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20/12/2023 | FRANCE | N°21BX03799

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 20 décembre 2023, 21BX03799


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La commune de l'Entre-Deux a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 17 juillet 2019 par laquelle l'Établissement public foncier de La Réunion (EPFR) a décidé d'exercer son droit de préemption urbain à l'occasion de la vente du lot A d'une superficie de 813 m² d'une partie de la parcelle cadastrée section AR 139, située 57 Grand Fond Intérieur, à l'Entre-Deux.



Par un jugement n°1901250 du 28 juin 2021, le tr

ibunal administratif de La Réunion a fait droit à sa demande.





Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de l'Entre-Deux a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler la décision du 17 juillet 2019 par laquelle l'Établissement public foncier de La Réunion (EPFR) a décidé d'exercer son droit de préemption urbain à l'occasion de la vente du lot A d'une superficie de 813 m² d'une partie de la parcelle cadastrée section AR 139, située 57 Grand Fond Intérieur, à l'Entre-Deux.

Par un jugement n°1901250 du 28 juin 2021, le tribunal administratif de La Réunion a fait droit à sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 28 septembre 2021, 30 juillet 2023 et 13 septembre 2023, l'Établissement public foncier de La Réunion, représentée par la SELARL ING Avocat-Conseil, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 juin 2021 ;

2°) de rejeter la demande de la commune de l'Entre-Deux ;

3°) de mettre à la charge de la commune de l'Entre-Deux une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commune ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision de préemption prise par l'établissement ;

- la décision de préemption est suffisamment motivée ;

- l'établissement public foncier de La Réunion justifie de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement conformément aux dispositions des articles L. 210-1 du code de l'urbanisme.

Par un mémoire enregistré le 11 mai 2023, Mme D... C..., représentée par la SELAS Fidal, demande l'annulation du jugement du 28 juin 2021, le rejet de la demande de la commune de l'Entre-Deux et, si la décision de préemption devait être annulée, la confirmation que cette annulation est sans effet sur la vente définitive de la parcelle à l'établissement public foncier de La Réunion. Elle demande également qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la commune, d'une part, et de l'EPFR, d'autre part, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;

- la décision de préemption était suffisamment motivée et justifiée au regard des objectifs mentionnés à l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme :

- l'annulation d'une décision de préemption est sans effet direct sur la vente du bien.

Par deux mémoires enregistrés le 9 juin 2023 et le 29 août 2023, la commune de l'Entre-Deux, représentée par Me Alain Rapady, conclut à titre principal au rejet de la requête et des demandes de Mme C... et, à titre subsidiaire en cas d'annulation du jugement du 28 juin 2021, à l'annulation de la décision du 17 juillet 2019 prise par l'Établissement public foncier de La Réunion. Elle demande également à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'établissement public foncier de La Réunion sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le mémoire de Mme C... doit être regardé comme une intervention volontaire en demande et les conclusions de l'intervenante qui diffèrent de celles de l'établissement public demandeur sont irrecevables ; il en va notamment ainsi des conclusions relatives aux effets de l'annulation de la décision de préemption sur la vente de la parcelle et de celles relatives à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- les moyens soulevés sont infondés ;

- en cas d'annulation du jugement, elle entend reprendre les moyens soulevés en première instance.

Par une ordonnance du 14 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sébastien Ellie ;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Nguyen représentant l'établissement public local foncier de la Réunion.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de La Réunion a délégué l'exercice du droit de préemption urbain à l'Établissement public foncier de La Réunion (EPFR) par arrêté du 20 avril 2018, après avoir prononcé la carence de la commune de l'Entre-Deux en application de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation et repris l'exercice du droit de préemption urbain par arrêté du 21 décembre 2017. L'établissement public foncier de La Réunion, par une décision du 17 juillet 2019, a préempté le lot A d'une partie de la parcelle cadastrée section AR 139, d'une superficie de 813 m², partiellement bâtie et libre de toute occupation et location, située 57 Grand Fond Intérieur, sur la commune de l'Entre-Deux, appartenant à Mme D... C... et MM. B... et F... E.... L'établissement public foncier de La Réunion demande à la cour d'annuler le jugement du 28 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision du 17 juillet 2019.

