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03/03/2023 | FRANCE | N°461485

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 03 mars 2023, 461485


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 15 février, 21 septembre, 30 novembre et 2 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE), M. D... H..., M. G... A..., Mme C... E..., Mme F... M..., M. I... K..., Mme L... N..., M. B... J... demandent au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir les deuxièmes alinéas du b) et du c) du 1° de l'article 1er du décret n° 2022-176 du 14

février 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les m...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 15 février, 21 septembre, 30 novembre et 2 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE), M. D... H..., M. G... A..., Mme C... E..., Mme F... M..., M. I... K..., Mme L... N..., M. B... J... demandent au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir les deuxièmes alinéas du b) et du c) du 1° de l'article 1er du décret n° 2022-176 du 14 février 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de modifier les dispositions contestées afin de prendre en compte les différences immunitaires entre les personnes eu égard à leur situation vaccinale, et ce dans un délai de 7 jours à compter de la notification de sa décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a précisé les mesures de lutte contre l'épidémie de covid-19 à la suite de l'expiration, le 1er juin 2021, de l'état d'urgence sanitaire qui avait été déclenché en octobre 2020. Face à une situation sanitaire marquée par une circulation active du virus sur l'ensemble du territoire, cette loi a été modifiée par la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique. Dans sa rédaction ainsi modifiée et applicable à la date des dispositions attaquées, le II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 permettait au Premier ministre d'instituer, un dispositif dit de " passe vaccinal " " dans l'intérêt de la santé publique, aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation ". En application du 1° du A du II, le Premier ministre pouvait, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19. En application du 2° du A du II, le Premier ministre pouvait, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, subordonner à la présentation, par les personnes âgées d'au moins 16 ans, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, dit " passe vaccinal ", l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements. Enfin, le 3° du A du II précisait les hypothèses dans lesquelles aucun certificat n'était requis ou celles dans lesquelles il demeurait possible de présenter, outre le " passe vaccinal ", un certificat de rétablissement ou le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19.

2. En application de ces dispositions, l'article 2-2 du décret du 1er juin 2021 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, précisait les conditions de validité des justificatifs de statut vaccinal, des certificats de rétablissement ainsi que des résultats d'examens de dépistage virologique. S'agissant des justificatifs de statut vaccinal, il fixait les conditions dans lesquelles l'administration de doses de vaccins à acide ribonucléique (ARN) messager permettait de considérer qu'un tel justificatif attestait d'un schéma vaccinal complet. Dans sa rédaction issue des dispositions contestées du décret du 14 février 2022, il précisait qu'un schéma vaccinal ne restait reconnu comme complet que si une nouvelle dose, dite " dose complémentaire ", de vaccin était administrée au plus tard quatre mois, contre sept auparavant, suivant l'injection de la dernière des doses, dites " premières doses ", requises. De plus, dans sa rédaction issue des dispositions contestées, cet article précisait également qu'une infection à la covid-19 équivalait à l'administration de l'une des premières doses ou de la dose complémentaire. S'agissant des certificats de rétablissement, cet article en réduisait, dans sa rédaction issue des dispositions contestées, la durée de validité à quatre mois, contre six auparavant, lorsqu'un tel certificat était présenté à défaut d'un justificatif de statut vaccinal ou dans le cadre des dispositions relatives à la vaccination obligatoire. En revanche, la durée de validité d'un tel certificat demeurait fixée à six mois pour la mise en œuvre des règles relatives aux déplacements à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution.

Sur la recevabilité des conclusions de la requête :

3. Il ressort des statuts de l'association ONICE qu'elle s'est donné pour objet d'" Informer les citoyens sur le fonctionnement de l'exécutif et sa composition ; Analyser les décisions de l'exécutif et ses pratiques ; Contrôler les projets de loi ainsi que la légalité des décrets et arrêtés émanant du gouvernement ; Agir en justice pour la préserve des libertés et droits fondamentaux ". Eu égard à la généralité de ces termes, l'association ONICE ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions contestées. Par suite, la requête est irrecevable en tant qu'elle émane de cette association.

Sur les conclusions de la requête à fins d'annulation :

4. Les requérants demandent l'annulation des dispositions du b) et du c) du 1° de l'article 1er du décret 14 février 2022 qui ont réduit à quatre mois, d'une part, le délai dans lequel une dose complémentaire de vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager devait être administrée afin qu'un schéma vaccinal reste considéré comme complet et, d'autre part, la durée de validité des certificats de rétablissement.

5. En premier lieu, les requérants soutiennent que ces dispositions portent une atteinte grave et manifestement disproportionnée à la liberté d'aller et venir, eu égard aux données scientifiques relatives à l'immunité conférée par l'administration de doses de vaccin ou d'une contamination à la covid-19 et à l'amélioration de la situation épidémique à leur date d'adoption.

6. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que les signes d'amélioration invoqués par les requérants étaient intervenus de façon récente, après plusieurs semaines marquées, en moyenne, par la dégradation continue des indicateurs sanitaires, dans le contexte d'une vague épidémique sans précédent depuis le début de la crise sanitaire, comme en témoigne d'ailleurs le graphique produit par les requérants, notamment causée par l'apparition et la propagation rapide du variant omicron du virus responsable de la covid-19, dont la contagiosité était plus importante que celle des variants précédents. Ainsi, à la date des dispositions attaquées, la circulation du virus et de nombreux indicateurs sanitaires demeuraient à un niveau élevé et préoccupant, le taux d'occupation des lits par des patients contaminés par la covid-19 en réanimation, en soins intensifs ou en unité de surveillance étant de 65,16 % au 14 février 2022. L'amélioration de la situation sanitaire dont se prévalent les requérants était donc, à cette date, incertaine, récente et précaire.

7. D'autre part, à la date du décret attaqué, les connaissances relatives à la protection immunitaire acquise par une contamination par la covid-19 ou par un schéma vaccinal à deux doses indiquaient que cette protection diminuait avec le temps et qu'elle était encore davantage réduite par l'apparition du variant omicron. Il ressort ainsi des avis rendus au gouvernement le 14 février 2022 par le comité scientifique, alors prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, et la Haute autorité de santé que la protection conférée par l'administration de deux doses de certains vaccins diminuait après trois à quatre mois, s'établissant ainsi à 34 % contre le variant omicron quatre mois après l'administration des premières doses. De plus, la Haute autorité de santé avait recommandé, dans ses avis du 23 décembre 2021 et du 14 février 2022, que l'administration de doses complémentaires puisse intervenir à partir de trois mois après la primovaccination. De même, le comité scientifique avait donné, le 14 février 2022, un avis favorable aux mesures prévues par les dispositions contestées. Par ailleurs, le ministre de la santé et de la prévention fait notamment valoir des études indiquant que les patients précédemment infectés par d'autres variants du virus ne neutralisaient que rarement le variant omicron et ne le neutralisaient quasiment plus six mois après leur infection. En revanche, les requérants n'établissent pas que les études qu'ils invoquent, notamment celle publiée en octobre 2021, tiennent compte des évolutions de l'épidémie provoquées par l'apparition et la propagation du variant omicron dans les dernières semaines de l'année 2021. Par ailleurs, les requérants ne produisent aucune pièce au soutien de leurs affirmations relatives aux mérites comparés de l'immunité ressortissant d'une infection et de celle découlant d'une vaccination.

8. Il en résulte que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions contestées, dont la mise en œuvre permettait la levée des autres mesures barrières et le maintien de l'accès à certains lieux, établissement ou évènements aux personnes à risque, ne poursuivaient pas l'objectif à valeur constitutionnelle de préservation de la santé et portaient une atteinte grave et manifestement disproportionnée à la liberté d'aller et venir. En outre, si les requérants relèvent que la réduction de la durée de validité d'un schéma vaccinal n'aurait laissé qu'un mois pour procéder à l'administration d'une dose complémentaire, cette circonstance n'est par elle-même pas de nature à affecter la légalité des dispositions contestées. Le moyen tiré d'une atteinte grave et manifestement disproportionnée à la liberté d'aller et venir ne peut donc qu'être écarté.

9. En second lieu, les requérants soutiennent que les dispositions visées au point 4 sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elles fixent un délai de quatre mois identique pour la durée de validité des certificats de rétablissement et pour le délai dans lequel une dose complémentaire devait être administrée. Toutefois, le principe d'égalité n'implique pas que des personnes se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des régimes différents. De surcroît, et en tout état de cause, le délai fixé par les dispositions contestées, après avis favorable de la Haute autorité de santé et du comité scientifique, est proche du délai au terme duquel la protection immunitaire résultant d'une contamination antérieure ou de la vaccination était, selon les connaissances disponibles à la date des dispositions contestées, significativement affaiblie face au variant omicron. Dans ces circonstances, les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que le choix du pouvoir réglementaire, intervenu dans le contexte sanitaire rappelé au point 6, de retenir un délai identique quelle que soit l'origine de la protection immunitaire n'aurait pas été fait dans l'intérêt de la santé publique et serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

Sur les conclusions subsidiaires aux fins d'injonction :

10. Si les requérants concluent, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de modifier les dispositions contestées dans un délai de 7 jours à compter de la notification de la présente décision, ces dispositions ont été abrogées à compter du 1er août 2022 par le décret du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19. Ces conclusions ont donc perdu leur objet et il n'y a, en tout état de cause, pas lieu d'y statuer.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête de l'association ONICE et autres doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association ONICE et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association ONICE, première dénommée, pour l'ensemble des requérants et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 3 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Naouel Adouane


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 461485
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 mar. 2023, n° 461485
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461485.20230303
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