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15/06/2023 | FRANCE | N°471160

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 15 juin 2023, 471160


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 février et 30 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, l'Association pour le développement de la navigation intérieure et M. B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) avant dire droit, d'ordonner une médiation sur le fondement des articles L. 114-1 et R. 114-1 du code de justice administrative ;

2°) de fixer dès l'enregistrement de la requête une date de clôture de l'instruction en appli

cation de l'article R. 611-11 du code de justice administrative ;

3°) d'annuler p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 février et 30 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, l'Association pour le développement de la navigation intérieure et M. B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) avant dire droit, d'ordonner une médiation sur le fondement des articles L. 114-1 et R. 114-1 du code de justice administrative ;

2°) de fixer dès l'enregistrement de la requête une date de clôture de l'instruction en application de l'article R. 611-11 du code de justice administrative ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur général de Voies navigables de France (VNF) du 21 novembre 2022 fixant le montant des redevances domaniales et des autres redevances applicables aux différents usages du domaine public fluvial confié à Voies navigables de France et de son domaine privé ;

4°) de mettre à la charge de l'établissement public Voies navigables de France la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- la délibération du conseil d'administration de Voies navigables de France n° 01/2014 du 20 mars 2014 portant délégation de pouvoir du conseil d'administration au directeur général ;

- la délibération du conseil d'administration de Voies navigables de France n° 02/2018/2.1 du 28 juin 2018 portant modification de la délégation de pouvoirs du conseil d'administration au directeur général ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Voies navigables de France ;

Considérant ce qui suit :

1. La Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, l'Association pour le développement de la navigation intérieure et M. B... A... demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 novembre 2022 par laquelle le directeur général de l'établissement public Voies navigables de France a fixé, pour l'année 2023, les règles de détermination du montant des redevances domaniales applicables aux différents usages du domaine public fluvial confié à cet établissement public. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, la requête doit être regardée comme tendant uniquement à l'annulation de l'article 2 de cette décision, en tant qu'il fixe le montant de redevance applicable aux stationnements d'embarcations, ainsi que du paragraphe 2 de la fiche 8 A et du paragraphe 1 de la fiche 8 B du barème annexé à cette décision.

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit ordonné une médiation :

2. Aux termes de l'article L. 114-1 du code de justice administrative : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi d'un litige en premier et dernier ressort, il peut, après avoir obtenu l'accord des parties, ordonner une médiation pour tenter de parvenir à un accord entre celles-ci (...) ". Il n'y a pas lieu pour le Conseil d'Etat, dans les circonstances de l'espèce, de proposer une médiation aux parties, à laquelle VNF déclare en tout état de cause s'opposer dans ses écritures en défense.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

3. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ". Aux termes de l'article L. 2125-1 du même code : " Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance (...) ". Aux termes de l'article L. 2125-3 du même code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ".

4. Aux termes de l'article L. 4311-1 du code des transports, " L'établissement public de l'Etat à caractère administratif dénommé " Voies navigables de France " (...) 4° Gère et exploite, en régie directe ou par l'intermédiaire de personnes morales de droit public ou de sociétés qu'il contrôle, le domaine de l'Etat qui lui est confié en vertu de l'article L. 4314-1 ainsi que son domaine privé ". En vertu des articles L. 4314-1 et D. 4314-1 du même code, le domaine confié à VNF est, sous les exceptions prévues par ce dernier article, le domaine public fluvial de l'Etat tel qu'il est défini aux articles L. 2111-7, L. 2111-10 et L. 2111-11 du code général de la propriété des personnes publiques.

5. Aux termes de l'article L. 4312-3 du code des transports : " Le directeur général de Voies navigables de France (...) met en œuvre la politique arrêtée par le conseil d'administration, assure l'exécution de ses délibérations et exerce les compétences que ce dernier lui délègue. / Après accord du conseil d'administration, il peut confier aux agents et aux représentants locaux de l'établissement certaines de ses attributions propres et certaines des compétences que le conseil d'administrations lui a déléguées ". Aux termes de l'article R. 4312-10 du même code : " Le conseil d'administration délibère notamment sur : (...) 5° Le montant (...) des redevances d'occupation domaniale (...) ". Selon l'article R. 4312-12 du même code, " Dans des conditions qu'il détermine, (...) le conseil d'administration peut déléguer une partie de ses pouvoirs au directeur général ". L'article R. 4312-17 dispose enfin que " les directeurs des services territoriaux peuvent, dans les matières où ils ont reçu délégation de pouvoir du directeur général, dans les conditions prévues à l'article L. 4312-3, déléguer leur signature aux personnels de l'établissement qui sont placés sous leur autorité (...) ".