Sur le mémoire de Mme C... :

2. Mme C..., qui a cédé le terrain en cause à l'établissement public foncier de La Réunion, doit être regardée comme partie à l'instance, alors même qu'elle n'a pas été mise en cause devant le tribunal administratif de La Réunion. Les conclusions présentées par elle devant la cour administrative d'appel sont donc recevables, de même que les moyens soulevés.

Sur la légalité de la décision du 17 juillet 2019 :

En ce qui concerne les moyens retenus par le tribunal :

3. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...). / Pendant la durée d'application d'un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, le droit de préemption est exercé par le représentant de l'État dans le département lorsque l'aliénation porte sur un des biens ou droits énumérés aux 1° à 4° de l'article L. 213-1 du présent code, affecté au logement ou destiné à être affecté à une opération ayant fait l'objet de la convention prévue à l'article L. 302-9-1 précité. Le représentant de l'État peut déléguer ce droit (...) à un établissement public foncier créé en application des articles L. 321-1 ou L. 324-1 du présent code (...). Les biens acquis par exercice du droit de préemption en application du présent alinéa doivent être utilisés en vue de la réalisation d'opérations d'aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l'habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l'article L. 302-8 du même code. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation : " (...) Lorsqu'il a constaté la carence d'une commune en application du présent article, le représentant de l'État dans le département peut conclure une convention avec un organisme en vue de la construction ou l'acquisition des logements sociaux nécessaires à la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l'habitat ou déterminés en application du I de l'article L. 302-8. / La commune contribue obligatoirement au financement des opérations faisant l'objet de la convention mentionnée au sixième alinéa du présent article, à hauteur d'un montant (...) de 30 000 € par logement construit ou acquis (...). Cette limite peut être dépassée avec l'accord de la commune. La contribution communale obligatoire est versée directement à l'organisme mentionné au même sixième alinéa, dans les conditions et selon un échéancier prévus par la convention mentionnée audit alinéa. / Si la commune ne s'acquitte pas d'un versement dû en application des dispositions de la convention et de l'échéancier mentionnés au septième alinéa, le représentant de l'État dans le département met la commune en demeure de respecter ses obligations. À l'issue d'un délai de deux mois suivant la mise en demeure, si la commune ne s'est toujours pas acquittée du versement dû, le représentant de l'État dans le département le recouvre par voie de titre de perception émis auprès de la commune, au profit de l'organisme mentionné au sixième alinéa, dans des conditions définies par décret. Dans ce cas, la somme recouvrée ne peut être déduite du prélèvement opéré sur les ressources fiscales de la commune en application de l'article L. 302-7 ".

5. Les dispositions du 2ème alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ont pour seule finalité, dans un but d'intérêt général, de permettre la réalisation de logements sociaux prévue à l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation qui imposent des objectifs triennaux de construction de ce type de logements à certaines agglomérations.

6. En premier lieu, dans la décision contestée, l'EPFR a visé les textes applicables et rappelé que la commune de l'Entre-Deux a fait l'objet d'un arrêté de constat de carence en logements sociaux pris par le préfet de La Réunion, lequel a délégué le droit de préemption urbain dans les conditions définies par les articles L. 210-1 du code de l'urbanisme à l'EPFR. Ensuite, ce dernier a précisé que la parcelle en cause se situe dans une zone urbanisée de la commune (secteur UC), dans le quartier de Bras Long qui fait actuellement l'objet d'une étude d'aménagement bénéficiant du Fonds régional d'aménagement foncier urbain. Enfin, il a indiqué que l'acquisition de cette parcelle permettrait, en complément de la parcelle limitrophe récemment préemptée, de compléter l'assiette foncière pour la réalisation d'une opération de logements aidés et contribuerait " à la mise en œuvre de la politique locale de l'habitat de la commune ". Si cette décision ne se réfère pas à une délibération précise adoptant le contenu d'un programme local de l'habitat de la commune ou d'un document en tenant lieu, elle mentionne un projet de réalisation de logements aidés dans le cadre particulier du droit de préemption urbain exercé par le préfet en cas de carence de la commune dans la réalisation de logements sociaux. Ce transfert provisoire du droit de préemption urbain au préfet ne peut être utilisé que pour acquérir les biens ou droits énumérés aux 1° à 4° de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme, et a pour seul objet de concourir à la réalisation de logements sociaux dans les communes qui n'ont pas tenu leurs engagements de construction, ainsi qu'il ressort des termes même du deuxième alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme. Par suite, dans ces circonstances, la décision de préemption du 17 juillet 2019 est suffisamment motivée dès lors qu'elle fait apparaitre la nature du projet envisagé et le fondement légal autorisant le recours au droit de préemption par l'EPFR, délégataire du préfet de La Réunion.

