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13/12/2023 | FRANCE | N°449752

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 13 décembre 2023, 449752


Vu la procédure suivante :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 449 347,36 euros en réparation de l'ensemble des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de la rectrice de l'académie de Lyon de reconnaître, jusqu'à l'intervention de l'arrêté du 29 septembre 2015, l'imputabilité au service de ses arrêts de maladie pris à compter du 3 mai 2004. Par un jugement n° 1403257, 1410352 du 12 avril 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.



Par un arrêt n° 17LY02264 du 21 novembre 2019, la cour administrative d'appel...

Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 449 347,36 euros en réparation de l'ensemble des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de la rectrice de l'académie de Lyon de reconnaître, jusqu'à l'intervention de l'arrêté du 29 septembre 2015, l'imputabilité au service de ses arrêts de maladie pris à compter du 3 mai 2004. Par un jugement n° 1403257, 1410352 du 12 avril 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 17LY02264 du 21 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de Mme B..., d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réparation de la perte de l'indemnité compensatrice de congés payés puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté les mêmes conclusions et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions d'appel à l'exception de celles tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction de ses droits à pension, enfin, ordonné avant dire droit de procéder à un supplément d'instruction contradictoire en ce qui concerne ces mêmes droits à pension.

Par un arrêt n° 17LY02264 du 17 décembre 2020, la même cour administrative d'appel a rejeté les conclusions de Mme B... aux fins de réparation d'un préjudice résultant d'une réduction de ses droits à pension.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février 2021 et 17 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les deux arrêts de la cour administrative d'appel de Lyon ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 janvier 2009 (C-350/06 et C-520/06) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., professeur contractuel de l'enseignement privé au lycée sous contrat d'association Assomption Bellevue de La Mulatière, a été placée en congé pour accident de service du 28 mai au 17 octobre 2004, puis en congé de longue durée non imputable au service pour plusieurs périodes successives de six mois jusqu'à la date du 15 septembre 2009 à laquelle elle a été admise, sur sa demande, à la retraite pour invalidité, à l'âge de soixante ans. Sur son recours, le tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 23 février 2011 devenu définitif, annulé le refus de la rectrice de l'académie de Lyon de reconnaître l'imputabilité au service du congé de longue durée. Après avoir en vain saisi l'Etat d'une demande indemnitaire préalable, le 2 janvier 2014, Mme B... a formé devant le même tribunal administratif un recours tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de reconnaissance de l'imputabilité au service. Cette imputabilité ayant finalement été reconnue par un arrêté de la rectrice de l'académie de Lyon du 29 septembre 2015, la requérante doit être regardée comme demandant réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'abstention de l'administration, jusqu'à cette date, de reconnaître l'imputabilité de son état de santé au service.

2. Par un jugement du 12 avril 2017, le tribunal administratif de Lyon a rejeté l'ensemble des demandes de Mme B.... Statuant sur l'appel formé par cette dernière contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Lyon a, dans un premier temps, par un arrêt du 21 novembre 2019, d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la réparation de la perte de l'indemnité compensatrice de congés payés puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté les mêmes conclusions et, d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions d'appel à l'exception de celles tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction de ses droits à pension, enfin, ordonné avant dire droit de procéder à un supplément d'instruction contradictoire en ce qui concerne ces mêmes droits à pension. Puis la même cour, par un arrêt du 17 décembre 2020, a rejeté les conclusions d'appel tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction des droits à pension. Mme B... se pourvoit en cassation contre les deux arrêts de la cour administrative d'appel de Lyon.

Sur le pourvoi :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". En application du B de l'annexe I de cette directive, le délai de transposition de cet article était fixé au 23 mars 2005. Ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, font obstacle, d'une part, à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période, parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de la période en cause, s'éteigne à l'expiration de celle-ci et, d'autre part, à ce que, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, tout droit à indemnité financière soit dénié au travailleur qui n'a pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé. Ce droit au report s'exerce toutefois, en l'absence de dispositions sur ce point dans le droit national, dans la limite de quatre semaines par année de référence prévue par les dispositions citées ci-dessus de l'article 7 de la directive.

