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24/11/2023 | FRANCE | N°22PA00653

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 24 novembre 2023, 22PA00653


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les délibérations du jury du 26ème concours " Un des meilleurs ouvriers de France ", classe graphisme, ou a minima celle le concernant et de condamner le comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " à lui verser la somme de 10 400 euros en réparation des divers préjudices qu'il estime avoir subis pour n'avoir pas été admis.



Par un

jugement n° 1925806/1-2 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les délibérations du jury du 26ème concours " Un des meilleurs ouvriers de France ", classe graphisme, ou a minima celle le concernant et de condamner le comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " à lui verser la somme de 10 400 euros en réparation des divers préjudices qu'il estime avoir subis pour n'avoir pas été admis.

Par un jugement n° 1925806/1-2 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 février 2022, M. A..., représenté par Me Foucard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2021 ;

2°) d'annuler les délibérations du jury du 26ème concours " Un des meilleurs ouvriers de France ", classe graphisme, ou a minima celle le concernant ;

3°) de condamner le comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " à lui verser la somme de 10 400 euros en réparation des divers préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge du comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses conclusions d'excès de pouvoir sont recevables dès lors que son second recours gracieux a prorogé le délai de recours à l'encontre de la seconde délibération du jury qui s'est nécessairement substituée à la première, les difficultés d'acheminement de ce recours gracieux étant établies ;

- ses conclusions indemnitaires sont recevables, le contentieux ayant bien été lié ;

- la règle d'anonymat rappelée à l'article 18 du règlement général du concours n'a pas été respectée dès lors que la présidente du jury lui a renvoyé ses travaux et qu'elle a ainsi pu l'identifier ;

- le jury n'était pas impartial et sa composition était irrégulière, dès lors que deux des trois personnes ayant siégé dans ce jury avaient siégé dans le premier jury qui avait rejeté sa candidature ;

- le jury a méconnu le règlement du concours et le principe d'égalité de traitement des candidats en ne respectant pas la grille d'évaluation et en ne remplissant pas l'ensemble des indicateurs dans la grille d'évaluation ;

- la responsabilité du comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " doit être engagée en raison de l'illégalité des deux délibérations du jury de classe, l'illégalité de la première délibération résultant de l'absence de signature de la feuille d'évaluation par le président du jury de classe et le refus d'évaluation ;

- il a subi un préjudice moral qui peut être évalué à 5 000 euros ;

- son préjudice matériel s'élève à 3 200 euros correspondant aux frais afférents à la réalisation de son œuvre finale et son préjudice financier à 1 600 euros correspondant à la charge des dépenses exposées en raison du dysfonctionnement de l'évaluation de la classe graphisme ;

- le total de ses préjudices moraux et financiers s'élève à la somme de 10 400 euros ;

- le lien de causalité entre les fautes commises par le comité et son préjudice est établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2023, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête de première instance était tardive et donc irrecevable dès lors que le délai de recours n'a pas été prorogé par le recours gracieux dirigé contre la décision du 16 mai 2019, qui était confirmative de la décision du 10 février 2019 ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 2 novembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bruston,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Mme B..., représentant le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... s'est présenté à l'épreuve finale de la session 2016-2018 de l'examen pour l'attribution du diplôme " Un des meilleurs ouvriers de France " (MOF) dans le groupe XIV " métiers de la communication, du multimédia et de l'audiovisuel ", classe 5 " graphisme ". A l'issue de l'épreuve finale de la session de l'examen, le jury général l'a déclaré non admis. M. A... a formé un recours gracieux contre cette décision le 10 février 2019 et il a été invité à envoyer à nouveau ses travaux en vue d'un réexamen de son dossier. Par une décision du 16 mai 2019, le jury l'a de nouveau déclaré non admis. M. A... a formé deux nouveaux recours gracieux les 14 juillet et 6 novembre 2019 auxquels il n'a pas été répondu. Par un jugement du 23 novembre 2021 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions le déclarant non admis et à la condamnation du comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " à lui verser la somme de 10 400 euros en réparation de l'ensemble de préjudices qu'il estime avoir subis de ce fait.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article D. 338-9 du code de l'éducation : " Le diplôme professionnel " un des meilleurs ouvriers de France" est un diplôme national qui atteste l'acquisition d'une haute qualification dans l'exercice d'une activité professionnelle dans le domaine artisanal, commercial, de service, industriel ou agricole (...) Il est délivré, à l'issue d'un examen dénommé "concours un des meilleurs ouvriers de France", au titre d'une profession dénommée "classe", rattachée à un groupe de métiers et, le cas échéant, au titre d'une option de cette classe (...) ". Aux termes de l'article D. 338-16 du même code : " L'examen du diplôme professionnel " un des meilleurs ouvriers de France " comporte une ou plusieurs épreuves qui consistent en la réalisation d'une ou de plusieurs œuvres, à partir d'un sujet imposé ou d'une ou de plusieurs œuvres libres intégrant des contraintes techniques. / (...) / Pour chaque classe, un arrêté du ministre chargé de l'éducation ou, le cas échéant, du ministre chargé de l'éducation et du ministre chargé de l'agriculture fixe le nombre et la nature des épreuves. (...) ". Aux termes de l'article D. 338-17 du même code : " (...) La délibération du jury général de l'examen conduisant à la délivrance du diplôme " un des meilleurs ouvriers de France " est organisée à l'issue des épreuves finales ". Aux termes de l'article D. 338-21 du même code : " Le jury de chaque classe délibère à l'issue du premier groupe et, le cas échéant, du second groupe d'épreuves. Après sa dernière délibération, il fait connaître ses propositions au jury général, seul habilité à proposer au ministre chargé de l'éducation la liste des lauréats ".