7. En second lieu, la décision de préemption fait ressortir la volonté, en complément de la parcelle limitrophe récemment préemptée, de compléter l'assiette foncière pour la réalisation d'une opération de logements aidés et fait référence à une étude d'aménagement bénéficiant du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain. Par ailleurs, un courrier adressé au maire de l'Entre-Deux le 16 juillet 2019 par le directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement indique que la décision de préemption attaquée a été prise en raison du " caractère manifestement stratégique de ce terrain pour constituer une réserve foncière destinée à la réalisation d'une opération de logements sociaux ". Ainsi qu'il a été dit au point précédent, l'EPFR ne pouvait prendre la décision de préemption en cause que pour la réalisation de logements sociaux, la commune présentant une carence sur ce point au regard des objectifs assignés par le préfet. Dans ces conditions, la décision attaquée justifie suffisamment de la réalité d'un tel projet de construction de logements sociaux, sans que les caractéristiques du projet ne soient nécessairement arrêtées, conformément aux dispositions des articles L. 210-1 du code de l'urbanisme et L. 309-2 du code de la construction et de l'habitation et aux stipulations de la convention tripartite et des conventions opérationnelles prises sur leur fondement.

8. L'EPFR est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a retenu les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée et de l'absence de justification de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement.

9. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la commune requérante à l'encontre de la décision attaquée.

En ce qui concerne les autres moyens de première instance :

10. En premier lieu, aux termes du 6e alinéa de l'article L. 324-1 du code de l'urbanisme : " L'exercice du droit de préemption, en application du deuxième alinéa de l'article L. 210-1, s'inscrit dans le cadre de conventions passées avec le représentant de l'État dans le département ".

11. Si la commune soutient que la procédure instituée par la convention tripartite du 16 juillet 2018 n'a pas été respectée, la méconnaissance des stipulations de son article 5.2. relatives à la " confirmation écrite " des parties quant au montant de l'acquisition, à la durée de portage et au repreneur sont sans incidence sur la légalité de la décision de préemption elle-même. Il en va de même des stipulations de l'article 6, qui prévoient la signature d'une convention opérationnelle relative aux conditions de portage, de gestion et de rétrocession des biens acquis par voie de préemption par l'EPFR, cette convention devant être signée avant la signature de l'acte chez le notaire et non comme préalable à la décision de préemption. En outre, et en tout état de cause, l'article 6 prévoit que l'État et l'EPFR peuvent convenir ensemble des conditions opérationnelles du projet, à défaut de signature de la convention par le maire de la commune, ce qui est le cas en l'espèce dès lors qu'il n'est pas contesté que le maire a refusé de procéder à cette signature.

12. En deuxième lieu, si la commune soutient que le terrain préempté par l'EPFR serait insuffisant eu égard au projet envisagé, il n'apporte aucun élément de nature à considérer que la réalisation de logements sociaux serait impossible ou difficile sur la parcelle en cause, d'une surface de 813 m², la constitution d'une unité foncière de 2 285 m² résultant en outre de sa réunion avec une parcelle précédemment acquise par l'EPFR.

13. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt à agir de la commune, que l'EPFR est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a prononcé l'annulation de la décision de préemption du 17 juillet 2019.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de l'Entre-Deux le versement à l'EPFR, d'une part, et à Mme C..., d'autre part, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 28 juin 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la commune de l'Entre-Deux devant le tribunal administratif de La Réunion est rejetée.

Article 3 : La commune de l'Entre-Deux versera à l'Établissement public foncier de La Réunion et à Mme C... une somme de 1 500 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Établissement public foncier de La Réunion, à la commune de l'Entre-Deux, à Mme C..., à M. B... E..., à M. F... E... et à M. G... A....

Une copie en sera adressée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 où siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2023.

Le rapporteur,

Sébastien Ellie

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au préfet de La Réunion, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX03799


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03799
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Sébastien ELLIE
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : SELARL SOLER-COUTEAUX / LLORENS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-20;21bx03799 ?
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