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28/11/2023 | FRANCE | N°23BX01638

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 28 novembre 2023, 23BX01638


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2203233 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 15 juin 2023, M. A..., représenté par Me Da Ros, demande à la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2203233 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juin 2023, M. A..., représenté par Me Da Ros, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 22 septembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a refusé le séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, le tout sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Da Ros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision lui refusant le séjour est insuffisamment motivée ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- l'arrêté litigieux a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire est privée de base légale par l'illégalité de la décision lui refusant le séjour.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête a été enregistrée après l'expiration du délai d'appel et entend s'en rapporter pour le surplus à son mémoire de première instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me Da Ros, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant turc né le 2 juillet 1988, déclare être irrégulièrement entré en France, en dernier lieu, le 10 février 2016. Il a sollicité le 7 septembre 2021 son admission au séjour. Par un arrêté du 10 février 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 22 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant l'annulation de cet arrêté.

Sur la recevabilité de la requête :

2. Aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée. ". En vertu de l'article 44 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, les délais de recours sont interrompus par une demande d'aide juridictionnelle et " un nouveau délai de recours court à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ", ce nouveau délai étant lui-même interrompu " lorsque l'intéressé forme régulièrement contre la décision du bureau d'aide juridictionnelle le recours prévu à l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ", le délai alors imparti pour le dépôt de la requête courant " à compter de la notification de la décision prise sur le recours (...) ". Enfin, en vertu de l'article 69 du même décret, le délai de ce recours " est de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision à l'intéressé (...) ".

3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à M. A... le 20 octobre 2022, ainsi qu'en atteste l'avis de réception de la lettre recommandée qui lui a été adressée. Par suite, le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... le 10 novembre 2022, soit moins d'un mois après la notification de ce jugement, était tardive.

4. D'autre part, il résulte des dispositions précitées qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle. En l'occurrence, il ressort des pièces du dossier que le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 décembre 2022 qui désignait également l'auxiliaire de justice chargé de l'assister. En l'absence d'établissement de la date de notification à l'appelant de cette décision, sa requête enregistrée le 15 juin 2023 ne peut être regardée comme tardive, sans que le préfet puisse utilement faire valoir qu'une copie de cette même décision a été adressée à l'auxiliaire de justice, au demeurant sans établir à quelle date cette formalité aurait été accomplie. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Gironde doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Pour l'application de ces dispositions, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité, l'intensité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. L'autorité administrative peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure litigieuse, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.

6. Par ailleurs, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que l'épouse et compatriote de M. A... réside en France depuis qu'elle a atteint l'âge de douze ans, soit depuis l'année 2004, qu'à la date de l'arrêté litigieux elle était titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " valable jusqu'au 10 décembre 2022 et qu'elle travaillait à temps plein en application d'un contrat de travail à durée indéterminée conclu en 2018. Ainsi, l'épouse de M. A... a vocation à demeurer sur le territoire national où elle a, notamment, le centre de ses intérêts économiques mais aussi, eu égard à l'intitulé de son titre de séjour, personnels. En outre, les époux ont eu trois enfants nés en France en 2013 et 2019, dont l'aîné est scolarisé. L'appelant, qui séjournait déjà en France en 2013 avant de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire en 2014, justifie également résider à la même adresse que son épouse et ses enfants depuis, au plus tard, l'année 2016 et prendre des cours de français depuis octobre 2019. Enfin, il n'est ni établi ni même soutenu que l'épouse de M. A... remplirait les conditions auxquelles est subordonné le regroupement familial. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que l'arrêté litigieux, qui implique une séparation entre les époux ainsi qu'une séparation entre l'un d'eux et leurs enfants communs, a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'il a méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, il est également fondé à soutenir que cet arrêté a méconnu les stipulations précitées des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 février 2022. Par suite, ce jugement et cet arrêté doivent être annulés.

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'apparait en revanche pas nécessaire, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

10. Enfin, il y a également lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et au bénéfice de Me Da Ros, avocate de M. A..., une somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 22 septembre 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 10 février 2022 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Da Ros une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus de la requête de M. A... est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié M. C... A..., à Me Da Ros, au ministre de l'intérieur et des outre-mer ainsi qu'au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2023.

Le rapporteur,

Manuel B...

Le président,

Laurent PougetLa greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX01638 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01638
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : DA ROS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;23bx01638 ?
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