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21/07/2021 | FRANCE | N°435566

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 21 juillet 2021, 435566


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 octobre 2019, 1er mai 2020 et 2 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération nationale autonome de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Développement durable demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 août 2019 de la ministre de la transition écologique et solidaire et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relatif à

la procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au se...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 octobre 2019, 1er mai 2020 et 2 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération nationale autonome de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Développement durable demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 12 août 2019 de la ministre de la transition écologique et solidaire et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales relatif à la procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au sein de leurs deux ministères ;

2°) d'enjoindre à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte, un nouvel arrêté conforme aux prescriptions applicables et soumis à la consultation préalable du comité technique ministériel commun ;

3°) d'enjoindre à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales de retirer de l'intranet ministériel l'article présentant la procédure de signalement des alertes, et de soumettre à l'avis du comité technique ministériel, dans les plus brefs délais, un projet d'article portant diffusion de cette procédure aux agents collaborateurs extérieurs et occasionnels des deux ministères ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;

- le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a donné un cadre commun et harmonisé au dispositif relatif aux lanceurs d'alerte, remplaçant ainsi la plupart des dispositifs spécifiques ou sectoriels qui avaient été auparavant instaurés notamment dans le secteur public. Le III de l'article 8 de cette loi impose aux administrations de l'Etat d'établir une procédure de recueil des signalements. Pris pour l'application de ces dispositions, le décret du 27 avril 2017 dispose, en son article 1er, que la procédure de recueil des signalements est créée par arrêté du ou des ministres compétents dans les administrations centrales, les services à compétence nationale et les services déconcentrés relevant des administrations de l'Etat. La fédération nationale autonome de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Développement durable demande l'annulation de l'arrêté du 12 août 2019 par lequel la ministre de la transition écologique et solidaire et la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ont défini la procédure applicable au titre de ces deux ministères.

2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance (...) ". Aux termes de l'article 8 de la même loi : " I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci (...). / III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'Etat, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte. "

Sur la légalité externe de l'arrêté :

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services (...) ". Il résulte de ces dispositions que M. B... A..., chef de service, adjoint à la secrétaire générale du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, avait compétence pour signer l'arrêté du 12 août 2019 en litige pour les deux ministres et par délégation de celles-ci. Le moyen tiré de ce que ce dernier aurait été pris par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté.

4. Aux termes de l'article 15 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction alors applicable : " (...) II.- Les comités techniques connaissent des questions relatives à l'organisation et au fonctionnement des services, des questions relatives aux effectifs, aux emplois et aux compétences, des projets de statuts particuliers ainsi que des questions prévues par un décret en Conseil d'Etat. (...) IV.- Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 34 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat : " Les comités techniques sont consultés, (...) sur les questions et projets de textes relatifs : / 1° A l'organisation et au fonctionnement des administrations, établissements ou services ; / (...) ; / 3° Aux règles statutaires et aux règles relatives à l'échelonnement indiciaire ; / (...) 4° Aux évolutions technologiques et de méthodes de travail des administrations, établissements ou services et à leur incidence sur les personnels ; (...) ".

5. Les dispositions contestées, qui se bornent à définir les conditions selon lesquelles les signalements émis par les lanceurs d'alerte sont recueillis au sein des deux ministères, en désignant comme référent le collège assurant la fonction de référent déontologue, et à préciser les suites à donner le cas échéant à ces signalements ainsi que les modalités d'information des agents sur cette procédure, n'affectent ni les règles statutaires ni les méthodes de travail des administrations, établissements et services en cause et n'emportent pas de conséquences directes et significatives sur leur organisation ou leur fonctionnement, quand bien même tout agent du ministère serait susceptible d'y avoir recours. Par suite, elles pouvaient être adoptées sans que le comité technique ministériel ne soit au préalable consulté.

Sur la légalité interne de l'arrêté :

6. En premier lieu, si l'article 1er de l'arrêté attaqué, qui détermine les administrations, services et établissements publics rattachés aux deux ministères auxquels s'applique la procédure, omet de rappeler que le recueil des signalements est également ouvert à leurs collaborateurs extérieurs et occasionnels conformément aux dispositions du III de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016, rappelées à l'article 6 du décret du 19 avril 2017, cette omission n'a ni pour objet ni pour effet de restreindre le champ d'application défini par la loi, la procédure fixée par l'arrêté devant, même sans mention expresse, être regardée comme applicable aux collaborateurs extérieurs et occasionnels des services en cause. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté litigieux serait, pour ce motif, entaché illégalité.

