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12/02/2013 | FRANCE | N°11BX00521

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre (formation à 3), 12 février 2013, 11BX00521


Vu la requête, enregistrée le 23 février 2011, présentée pour le groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia, ayant son siège 80 rue Choletaise à Saint Macaire en Mauges (49450), par Me Cheneau-Singer ;

Le groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0802945 du 22 décembre 2010 du tribunal administratif de Poitiers, en ce qu'il a limité l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la résiliation du marché de terrassement, assainissement, chaussées de la déviation de Fleuré de

la RN 147 dont il était attributaire ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la ...

Vu la requête, enregistrée le 23 février 2011, présentée pour le groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia, ayant son siège 80 rue Choletaise à Saint Macaire en Mauges (49450), par Me Cheneau-Singer ;

Le groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0802945 du 22 décembre 2010 du tribunal administratif de Poitiers, en ce qu'il a limité l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de la résiliation du marché de terrassement, assainissement, chaussées de la déviation de Fleuré de la RN 147 dont il était attributaire ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6 282 166,23 euros assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;

3°) à titre subsidiaire d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 janvier 2013 :

- le rapport de M. Patrice Lerner, premier conseiller,

- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public ;

- les observations de Me Salomon, pour le groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia ;

1. Considérant que, par acte d'engagement notifié le 27 décembre 2007, le groupement d'entreprises constitué par les sociétés Guintoli Région ouest, mandataire du groupement, Eurovia Poitou-Charentes-Limousin et Eurovia Grands Projets et Industrie a été déclaré attributaire du marché de terrassements, assainissements et chaussées de la déviation de Fleuré de la RN 147 dans le cadre d'un appel d'offres ouvert lancé par la direction régionale de l'équipement Poitou-Charentes ; que ce marché comprenait une tranche ferme d'un montant de 5 372 596,10 euros et une tranche conditionnelle d'un montant de 6 945 193,45 euros ; que, par lettre du 13 mars 2008, notifiée le 21 mars 2008, la direction régionale de l'équipement a informé le groupement d'entreprises de la résiliation du marché ; qu'à la suite de cette résiliation, le groupement a adressé à la direction régionale de l'équipement un projet de décompte final pour un montant de 5 399 716,23 euros mais que celle-ci lui a notifié un décompte général qui ne retenait qu'un montant de 676,97 euros ; que la réclamation présentée par le groupement, qui reprenait les sommes figurant dans son projet de décompte final, ayant été rejetée, il a saisi le tribunal administratif de Poitiers du litige ; que, par un jugement du 22 décembre 2010, le tribunal a condamné l'Etat à verser au groupement la somme de 161 177,88 euros ; que le groupement fait appel de ce jugement et demande à la cour la réévaluation de son indemnisation ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le groupement appelant soutient que le tribunal aurait omis de répondre à son moyen tiré de la faute commise par l'administration qui aurait modifié une composante du marché ; que, toutefois, en indiquant qu'il résulte de l'instruction que le produit proposé ne respectait pas le cahier des charges et que, compte tenu de cette situation, en raison du fort risque contentieux, le maître d'ouvrage était en droit de prendre à l'égard du groupement attributaire une décision de résiliation pour motif d'intérêt général, le tribunal a apporté une réponse suffisante à l'ensemble des arguments invoqués à l'appui du moyen tiré de ce que la responsabilité pour faute devait être retenue comme fondement du préjudice ; que le moyen tiré d'une omission à statuer doit ainsi être écarté ;

Sur le motif de la résiliation et le principe de la réparation :

3. Considérant que le groupement ayant demandé à la direction régionale de l'équipement les motifs de la résiliation, celle-ci lui répondait, par lettre du 4 juillet 2008, que cette résiliation intervenait pour un motif d'intérêt général à la demande d'un concurrent évincé en raison d'une irrégularité ayant entaché la procédure de passation du marché ; qu'elle précisait que le règlement de la consultation prévoyait que les candidats pouvaient présenter une offre comportant une seule variante et que cette variante devait être conforme au catalogue des structures types de chaussées neuves, édition 1998, alors que l'offre variante présentée par le groupement précisait que, dans le cas où l'interprétation du règlement de consultation serait de rester sur le strict catalogue des structures, il conviendrait de rajouter 2 940 tonnes de matériaux pour la mise au point ; que le candidat évincé faisait valoir que la variante proposée ne répondait pas au règlement de consultation et que la proposition retenue par la direction régionale de l'équipement, soit la variante proposée avec l'ajout de 2 940 tonnes de matériaux, constituait une seconde variante ce que ne permettait pas le règlement de la consultation ;

