'exécution des décisions du directeur général de l'agence nationale du 22 octobre 2018 accordant à la société Ethypharm l'autorisation de mise sur le marché des spécialités Bacloclur, la distribution des spécialités à base de baclofène dans cette même indication, dont le Bacofène Zentiva 10 mg, est demeurée ininterrompue, permettant ainsi aux patients d'accéder à leur traitement, sans qu'y fasse obstacle la diffusion déjà effectuée et toujours accessible d'un guide pour les prescripteurs et de brochures à remettre aux patients destinés à favoriser la bon usage du Baclocur, expressément liés à l'utilisation de ce médicament dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché. Par ailleurs, par une communication du 18 juin 2020, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a fait savoir que l'accès au baclofène dans l'alcoolo-dépendance est toujours possible pour les patients dans le cadre de la recommandation temporaire d'utilisation, l'agence nationale ayant fait connaître à l'audience publique son intention de maintenir cette recommandation, dont le terme est actuellement fixée au 17 septembre 2020, tant que la commercialisation du médicament Bacloclur ne pourra reprendre. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie.

7. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, ni de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des actes attaqués, la requête présentée par la société Zentiva France doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société requérante une somme à verser à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en application de ces mêmes dispositions.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de la société Zentiva France est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Zentiva France et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 441146
Date de la décision : 10/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2020, n° 441146
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LE PRADO ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:441146.20200710
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award