3. Aux termes de l'article 18 du règlement général du 26ème concours, : "L'identification des œuvres, au plan national, est assure par le COET-MOF. / Dans toutes les classes, les œuvres sont rendues anonyme avant d'être soumises à l'évaluation du jury (...)". Il résulte de ces dispositions que l'organisation des épreuves doit garantir l'anonymat des candidats.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme Thoyer, présidente du jury de classe à l'occasion des deux examens de l'œuvre de M. A..., a renvoyé ses travaux au requérant, par un pli indiquant qu'elle en était l'expéditeur, le 22 janvier 2019, à l'issue du premier examen de sa candidature par le jury qu'elle avait présidé en décembre 2018. Si le ministre de l'éducation nationale soutient qu'il n'est pas établi que la présidente aurait eu connaissance du contenu du pli avant de l'envoyer à M. A..., il ne produit aucune indication permettant d'identifier une autre personne à l'origine de la mise sous enveloppe du dossier de l'intéressé. Mme Thoyer doit, dans ces conditions, être regardée comme ayant eu nécessairement connaissance de l'identité de la personne à laquelle le pli était adressé avant le réexamen de son dossier par le jury qu'elle présidait. Dès lors, M. A... est fondé à soutenir que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'exigence de garantie de l'anonymat des candidats posée par l'article 18 du règlement a été méconnue.

Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'éducation nationale aux conclusions à fin d'annulation présentées en première instance :

5. D'une part, M. A... demande l'annulation des délibérations du jury général du 26ème concours "un des meilleurs ouvriers de France", classe graphisme, qui lui ont refusé le diplôme. Toutefois, le diplôme professionnel "un des meilleurs ouvriers de France" est un diplôme d'Etat attribué, à la suite d'un examen, par un jury désigné par le ministre chargé de l'éducation nationale. Par suite, ainsi que le fait valoir le ministre de l'éducation nationale, le requérant n'est recevable à demander l'annulation des délibérations proclamant les résultats qu'en tant qu'elles le déclarent non admis.

6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, qu'à l'issue du premier examen de l'œuvre de M. A... par le jury, l'intéressé a été déclaré non-admis avec l'observation suivante : " Cahier des charges non respecté : la phase de recherches créatives n'étant pas suffisamment visible n'a pas permis l'évaluation de votre dossier ", signifiant que le jury de classe avait refusé d'évaluer son œuvre. Dès lors, en adoptant une nouvelle délibération, le 16 mai 2019, après que l'offre de M. A... a été évaluée et notée par le jury de classe, le jury général, qui est revenu sur le refus d'examiner les travaux du requérant a, implicitement mais nécessairement, retiré sa première délibération en tant qu'elle concernait M. A.... Dès lors, le recours gracieux de M. A..., formé le 16 juillet 2019 à l'encontre de cette nouvelle délibération, qui n'était pas confirmative de celle du 10 février 2019 à laquelle elle s'est substituée, a pu régulièrement proroger le délai de recours contentieux. Si M. A... n'établit pas que ce recours gracieux a été distribué, il ressort des pièces du dossier que le courrier recommandé contenant ce recours, posté en temps utile, a été perdu en raison d'un dysfonctionnement des services postaux. Dès lors que M. A... n'a été informé de la perte de son courrier que par un courrier électronique de la Poste du 22 novembre 2019, sa requête initialement enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulouse le 15 novembre 2019 était recevable.

