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03/10/2023 | FRANCE | N°472635

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 03 octobre 2023, 472635


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 31 mars et 11 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 7 décembre 2022 par lequel la Première ministre a accordé son extradition aux autorités moldaves ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Krivine et Viaud, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1

991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauv...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 31 mars et 11 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 7 décembre 2022 par lequel la Première ministre a accordé son extradition aux autorités moldaves ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Krivine et Viaud, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Krivine, Viaud, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par le décret attaqué, la Première ministre a accordé aux autorités moldaves l'extradition de M. A... pour l'exécution du jugement du tribunal d'Orhei du 18 janvier 2019 le condamnant à 6 ans et 6 mois de prison pour des faits qualifiés " hooliganisme " et de " conduite sous l'emprise d'alcool ".

2. En premier lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

3. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 1, il ressort des pièces du dossier que l'extradition de M. A... a été demandé par les autorités moldaves pour l'exécution d'une peine d'emprisonnement pour des faits qualifiés de " hooliganisme " et de " conduite sous l'emprise d'alcool ". Si cette demande fait également état de faits de " brigandage ", ceux-ci ne sont mentionnés que pour justifier du quantum de peine, par cumul avec la partie non exécutée d'une condamnation à ce titre par le tribunal d'Orhei le 30 mars 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait prononcé son extradition pour des faits sur lesquels la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris ne se serait pas prononcée doit être écarté.

4. En troisième lieu, il résulte tant des principes de l'ordre public français que des conventions internationales auxquelles la France est partie qu'en matière pénale une personne condamnée par défaut doit bénéficier du droit d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... était présent lors de l'audience initiale devant le tribunal d'Orhei et que s'il n'a pas participé aux audiences suivantes, ce qui a justifié qu'il soit recherché, il a été représenté par un avocat. Il doit dès lors être regardé comme ayant eu une connaissance effective des poursuites engagées contre lui et comme ayant manifesté, de manière non équivoque, sa volonté de renoncer à comparaître en personne devant ses juges et de se soustraire à la justice. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'en accordant son extradition aux autorités moldaves, alors qu'il n'aurait pas la garantie d'être jugé à nouveau en Moldavie, le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 2 du protocole additionnel n° 7 à cette convention, de l'article 3 du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition ou des principes de l'ordre public français.

6. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui dit être entré en France fin 2016, n'a présenté une demande de protection internationale qu'en janvier 2023 et que celle-ci a été rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 février 2023. La seule circonstance qu'un recours soit pendant devant la Cour nationale du droit d'asile ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement français procède à son extradition. Il appartient au Conseil d'Etat, statuant sur la légalité du décret d'extradition et saisi d'une contestation sur ce point, d'apprécier, au vu des éléments qui lui sont soumis et en faisant, le cas échéant, usage de ses pouvoirs d'instruction, si le requérant peut se prévaloir de la qualité de réfugié pour s'opposer à l'exécution du décret. M. A... ne justifie pas, par ses seules déclarations, des risques de représailles personnelles et de persécutions qu'il allègue en cas de retour en Moldavie. Il n'est donc pas fondé, sans qu'il soit besoin de procéder à une mesure d'instruction ou de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, à invoquer le bénéfice de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ou des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la protection subsidiaire.

7. En cinquième lieu, si M. A... fait valoir qu'il risquerait, en cas de détention en Moldavie, d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants, notamment au regard de l'état des prisons moldaves, les considérations générales dont il se prévaut ne permettent pas d'établir l'existence des risques personnels qu'il allègue. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. En sixième lieu, une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales Toutefois, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. La circonstance que sa compagne et un enfant qu'il vient de reconnaître vivent en France n'est pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 7 décembre 2022 accordant son extradition aux autorités moldaves. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 septembre 2023 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 3 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

La rapporteure :

Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie

La secrétaire :

Signé : Mme Catherine Xavier


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 472635
Date de la décision : 03/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 oct. 2023, n° 472635
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Caroline de Margerie
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:472635.20231003
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