7. En deuxième lieu, les dispositions législatives et réglementaires relatives au signalement d'alerte s'appliquent sans préjudice des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale dont elles ne modifient pas la portée. Dès lors, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'arrêté litigieux méconnaîtraient cet article, en tant qu'elles mentionnent le caractère facultatif du signalement d'alerte, ni en tant qu'elles désignent le " référent alerte " comme seul destinataire au sens de l'arrêté lorsque le signalement a été adressé au supérieur hiérarchique direct ou indirect. En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, cette dernière disposition n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la possibilité, dont disposent les lanceurs d'alerte en application du IV de l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016 cité au point 2, d'adresser leur signalement au Défenseur des droits.

8. En troisième lieu, aux termes du I de l'article 5 du décret du 19 avril 2017 : " La procédure de recueil des signalements précise les modalités selon lesquelles l'auteur du signalement : / 1° Adresse son signalement au supérieur hiérarchique, direct ou indirect, à l'employeur ou au référent mentionné à l'article 4 du présent décret ; / 2° Fournit les faits, informations ou documents quel que soit leur forme ou leur support de nature à étayer son signalement lorsqu'il dispose de tels éléments (...) ". La fédération requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en imposant, lorsque le signalement est adressé directement au " référent alerte ", un envoi par courrier postal à peine d'irrecevabilité, l'arrêté attaqué serait contraire aux dispositions précitées qui, si elles disposent, ainsi que le rappelle d'ailleurs l'article 5 de l'arrêté, que les documents susceptibles d'étayer le signalement peuvent revêtir tout type de support, ne prescrivent aucune règle en ce qui concerne les modalités d'envoi du signalement lui-même.

9. En quatrième lieu, si le III de l'article 5 du décret du 19 avril 2017 dispose que la procédure doit mentionner l'existence d'un traitement automatisé des signalements mis en œuvre après autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté qu'elle attaque serait contraire à ces dispositions et entaché d'erreur de droit en ce qu'il ne comporte aucune mention d'un tel traitement, dès lors qu'il est constant que les ministres n'ont mis en œuvre aucun traitement automatisé des signalements, sans que la fédération puisse utilement faire valoir la circonstance que la procédure définie par l'arrêté peut donner lieu à l'utilisation de matériels ou de services informatiques.

10. En cinquième lieu, l'article 10 de l'arrêté en litige dispose que l'information des agents sur la procédure de recueil des signalements d'alerte est assurée par publication sur les sites intranet des ministères ou par tout autre moyen propre à permettre sa connaissance et sa compréhension par l'ensemble des membres de leur personnel. Par suite, le moyen tiré de ce que cet article méconnaîtrait l'article 6 du décret du 19 avril 2017 en limitant aux seuls sites intranet la diffusion de cette information manque en fait.

11. En sixième lieu, la fédération requérante ne conteste pas utilement les dispositions de l'arrêté en litige en faisant valoir la circonstance, postérieure à son édiction, tirée de ce que les ministres n'auraient diffusé aucune information auprès des agents sur la procédure de recueil des signalements.

12. En septième et dernier lieu, l'article 10 de l'arrêté attaqué dispose que l'information diffusée auprès des personnels sur la procédure de recueil des signalements " rappelle notamment le caractère facultatif du signalement d'alerte, ses garanties de confidentialité, les conditions de recevabilité du signalement ainsi que les coordonnées du collège référent déontologue. Elle indique également que l'utilisation abusive du dispositif peut exposer son auteur à des sanctions disciplinaires et peut engager sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1240 du code civil ainsi que sa responsabilité pénale sur le fondement de l'article 226-10 du code pénal en cas de dénonciation calomnieuse. / Elle précise les sanctions encourues. ". Il résulte des termes même de cet article que les mentions qu'il impose de faire figurer dans l'information diffusée auprès des personnels ne sont pas définies de manière exhaustive, de sorte qu'il ne fait pas obstacle à ce que l'ensemble des garanties dont bénéficie l'auteur du signalement soient effectivement portées à la connaissance des personnels intéressés. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un détournement de pouvoir tiré de ce que ces dispositions tendraient à dissuader tout signalement d'alerte en ne rappelant que les possibilités de sanction en cas d'usage abusif de la procédure ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la fédération nationale autonome de l'UNSA Développement durable est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la fédération nationale autonome de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Développement durable, à la ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 435566
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2021, n° 435566
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:435566.20210721
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