4. Considérant que le groupement soutient que ces motifs étaient erronés dès lors que la variante qu'il avait présentée était conforme aux principes du catalogue 1998 associé aux dispositions du guide 2002 et respectait ainsi les conditions de l'appel d'offre, que l'administration a commis une rectification fautive en décidant l'ajout de 2 940 tonnes de matériaux alors que cet ajout n'était pas nécessaire ;

5. Considérant qu'en cas de résiliation d'un contrat pour un motif d'intérêt général, l'entreprise, en l'absence de toute faute de sa part, a droit à la réparation intégrale du préjudice résultant pour elle de cette résiliation ; que si le groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia soutient que, en l'espèce, le motif d'intérêt général invoqué par la direction régionale de l'équipement n'est pas fondé, et que, par suite, cette résiliation présente un caractère fautif, elle n'établit pas qu'un préjudice complémentaire à la réparation intégrale du préjudice auquel elle peut prétendre en cas de résiliation pour un motif d'intérêt général aurait pu lui être causé par ce caractère fautif ; que les conclusions qu'elle présente, à titre subsidiaire, au titre du préjudice du fait de la résiliation du marché pour motif d'intérêt général, qu'elle chiffre à la somme de 6 697 603,75 euros sont, au demeurant, supérieures aux conclusions qu'elle présente, à titre principal, au titre du préjudice subi du fait de la résiliation fautive du marché par l'administration, qu'elle chiffre à la somme de 6 282 166,23 euros ; que, par suite, le moyen tiré du caractère fautif de la résiliation est sans portée utile et doit être écarté ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les dépenses engagées :

6. Considérant que le groupement demande le remboursement des dépenses effectuées pour répondre à l'appel d'offre ; que le tribunal a justement considéré que ces dépenses sont au nombre de celles qu'il incombait normalement au groupement d'engager pour obtenir l'attribution du marché et qui devaient trouver leur contrepartie dans la rémunération afférente à la réalisation de ce dernier ; que, toutefois, il n'en a pas tiré les conséquences qui s'imposaient ; que, dès lors que le marché a été résilié, le groupement n'a pas été rémunéré et donc n'a pas perçu la contrepartie des frais engagés pour répondre à l'appel d'offre ; qu'il a droit, en conséquence, à leur remboursement, y compris pour celles des dépenses correspondant à la mise au point de la variante, soit 141 541,25 euros ;

7. Considérant que le groupement demande que le coût d'un contrat pour une mission d'assistance relative au marché résilié, contrat passé avec la société Voxinurbi SL basée à Irun en Espagne, qui s'élève à 132 830 euros, lui soit remboursé ; qu'il justifie, par la production des factures et, à la suite de la mesure d'instruction ordonnée par la cour, par la production d'un tableau de correspondance entre ces factures et les paiements effectués, établi par son expert-comptable, de la réalité et du montant de cette charge dont l'indemnisation, doit, par suite, lui être accordée ;

8. Considérant que le groupement demande également le remboursement des dépenses relatives à la location de l'aire nécessaire pour l'installation du chantier et des frais de résiliation ; que, toutefois, la production du seul contrat passé avec le propriétaire mais sans les appels de loyer ne saurait justifier de l'existence d'une dépense effective ;

9. Considérant que le groupement ne démontre pas avoir dû payer le coût d'évacuation de matériaux de remblai, ni des frais d'exploitation de la carrière de Goueix par leur seule mention dans la demande d'indemnisation qu'il avait adressée à la direction régionale de l'équipement ;

10. Considérant que la seule production de bordereaux de " sous-détail de prix " élaborés par la société le 6 mai 2008, soit postérieurement à la résiliation du marché, et qui ne sont assortis d'aucun justificatif ne permet pas d'établir, comme l'a jugé le tribunal, la réalité des frais de transfert d'engins de terrassement, d'installation et de signalisation du chantier ;

11. Considérant que les frais financiers réclamés résultent d'un calcul purement théorique et ne sauraient être indemnisés, leur réalité n'étant pas établie ;

12. Considérant que les frais supportés pour préparer le dossier d'indemnisation et la réclamation préalable n'ont pas été exposés pour l'exécution du marché résilié et ne sauraient ouvrir droit à indemnisation au titre de cette résiliation ;

