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05/12/2023 | FRANCE | N°23PA03780

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 05 décembre 2023, 23PA03780


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris, par une requête n° 2316334 d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, ainsi que l'arrêté distinct du même jour par lequel il lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trente-six mois. Par une requête n° 2316592, il a demandé

au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le préfet de police l'a assi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris, par une requête n° 2316334 d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, ainsi que l'arrêté distinct du même jour par lequel il lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trente-six mois. Par une requête n° 2316592, il a demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le préfet de police l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2316334, 2316592/8, du 28 juillet 2023, la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de police a interdit à M. C... de retourner sur le territoire français pour une durée de trente-six mois (article 1er), a annulé l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel il l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours (article 2), a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3), et a rejeté le surplus des conclusions des requêtes (article 4).

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 août 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 3 de ce jugement de la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris du 28 juillet 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- M. C... ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, il était tenu d'édicter une interdiction de retour sur le territoire français à son encontre ;

- la durée de trente-six mois n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation au regard de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, car à supposer même que le comportement de M. C... ne constitue pas une menace pour l'ordre public, ce dernier n'a pas exécuté les trois mesures d'éloignement dont il avait précédemment fait l'objet et ne justifie pas, malgré sa présence en France depuis 2016, de la réalité de ses liens avec la personne qu'il présente comme sa concubine, ni d'une insertion significative dans la société française ;

- les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. C..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant marocain né le 16 novembre 1989 à Tafourhalt (Maroc), qui a déclaré être entré en France le 18 avril 2016, a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler, d'une part, l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de police de Paris l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné, ainsi que l'arrêté distinct du même jour par lequel il lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trente-six mois, d'autre part, l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le préfet de police l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Le préfet de police fait appel des articles 1er et 3 du jugement du 28 juillet 2023 par lesquels la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête du préfet de police :

2. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

3. Pour annuler l'interdiction pour M. C... de retourner sur le territoire français pour une durée de trente-six mois en litige comme reposant sur une erreur d'appréciation au regard des critères énoncés par les dispositions citées ci-dessus, la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris a relevé que le comportement de l'intéressé, interpellé par les services de police pour des faits de violences volontaires sur conjoint sur la voie publique, si regrettable soit-il, n'était pas d'une gravité telle qu'il justifiait une interdiction pour une durée de trente-six mois.

4. Toutefois, il ressort des termes de la décision litigieuse que celle-ci a également été prise aux motifs que l'intéressé, alléguant être présent en France depuis 2016, avait déjà fait l'objet, le 24 novembre 2021, d'une mesure d'éloignement à laquelle il s'était soustrait, et ne pouvait se prévaloir de liens suffisamment intenses avec la France, en se déclarant en situation de concubinage, sans en apporter la preuve. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. C... avait également fait l'objet, les 18 avril 2016 et 10 septembre 2019, de deux autres obligations de quitter le territoire, qu'il n'a pas exécutées. Le préfet de police, qui aurait pris la même décision s'il s'était seulement fondé sur ces éléments, est donc fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le Président du tribunal administratif a annulé l'interdiction de retour pour une durée de trente-six mois prise à l'encontre de M. C... pour les motifs rappelés ci-dessus.

5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

6. En premier lieu, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retourner sur le territoire français aurait été prise par une autorité incompétente, le préfet de police ayant, par un arrêté n° 2023-00059 du 23 janvier 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial, donné délégation à M. A... B..., attaché d'administration de l'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers.

7. En deuxième lieu, il ressort des termes de l'arrêté litigieux que l'interdiction de retour sur le territoire français a été prise à l'encontre de M. C... aux motifs qu'il représentait une menace à l'ordre public en restant sur le territoire national, son comportement ayant été signalé par les services de police le 9 juillet 2023 pour violences volontaires ayant entraîné une ITT n'excédant pas huit jours sur concubin, qu'il alléguait séjourner en France depuis 2016, et qu'il ne pouvait se prévaloir de liens suffisamment anciens, forts et intenses avec la France, en se déclarant en concubinage sans en apporter la preuve. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté doit être écarté.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet de police s'est livré à un examen particulier de la situation personnelle de M. C... avant de prononcer la décision portant interdiction de quitter le territoire de trente-six mois.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /(...) ". M. C..., s'il allègue être entré en France en 2016, et justifie, par les pièces qu'il a produites en première instance, habiter à Noisy-le-Sec et avoir travaillé en janvier et février 2022 en qualité d'ouvrier d'espace vert, dans le cadre d'un contrat de mission temporaire, puis en qualité d'agent de propreté et d'entretien à compter d'octobre 2022, en contrat à durée déterminée puis en contrat à durée indéterminée à compter du 1er mars 2023, n'établit pas la réalité et l'intensité de ses liens avec sa compagne, avec qui il a déclaré ne pas résider lors de son audition par les services de police, et ne conteste pas sérieusement s'être montré violent avec elle. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire litigieuse aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, ni qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.

10. En cinquième lieu, M. C... n'assortit pas le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales des précisions permettant d'en apprécier le bienfondé. Ce moyen doit, par suite, être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel il lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trente-six mois.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2316334, 2316592/8, de la magistrate désignée par le Président du Tribunal administratif de Paris du 28 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel du préfet de police est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D... C....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Niollet, président-assesseur,

M. Pagès, premier conseiller,

Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2023.

L'assesseur le plus ancien,

D. PAGESLe président-rapporteur,

J-C. NIOLLET

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23PA03780


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA03780
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. NIOLLET
Rapporteur ?: M. Jean-Christophe NIOLLET
Rapporteur public ?: Mme NAUDIN
Avocat(s) : BERTRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;23pa03780 ?
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