7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de la délibération du jury général du 16 mai 2019 le déclarant non admis.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la recevabilité :

8. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ".

9. Il résulte de l'instruction que la demande indemnitaire préalable de M. A... adressée au comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " le 2 juin 2021, en cours d'instruction du dossier de première instance, a été implicitement rejetée. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée à la requête de première instance et tirée de l'absence de liaison du contentieux doit être écartée.

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

10. Toute illégalité commise par l'administration ou un organisme privé chargé d'une mission de service public constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice certain et que ce préjudice soit directement lié à la faute.

11. A l'appui de ses conclusions indemnitaires, M. A... se prévaut des illégalités entachant les deux délibérations successives du jury d'examen le concernant. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la délibération du 16 mai 2019 est entachée d'illégalité en raison du non-respect par le jury de classe du principe d'anonymat. D'autre part, si l'absence de signature de la feuille d'évaluation par le président du jury de classe à l'issue du premier examen du dossier de l'intéressé n'est pas constitutive d'une illégalité en l'absence de dispositions imposant une telle formalité, il résulte des dispositions citées au point 2 que le jury de classe, qui doit faire connaître ses propositions au jury général, ne pouvait pas, comme il l'a fait, refuser d'évaluer purement et simplement le travail d'un candidat. Dès lors, M. A... est fondé à soutenir que la délibération du 10 février 2019 était entachée d'une illégalité susceptible d'engager la responsabilité du comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France ".

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices subis:

12. En premier lieu, M. A... demande à être indemnisé de son préjudice moral caractérisé par le " stress " et l'anxiété causés par la situation dans laquelle il a été plongé, à hauteur de

5 000 euros. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant une somme de 1 000 euros.

13. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A..., dont l'œuvre a été évaluée en méconnaissance du principe d'anonymat après un premier refus d'examen, a été privé du bénéfice d'un examen régulier de sa candidature. Dès lors, M. A... est fondé à demander à être indemnisé du préjudice matériel constitué des frais afférents à la réalisation de son œuvre finale qu'il a inutilement engagés. Il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en lui accordant la somme de 3 200 euros qu'il demande, laquelle est justifiée, contrairement à ce que soutient le ministre de l'éducation nationale, par la production de factures à hauteur de

1 910,98 euros TTC et la justification du temps passé à la réalisation du dossier de candidature.

14. Enfin, M. A... sollicite l'indemnisation de son préjudice financier correspondant à la charge des dépenses exposées en raison du dysfonctionnement de l'évaluation de la classe graphisme pour un montant de 1 600 euros. Les frais d'huissier et d'avocat exposés lors de la procédure de règlement amiable d'un litige indemnitaire peuvent être inclus dans le préjudice indemnisable s'ils ont été utiles. M. A... ne démontre pas l'utilité du constat d'huissier qu'il a fait réaliser pour la résolution du litige. En revanche, M. A... ayant finalement obtenu l'examen de son œuvre après un premier refus d'évaluation, et seulement après avoir présenté un recours gracieux, il y a lieu d'indemniser les frais d'avocat qu'il a exposés pour le dépôt de son premier recours gracieux à hauteur de la somme justifiée de 603,58 euros TTC.

15. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander la condamnation du comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " à lui verser la somme de 4 803,58 euros.

Sur les frais de l'instance :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 23 novembre 2021 du tribunal administratif de Paris et la délibération du 16 mai 2019 du jury du 26ème concours " Un des meilleurs ouvriers de France " concernant M. A... sont annulés.

Article 2 : Le comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " est condamné à verser à M. A... la somme de 4 803,58 euros.

Article 3 : Le comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France " versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., au ministre de l'éducation nationale, et au comité d'organisation des expositions du travail et du concours " Un des meilleurs ouvriers de France ".

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente,

Mme Bruston, présidente assesseure,

M. Mantz, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.

La rapporteure,

S. BRUSTON

La présidente,

M. HEERS La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA00653 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00653
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Servane BRUSTON
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : FOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;22pa00653 ?
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