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28/10/2021 | FRANCE | N°450132

France | France, Conseil d'État, Formation spécialisée, 28 octobre 2021, 450132


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) de vérifier si le traitement automatisé de données à caractère personnel CRISTINA mis en œuvre par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) contient des données le concernant ;

2°) le cas échéant, d'annuler la décision, révélée par le courrier de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 21 décembre 2020, par laquelle le mi

nistre de l'intérieur lui a refusé l'accès aux données susceptibles de le concerner figurant ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) de vérifier si le traitement automatisé de données à caractère personnel CRISTINA mis en œuvre par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) contient des données le concernant ;

2°) le cas échéant, d'annuler la décision, révélée par le courrier de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 21 décembre 2020, par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'accès aux données susceptibles de le concerner figurant dans ce traitement ;

3°) le cas échéant, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui communiquer les informations le concernant contenues dans le fichier dénommé CRISTINA, de procéder à leur effacement et subsidiairement à leur rectification, dans un délai de deux mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) subsidiairement, dire que le fichier CRISTINA ne contient aucune donnée le concernant ;

5°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait du signalement dont il a fait l'objet :

6°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une séance à huis-clos, d'une part, M. D... et la SCP Anne Sevaux et Paul Mathonnet, son avocat, et d'autre part, le ministre de l'intérieur et la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui ont été mis à même de prendre la parole avant les conclusions ;

Et après avoir entendu en séance :

- le rapport de M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat,

- et, hors la présence des parties, les conclusions de M. Villette, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu des dispositions de l'article 118 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et des dispositions de l'article 143 du décret susvisé du 29 mai 2019, lorsqu'un traitement intéresse la sûreté de l'Etat ou la défense, les demandes tendant à l'exercice du droit d'accès, de rectification ou d'effacement sont adressées à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Celle-ci désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Lorsque la Commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication de données qui y sont contenues, ou l'information selon laquelle le traitement ne contient aucune donnée concernant le demandeur, ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données ou cette information peuvent être communiquées au requérant. Dans le cas contraire, la Commission se borne à notifier au requérant qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans autre précision, avec la mention des voies et délais de recours.

2. En vertu de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'Etat et intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), publié avec l'arrêté autorisant le traitement. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 6 de la même loi doivent être autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé de la Commission, publié avec ce décret. Un décret en Conseil d'Etat peut dispenser de publication l'acte réglementaire autorisant la mise en œuvre de ces traitements. Le sens de l'avis émis par la CNIL est alors publié avec ce décret.

3. L'article L. 841-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en œuvre du droit d'accès aux traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'Etat et intéressant la sûreté de l'Etat ou la défense, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. En vertu de l'article R. 841-2 du même code, figure notamment au nombre de ces traitements le fichier dénommé CRISTINA.

4. L'article L. 773-8 du code de justice administrative dispose que, lorsqu'elle traite des requêtes relatives à la mise en œuvre du droit d'accès mentionné au point 2, " la formation de jugement se fonde sur les éléments contenus, le cas échéant, dans le traitement sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement. Toutefois, lorsqu'elle constate que le traitement ou la partie de traitement faisant l'objet du litige comporte des données à caractère personnel le concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite, elle en informe le requérant, sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut indemniser le requérant ". L'article R. 773-20 du même code précise que : " Le défendeur indique au Conseil d'Etat, au moment du dépôt de ses mémoires et pièces, les passages de ses productions et, le cas échéant, de celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui sont protégés par le secret de la défense nationale. /Les mémoires et les pièces jointes produits par le défendeur et, le cas échéant, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont communiqués au requérant, à l'exception des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement. /Lorsqu'une intervention est formée, le président de la formation spécialisée ordonne, s'il y a lieu, que le mémoire soit communiqué aux parties, et à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles mentionnées à l'alinéa précédent ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a saisi la CNIL afin de pouvoir accéder aux données susceptibles de le concerner figurant dans le fichier CRISTINA. La Commission a désigné, en application de l'article 118 de la loi du 6 janvier 1978, un membre pour mener toutes investigations utiles et faire procéder, le cas échéant, aux modifications nécessaires. Par une lettre du 21 décembre 2020, la présidente de la Commission a informé M. D... qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications demandées et que la procédure était terminée, sans lui apporter d'autres informations. M. D... demande au Conseil d'Etat de vérifier si des données susceptibles de le concerner figurent dans le fichier litigieux et, le cas échéant, d'annuler le refus du ministre de l'intérieur de lui donner accès à ces données et d'enjoindre au ministre de les lui communiquer, de les supprimer ou de les rectifier. Il demande également à ce que le Conseil d'Etat dise, le cas échéant, que ce fichier ne comprend aucune donnée le concernant.

6. Le ministre de l'intérieur a communiqué au Conseil d'Etat, dans les conditions prévues à l'article R. 773-20 du code de justice administrative, les éléments susceptibles d'être relatifs à la situation de l'intéressé. Le ministre a, en outre, communiqué l'acte réglementaire, non publié, créant le fichier CRISTINA.

7. Il appartient à la formation spécialisée, créée par l'article L. 773-2 du code de justice administrative précité, saisie de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier figurant à l'article R. 841-2 du code de la sécurité intérieure, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Pour ce faire, elle peut relever d'office tout moyen ainsi que le prévoit l'article L. 773-5 du code de justice administrative. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, la formation de jugement rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité soit que les données à caractère personnel le concernant sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur consultation est interdite, elle en informe le requérant sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge dans les conditions prévues à l'article R. 773-21 du code de justice administrative, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données illégales. Dans pareil cas, doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification.

8. Les conditions, ainsi décrites, dans lesquelles la formation spécialisée remplit son office juridictionnel ne portent pas, contrairement à ce qui est soutenu, une atteinte excessive au caractère contradictoire de la procédure garantie notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au droit à la protection de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de cette même convention. La dérogation apportée, par les dispositions citées au point 3, au caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, qui a pour seul objet de porter à la connaissance des juges des éléments couverts par le secret de la défense nationale et qui ne peuvent, dès lors, être communiqués au requérant, permet en effet à la formation spécialisée de statuer en toute connaissance de cause. Les pouvoirs dont elle est investie pour instruire les requêtes, relever d'office toutes les illégalités qu'elle constate et enjoindre à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de remédier aux illégalités constatées garantissent l'effectivité du contrôle juridictionnel de l'exercice du droit d'accès indirect aux données personnelles figurant dans des traitements intéressant la sûreté de l'Etat.

9. La formation spécialisée a procédé à l'examen de l'acte réglementaire autorisant la création du fichier litigieux ainsi que des éléments fournis par le ministre et par la CNIL, laquelle a effectué les diligences qui lui incombent dans le respect des règles de compétence et de procédure applicables. Il résulte de cet examen, qui s'est déroulé selon les modalités décrites au point précédent, qui n'ont révélé aucune illégalité, que les conclusions de M. D..., y compris ses conclusions à fin d'injonction, ses conclusions indemnitaires et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2021 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président de la formation spécialisée, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Mathieu Herondart, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 28 octobre 2021.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Mathieu Herondart

La secrétaire :

Signé : Mme C... B...


Synthèse
Formation : Formation spécialisée
Numéro d'arrêt : 450132
Date de la décision : 28/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 oct. 2021, n° 450132
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mathieu Herondart
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:450132.20211028
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