4. Pour écarter la demande de Mme B... tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de ses congés payés pendant la période où elle était en congé de maladie, la cour administrative d'appel s'est fondée sur les dispositions de l'article 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat, applicables aux professeurs contractuels de l'enseignement privé sous contrat d'association en vertu de l'article R. 914-105 du code de l'éducation, aux termes desquelles : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". En statuant ainsi, alors que ces dispositions, en tant qu'elles ne prévoient pas l'indemnisation des congés annuels qu'un agent aurait été, en raison d'un arrêt maladie, dans l'impossibilité de prendre avant la fin de sa relation de travail, méconnaissent les objectifs de la directive du 4 novembre 2003, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

5. En deuxième lieu, pour écarter la demande de Mme B... tendant à la réparation du préjudice moral qui aurait résulté du refus initial de l'administration de reconnaître que son état de santé était imputable au service, la cour administrative d'appel a relevé que les pièces médicales qu'elle produisait se bornaient à attester de l'imputabilité au service de l'accident du 3 mai 2004 et d'un suivi médical, et qu'ainsi elle ne démontrait pas que le refus en cause lui aurait par lui-même causé des souffrances morales. En statuant ainsi, la cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

6. En troisième lieu, statuant sur la demande de Mme B... tendant à l'indemnisation du préjudice qui aurait résulté de la perte de droits à pension à raison du refus initial de l'administration de reconnaître l'imputabilité de son état de santé au service et de lui verser en conséquence son plein traitement pour la période du 18 octobre 2007 au 15 septembre 2009, la cour administrative d'appel a, par l'arrêt avant dire droit du 21 novembre 2019, invité la requérante à produire toutes précisions et justifications relatives au montant de la pension de retraite qu'elle perçoit, en lui demandant de se rapprocher de sa caisse de retraite en vue de déterminer le montant de la différence éventuelle entre la pension qu'elle perçoit depuis sa mise en retraite et celle qu'elle percevrait si elle avait bénéficié initialement d'un plein traitement pour la même période, et de justifier des démarches qu'elle aurait effectuées, le cas échéant, auprès de la même caisse pour que soit pris en compte le versement de son arriéré de demi-traitement intervenu quand l'imputabilité au service a finalement été reconnue.

7. En demandant ainsi à l'intéressée des éléments qui étaient nécessaires à l'appréciation de la réalité du préjudice invoqué et de son lien avec une éventuelle faute de l'administration, et qui ne pouvaient être produits que par elle ou, à sa demande, par sa caisse de retraite, puis en jugeant, par son arrêt du 17 décembre 2020, que faute pour Mme B... d'avoir produit ces éléments, elle ne justifiait pas de la réalité du préjudice invoqué, la cour n'a pas méconnu les règles régissant l'administration de la preuve.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est uniquement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'après annulation du jugement de première instance et par la voie de l'évocation, il se prononce sur ses conclusions tendant à l'indemnisation de ses congés annuels non pris du fait de ses congés maladie.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de la cassation prononcée.

Sur la demande relative à l'indemnisation des congés annuels non pris :

10. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / (...) ". Aux termes de son article 2 : " La prescription est interrompue par : (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance. / (...) ".

11. Le fait générateur de la créance dont se prévaut Mme B... en réclamant l'indemnisation des congés annuels qu'elle n'a pas pu prendre est l'achèvement de sa relation de travail résultant de son admission à la retraite pour invalidité, le 15 septembre 2009, à une date où elle n'avait pas pu prendre les congés annuels correspondant aux cinq années précédentes, pendant lesquelles elle était en arrêt maladie. Il ne résulte pas de l'instruction que le délai de prescription courant à compter de cette date ait été interrompu, y compris par le recours que Mme B... a exercé contre la décision initiale refusant de reconnaître l'imputabilité de son état de santé au service, dès lors qu'en tout état de cause, le bénéfice de l'indemnité litigieuse lui a été refusé au motif qu'elle se trouvait en congé pour maladie, sans qu'ait d'incidence la circonstance que cette maladie ait ou non été reconnue imputable au service. Dans ces conditions, à la date du 2 janvier 2014 où Mme B... a formé sa réclamation indemnitaire préalable, la créance en cause était prescrite. Il y a lieu, par suite, de faire droit à l'exception de prescription soulevée, dès la première instance, par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme B... tendant à l'indemnisation des congés annuels non pris du fait de ses congés maladie doivent être rejetées.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 21 novembre 2019 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'après évocation, il se prononce sur les conclusions indemnitaires relatives aux congés annuels non pris.

Article 2 : Les conclusions de Mme B... tendant à l'indemnisation des congés annuels non pris sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme B... et de sa requête devant la cour administrative d'appel de Lyon est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 novembre 2023 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat, présidant ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 13 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Philippe Ranquet

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Isidoro

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 449752
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2023, n° 449752
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Isidoro
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP POUPET & KACENELENBOGEN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:449752.20231213
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