En ce qui concerne le manque à gagner :

13. Considérant qu'il convient d'indemniser la société à hauteur de la marge nette qu'elle pouvait escompter dégager lors de la réalisation du marché ; que, compte tenu du caractère performant de la variante qu'elle avait proposée et qui permettait de réduire le coût des matériaux, il sera fait une juste appréciation de la perte de bénéfice en l'évaluant à 5 % du montant du marché ;

14. Considérant qu'en l'espèce, le marché prévoit une tranche ferme pour les terrassements et l'assainissement profond et une tranche conditionnelle pour la couche de forme, les chaussées et l'assainissement de surface ; que l'article 2.2. de l'acte d'engagement stipule que les prix seront établis en supposant que seule la tranche ferme sera exécutée et l'article 3.1 du cahier des clauses administratives particulières indique un délai limite de notification de la tranche conditionnelle de douze mois à compter du délai d'exécution de la tranche ferme ; qu'en outre, aucune pièce du marché ne prévoit d'indemnité de dédit en cas d'inexécution de cette tranche conditionnelle ; que, dans ces conditions, il y a lieu, pour calculer le montant du manque à gagner, de ne retenir que le seul montant de la tranche ferme, soit 5 399 716,23 euros ; que l'indemnisation de ce chef de préjudice s'élève ainsi à 269 985,81 euros ;

15. Considérant qu'en l'absence de tout élément probant établissant qu'une partie du personnel d'encadrement n'aurait pas pu être occupée ou que certains membres du personnel de chantier et certains engins n'auraient pas pu être réaffectés en raison de la résiliation du marché, il n'y a pas lieu de majorer le montant calculé précédemment au titre du manque à gagner ;

16. Considérant que l'indication, dans la demande d'indemnisation adressée à la direction régionale de l'équipement, que la société Saint Maixent Enrobés, fournisseur du groupement, aurait, du fait de la résiliation du marché, eu ses prix de fabrication majorés à hauteur de 526 000 euros ne saurait suffire à établir la réalité de cette allégation ni que cette majoration aurait été supportée par le groupement ;

En ce qui concerne les autres préjudices :

17. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la résiliation prononcée par la direction de l'équipement ait fait l'objet d'une quelconque publicité, ni qu'elle ait porté atteinte à la réputation des entreprises membres du groupement ; que, par suite, l'existence d'un préjudice moral qu'aurait subi ces entreprises n'est pas établie ;

18. Considérant que le groupement en se bornant à indiquer, de manière générale, que les entreprises qui le composaient avaient réduit leur agressivité commerciale dans la prise de commandes après la passation du marché n'établit pas que la résiliation de ce dernier aurait eu un impact commercial sur leur activité, dès lors qu'il ne précise pas les affaires pour lesquelles elles se seraient abstenues de soumissionner ou pour lesquelles, du fait de cette passation, elles auraient soumissionné dans des conditions moins favorables que leurs concurrents ;

19. Considérant que si la société demande la réparation du préjudice que lui aurait causé l'atteinte à son droit de propriété intellectuelle sur la variante qu'elle avait proposée et qui a été la solution de base de l'appel d'offres lancé pour le marché remplaçant le marché résilié, ce préjudice ne trouve, en tout état de cause, pas son origine dans la résiliation mais dans le nouvel appel d'offres lancé ; que les prétentions émises de ce chef, doivent, par suite, être rejetées ;

20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, que le groupement d'entreprises appelant est seulement fondé à demander que la somme de 161 177,88 euros que l'Etat a été condamné à lui verser soit portée à 544 357,06 euros, cette somme portant intérêt au taux légal, ainsi que l'a jugé le tribunal, à compter du 29 octobre 2008, les intérêts étant capitalisés à compter du 29 octobre 2009 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le paiement au groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : La somme que l'Etat est condamné à verser au groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia est portée à 544 357,06 euros.

Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 22 décembre 2010 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : L'Etat versera au groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du groupement d'entreprises Guintoli région ouest, Eurovia est rejeté.

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N° 11BX00521


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 11BX00521
Date de la décision : 12/02/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-02-03 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Résiliation. Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme MARRACO
Rapporteur ?: M. Patrice LERNER
Rapporteur public ?: M. KATZ
Avocat(s) : CHENEAU-SINGER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2013-02-12;11bx00521 ?
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