6. Le paragraphe II-7 de l'article 1er de la délibération du 20 mars 2014 portant délégation de pouvoirs du conseil d'administration au directeur général de VNF, modifiée par une délibération du 28 juin 2018, dispose que le conseil d'administration délègue au directeur général, en matière de gestion du domaine public fluvial confié et du domaine privé, le pouvoir de " fixer le montant des droits fixes et des tarifs domaniaux applicables aux différents usages du domaine public fluvial ; créer et fixer les modalités d'application ainsi que les montants des redevances pour service rendu, à l'exception des péages ". L'article 2 de cette même délibération prévoit que " le conseil d'administration donne son accord à la délégation de pouvoir qui peut être consentie par le directeur général aux directeurs des services territoriaux de Voies navigables de France (...) dans la limite de leur compétence territoriale (...) en matière de gestion du domaine public fluvial " et notamment pour " prendre tout acte ou décision relatifs aux occupations temporaires, constitutives ou non de droits réels, du domaine géré par Voies navigables de France portant sur une durée n'excédant pas 18 ans ou sur une superficie inférieure ou égale à 10 hectares et accorder toute convention d'usage temporaire n'excédant pas 5 ans ou portant sur une superficie du domaine inférieure ou égale à 20 hectares ".

7. L'article 2 de la décision du 21 novembre 2022 du directeur général de VNF dispose que : " Le montant des redevances domaniales et des autres redevances applicables compter du 1er janvier 2023 aux différents usages du domaine public fluvial confié à Voies navigables de France et de son domaine privé, est fixé selon le barème joint à la présente décision. / Dans les cas particuliers où l'application du barème joint conduirait à une redevance manifestement inférieure aux avantages de toute nature retirés par les occupants du domaine public, une décision tarifaire exceptionnelle sera prise ".

8. Le barème annexé à cette décision, au paragraphe 2 de sa fiche 8 A, prévoit que le montant mensuel de la redevance domaniale due à raison du stationnement d'embarcations est la somme d'une fraction " stationnement " et d'une fraction " équipement ".

9. La fraction " stationnement " est égale au produit d'une valeur locative de référence par mètre carré que la décision fixe en fonction d'un zonage qu'elle détermine, à laquelle sont appliqués un coefficient relatif au contexte urbain et un coefficient relatif au type d'embarcation, et de la superficie du bateau. Le coefficient de contexte urbain varie de 0,70 à 1,50 selon la catégorie de quartier dans lequel se situe l'emplacement occupé. Le coefficient relatif au type d'embarcation est fonction de l'usage qui est fait de l'embarcation. Il est fixé à 1,00 pour, notamment, le logement et la plaisance. Pour les établissements exerçant des activités économiques, la décision fixe des fourchettes au sein desquelles il appartient à l'autorité chargée, par délégation, d'établir la redevance, de le déterminer.

10. La fraction " équipement " est fixée à un montant mensuel forfaitaire pour certains secteurs d'Ile-de-France et, pour les autres secteurs, en fonction du nombre d'équipements offerts dans la zone concernée. Le paragraphe 1 de la fiche 8 B précise qu'un abattement " équipements " de 5, 10, 15, 20 ou 25 % peut être appliqué en Ile-de-France à la fraction " stationnement ", dans la limite du montant de la fraction " équipement ".

11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le directeur général de VNF, auquel le conseil d'administration a délégué sa compétence pour fixer le montant des redevances dues par les occupants du domaine public fluvial dont la gestion est confiée à cet établissement, a régulièrement pu subdéléguer cette compétence, dans les limites qu'il a fixées par le barème annexé à sa décision du 21 novembre 2022, aux directeurs des services territoriaux de VNF. Il incombe à ces derniers de mettre en œuvre, dans ces limites et sous le contrôle du juge administratif, leur pouvoir d'appréciation pour fixer le montant de ces redevances dans le respect des dispositions précitées de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, en tenant compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation et en s'écartant le cas échéant, ainsi que le prescrit le second alinéa de l'article 2 de la décision contestée, de la stricte application du barème dans les cas où cette application conduirait à une redevance manifestement inférieure aux avantages retirés par l'occupant.

12. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le directeur général de VNF aurait entaché sa décision d'illégalité en ne déterminant pas de manière suffisamment précise le mode de calcul des redevances dues à raison du stationnement d'embarcations sur le domaine public fluvial confié à cet établissement public, en se bornant, en particulier, à prévoir des fourchettes pour la fixation du coefficient relatif au type d'embarcation ou en s'abstenant de fixer les critères d'application de l'abattement " équipements " en Ile-de-France. Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait, pour ce motif, le principe d'égalité entre les occupants du domaine public.

13. En deuxième lieu, il ressort du paragraphe 2 de la fiche 8A que, pour ce qui concerne les valeurs locatives de référence, la décision contestée distingue les territoires situés hors Ile-de-France et en Ile-de-France. Elle fixe au sein de ces deux secteurs, respectivement, quatre valeurs locatives de référence distinctes selon la taille de la ville ou son caractère touristique, et huit valeurs locatives de référence distinctes selon la localisation de la dépendance domaniale occupée. Il ressort des pièces du dossier que ces valeurs locatives de référence ont été calculées à partir des valeurs locatives des dépendances susceptibles de donner lieu à une occupation privative. Par suite, les requérants, qui se bornent à soulever une argumentation générale sans contester aucune des valeurs locatives retenues pour les secteurs concernés, ne sont pas fondés à soutenir que la décision attaquée, qui n'avait pas à être motivée, méconnaîtrait l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques.

14. En troisième lieu, en prévoyant l'application aux valeurs locatives de référence d'un coefficient de contexte urbain variant de 0,70 pour les " quartiers non valorisés des grandes villes " à 1,50 pour les " sites exceptionnels de centre-ville ", définis en fonction de critères géographiques et économiques objectifs propres à refléter la valeur d'usage des emplacements concernés, le directeur général de VNF n'a pas davantage méconnu ces dispositions, ni le principe d'égalité entre les usagers du domaine public. En particulier, en fixant à 1,50 le coefficient applicable aux sites exceptionnels de centre-ville, montant cohérent avec l'avantage que procure l'occupation du domaine public dans de tels secteurs, le directeur général de VNF n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation. Sont dépourvues d'incidence à cet égard les circonstances que les barèmes applicables aux années antérieures auraient retenu des coefficients moins élevés, qu'un service territorial aurait, à l'occasion de décisions individuelles successives, eu deux appréciations différentes du coefficient de contexte urbain applicable à un même site ou qu'un gestionnaire du domaine public portuaire n'appliquerait pas un tel coefficient en région parisienne pour le calcul des redevances d'occupation qu'il perçoit.

15. En dernier lieu, il ressort des énonciations du paragraphe 2 de la fiche 8A annexée à la décision attaquée que la fraction " équipements " de la redevance est, en principe, fonction du nombre d'équipements mis à disposition dans le secteur concerné, variant de 32,39 euros par mois pour un équipement à 113,36 euros par mois pour cinq équipements, et qu'elle est, par exception, fixée de manière forfaitaire dans 17 secteurs particuliers d'Ile-de-France, variant de 97,17 euros par mois à 724,83 euros par mois. En fixant une valeur forfaitaire dans ces secteurs qui se caractérisent par un niveau d'équipements particulièrement important lié à la densité de bateaux logement, ce qui procure un avantage matériel certain aux usagers, et par des coûts d'investissement plus élevés, le directeur général de VNF n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques. En outre, le mode de financement des équipements mis à disposition des occupants du domaine étant sans incidence sur les avantages que ceux-ci en retirent, la circonstance que la fraction " équipements " de la redevance domaniale n'en tiendrait pas compte est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

16. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions de la décision qu'ils attaquent.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de VNF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, de l'Association pour le développement de la navigation intérieure et de M. A... la somme de 1 000 euros chacun à verser à VNF, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, l'Association pour le développement de la navigation intérieure et M. A... est rejetée.

Article 2 : La Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, l'Association pour le développement de la navigation intérieure et M. A... verseront à Voies navigables de France une somme de 1 000 euros chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des Associations de Défense de l'Habitat Fluvial, l'Association pour le développement de la navigation intérieure, M. B... A... et Voies navigables de France.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 15 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Alianore Descours

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 471160
Date de la décision : 15/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 jui. 2023, n° 471160
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alianore Descours
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:471160.20230615
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