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05/07/2023 | FRANCE | N°448450

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 05 juillet 2023, 448450


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 janvier, 15 février et 31 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat alliance plasturgie et composites du futur (Plastalliance) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 novembre 2020 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion portant extension de l'accord du 5 juillet 2019 relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation conclu dans

le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie (n° 292) ;
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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 janvier, 15 février et 31 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat alliance plasturgie et composites du futur (Plastalliance) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 novembre 2020 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion portant extension de l'accord du 5 juillet 2019 relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie (n° 292) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat du Syndicat alliance plasturgie et composites du futur ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle / (...) ".

2. Par un arrêté du 6 novembre 2020, dont le syndicat Plastalliance demande l'annulation pour excès de pouvoir, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a étendu l'accord du 5 juillet 2019 relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) dans la branche de la plasturgie.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2232-9 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : " I.- Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche. / II.- La commission paritaire exerce les missions d'intérêt général suivantes : / 1° Elle représente la branche, notamment dans l'appui aux entreprises et vis-à-vis des pouvoirs publics ; / 2° Elle exerce un rôle de veille sur les conditions de travail et l'emploi ; / 3° Elle établit un rapport annuel d'activité (...) ; / Elle peut rendre un avis à la demande d'une juridiction sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif dans les conditions mentionnées à l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire. / Elle peut également exercer les missions de l'observatoire paritaire mentionné à l'article L. 2232-10 du présent code. (...) / III.- La commission paritaire est réunie au moins trois fois par an en vue des négociations mentionnées au chapitre Ier du titre IV du présent livre. Elle définit son calendrier de négociations dans les conditions prévues à l'article L. 2222-3 ". Aux termes de l'article

L. 2261-19 du code du travail, issu de la même loi : " Pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus au sein de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9 ".

4. Si le syndicat Plastalliance soutient que l'arrêté procédant à l'extension de l'accord du 5 juillet 2019 relatif à la CPPNI dans la branche de la plasturgie est entaché d'illégalité au motif qu'en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2261-19 du code du travail citées au point 3, il n'a pas été négocié ni conclu au sein de la CPPNI, ce moyen ne peut qu'être écarté, dès lors que la CPPNI ne pouvait préexister à l'accord de branche la créant.

5. En deuxième lieu, aux termes du c) du point 3 de l'article 30 de la convention collective nationale de la plasturgie, issu de l'article 2 de l'accord du 5 juillet 2019 étendu par l'arrêté attaqué, relatif à la mission d'interprétation de la CPPNI : " La CPPNI examinera toute demande d'interprétation formulée par écrit et émanant / - d'une organisation syndicale de salariés ; / - d'une organisation professionnelle d'employeurs relevant du champ de la présente convention ; / - d'une juridiction ; / - d'un employeur ou d'un salarié relevant la présente convention ".

6. Si l'article L. 2232-9 du code du travail prévoit que la CPPNI peut rendre un avis à la demande d'une juridiction sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif dans les conditions mentionnées à l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, il ne peut être regardé, ainsi que le soutient le requérant, comme ayant réservé la mission d'interprétation de la convention collective dévolue à la CPPNI aux seules demandes des juridictions judiciaires, alors que les partenaires sociaux conservent, en tout état de cause, la faculté d'interpréter leurs propres accords. Par suite, la question du respect par les stipulations du c) du point 3 de l'article 30 de la convention collective nationale de la plasturgie, citées au point 5, des dispositions de l'article L. 2232-9 du code du travail ne soulevant pas une question sérieuse, le moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement procéder à leur extension ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes du point 7 de l'article 30 de la convention collective nationale de la plasturgie, issu de l'article 2 de l'accord du 5 juillet 2019, relatif à la mission de classification de la CPPNI : " a) Mission / La CPPNI, réunie en commission classification, examine les difficultés ou les litiges qui pourraient se présenter pour la cotation et/ ou le classement des emplois. Elle rend un avis. (...) / c) La CPPNI, réunie en commission classification, examinera toute demande relative à la cotation d'un emploi, formulée par écrit et émanant de l'une des organisations syndicales de salariés ou des organisations professionnelles d'employeurs représentatives de la présente convention collective. (...) / La CPPNI réunie en commission classification rend un avis. L'avis indique la position des membres de la CPPNI. Lorsqu'il est rendu à l'unanimité des membres de la CPPNI, l'avis est opposable à l'employeur et au salarié ". Aux termes du préambule de l'accord du 5 juillet 2019, " l'accord du

16 décembre 2004 relatif à la classification n'est pas remis en cause " et " La CPPNI se substitue (...) à la commission paritaire nationale de classification, pour en exercer les missions ".

8. De première part, aux termes de l'article L. 2253-1 du code du travail : " La convention de branche définit les conditions d'emploi et de travail des salariés. Elle peut en particulier définir les garanties qui leur sont applicables dans les matières suivantes : (...) /

2° Les classifications (...) ". Aux termes de l'article L. 2241-1 du même code : " Les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels se réunissent, (...) au moins une fois tous les cinq ans (...), pour négocier : (...) / 6° Sur l'examen de la nécessité de réviser les classifications, en prenant en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité des emplois ".

9. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions législatives donnent compétence aux organisations liées par une convention de branche pour définir la classification des emplois et qu'à ce titre, il entre dans les prérogatives des signataires d'un accord de branche relatif aux classifications d'en interpréter les stipulations. Par suite, la question de la méconnaissance, par les stipulations citées au point 7, des dispositions du code du travail citées au point 8, ne soulevant pas une question sérieuse, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué ne pouvait légalement procéder à leur extension ne peut qu'être écarté.

10. De deuxième part, il résulte clairement du préambule de l'accord du

5 juillet 2019 que les partenaires sociaux de la branche de la plasturgie ont entendu confirmer le maintien des stipulations matérielles de l'accord du 16 décembre 2004 relatif à la classification mais substituer à la commission nationale de classification la CPPNI " réunie en commission de classification " pour en exercer les missions. Par suite, la question de l'éventuelle coexistence de deux commissions chargées de la même compétence en matière de classification ne soulevant pas une question sérieuse, le moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement étendre ces stipulations ne peut qu'être écarté.

11. De dernière part, il ressort des termes mêmes du c) du point 7 de l'article 30 de la convention collective nationale, issu de l'article 2 de l'accord du 5 juillet 2019, que les partenaires sociaux se sont bornés à prévoir que la CPPNI, réunie en commission de classification, a pour mission d'examiner toute demande relative à la cotation d'un emploi, que cette demande émane directement de l'une des organisations syndicales de salariés ou des organisations professionnelles d'employeurs représentatives de la convention collective, ou qu'elle intervienne en cas d'échec d'un règlement amiable à la suite de l'intervention du comité social et économique, s'il existe, ou à défaut, avec l'accord du salarié ou de l'employeur, et que, lorsqu'il est rendu à l'unanimité des membres de la CPPNI, un tel avis est opposable à l'employeur et au salarié. Ce faisant, ces stipulations n'ont clairement par pour objet ou pour effet de conférer aux avis rendus par la CPPNI réunie en commission de classification pour examiner une demande individuelle, y compris lorsqu'ils sont rendus à l'unanimité, la portée d'un avenant à la convention collective de la plasturgie qui s'imposerait aux parties à cette convention et pourrait s'imposer dans le cadre d'un contentieux soumis au juge. Par suite, la question de la licéité de ces stipulations n'étant pas sérieuse, le moyen tiré de ce qu'en étendant l'accord du 5 juillet 2019 en tant que celui-ci a prévu que, lorsqu'il est rendu à l'unanimité des membres de la CPPNI, un tel avis est opposable à l'employeur et au salarié, l'arrêté serait entaché d'illégalité, doit être écarté.

12. En dernier lieu, l'arrêté attaqué prévoit, en son article 1er, que " le 3e alinéa du a) de l'article 3 est étendu sous réserve du respect de la jurisprudence de la Cour de cassation ".

13. Or il ressort des pièces du dossier que l'article 3 de l'accord du

5 juillet 2019 ne comporte pas de paragraphe a) qui serait subdivisé en trois alinéas. S'il est soutenu par le ministre chargé du travail, d'une part, que son arrêté entendait en réalité mentionner le troisième alinéa du a du 3e de l'article 30 de la convention collective nationale telle que modifiée par l'accord étendu par l'arrêté attaqué et qu'il a d'ailleurs corrigé cette référence postérieurement par un arrêté du 29 juillet 2021 modifiant l'arrêté attaqué et que, d'autre part, la jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle il faisait ainsi référence était celle dont il résulte le principe selon lequel un avenant interprétatif d'un accord collectif ne s'impose avec effet rétroactif à la date d'entrée en vigueur de cet avenant que s'il est signé par l'ensemble des parties à l'accord, aucun de ces deux éléments n'est compréhensible à la seule lecture de l'arrêté attaqué qui, par suite, méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat Plastalliance n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 6 novembre 2020 qu'en tant que celui-ci prévoit, à son article 1er, que le 3e alinéa du a) de l'article 3 de l'accord du 5 juillet 2019 est étendu sous réserve du respect de la jurisprudence de la Cour de cassation.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au syndicat Plastalliance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion du 6 novembre 2020 est annulé en tant qu'il prévoit, à son article 1er, que le 3e alinéa du a) de l'article 3 de l'accord du 5 juillet 2019 est étendu sous réserve du respect de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Article 2 : L'Etat versera au syndicat Plastalliance une somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus de conclusions du syndicat Plastalliance est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat alliance plasturgie et composites du futur, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à la Fédération de la plasturgie, à la Fédération chimie-énergie CFDT, à la Fédération nationale du personnel d'encadrement de la chimie CFE-CGC et à la Fédération nationale de la chimie CGT-FO.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 448450
Date de la décision : 05/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2023, n° 448450
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:448450.20230705
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