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15/12/2016 | FRANCE | N°14BX01905

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 15 décembre 2016, 14BX01905


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Lazlar a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 415 777,43 euros en réparation des préjudices subis en raison des refus de délivrer un permis de navigation pour l'exploitation du chalutier " Gure Lana " dont elle est propriétaire pour les périodes des 10 au 4 décembre 2007, 15 au 19 février 2008, 18 avril au 15 juillet 2008 et 26 au 30 septembre 2008.

Par un jugement n° 1200220 du 10 avril 2014,

le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Lazlar a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 415 777,43 euros en réparation des préjudices subis en raison des refus de délivrer un permis de navigation pour l'exploitation du chalutier " Gure Lana " dont elle est propriétaire pour les périodes des 10 au 4 décembre 2007, 15 au 19 février 2008, 18 avril au 15 juillet 2008 et 26 au 30 septembre 2008.

Par un jugement n° 1200220 du 10 avril 2014, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 juin 2014, la SARL Lazlar, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 10 avril 2014 et la décision de rejet de sa demande indemnitaire en date du 25 mai 2010 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 415 777,43 euros en réparation des préjudices, frais et manque à gagner liés à l'immobilisation injustifiée de son navire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SARL Lazlar soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée dès lors que son navire a été successivement immobilisé pour le non-respect des critères de stabilité du navire (enfoncement trop important) édictés à l'article 226 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires. Or, ces dispositions, qui concernent les navires de moins de 24 mètres de long, ne sont pas applicables au chalutier " Gure Lana " d'une longueur de 24,20 mètres. Le texte applicable en l'espèce est l'article 228-03-01 du règlement, lequel ne prévoit de surcroît aucun franc bord minimum. Les tests de stabilité demandés par la commission régionale de sécurité ont été effectués par erreur sur la base de l'article 226 du règlement, inapplicable à son chalutier ;

- si les premiers juges ont estimé que la référence à l'article 226 ne permettait pas d'établir que l'administration ait appliqué cette disposition, ils n'ont pas pour autant qualifié cette référence d'erreur matérielle. Dès lors, cette référence signifie bien que le contrôle effectué en octobre 2007 l'a été sur le fondement de l'article 226 ;

- les premiers juges n'ont tenu compte ni des termes du rapport de visite de l'inspecteur des affaires maritimes du 28 mai 2008 ni de l'avis du bureau de contrôle relevant cette erreur. Si le ministre a indiqué en première instance qu'une étude de stabilité du navire lui avait été demandée sur la base de la seule réglementation applicable à la date des travaux de modifications majeures menés sur le bateau en 1997, l'article 226 du règlement n'existait pas à cette date. L'administration a en outre ajouté des conditions de charges et des critères de stabilité dans le but d'obtenir un franc bord minimum qui n'est pas prévu dans l'article 228 du même règlement ;

- le tribunal a jugé à tort que les services de l'Etat étaient tenus, en application de l'article 4 du décret du 30 août 1984, de refuser la délivrance du permis de navigation en l'absence d'un certificat national de franc-bord. Or, des certificats provisoires avaient été délivrés pour ce navire et étaient en cours de validité à la veille de la première et des deux dernières périodes d'immobilisation du navire ;

- l'immobilisation de son navire à quatre reprises entre décembre 2007 et septembre 2008 lui a causé un préjudice d'un montant de 69 514,27 euros au titre des frais de personnel, charges sociales incluses, auquel s'ajoutent des pertes d'exploitation s'élevant à la somme de 326 788,64 euros et des frais de conseil, de manutention et de transport pour un montant de 19 474,52 euros. Ces montants sont évalués sur la base de précédentes pêches réalisées à la même période.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 avril 2015, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.

Le ministre fait valoir que :

- le navire " Gure Lana " ayant une longueur minimale de 24,20 mètres, l'administration a examiné les dossiers de stabilité présentés par la société au regard des dispositions de l'article 226 du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987, soit la seule réglementation en vigueur à la date des travaux de modification du navire intervenus en 1997. Au demeurant, la commission régionale de sécurité a émis à trois reprises en 2008 un avis défavorable sur le fondement de l'article 228 du même règlement, le dossier de stabilité du navire présentant un caractère insuffisant ;

- le permis de navigation n'a pas été refusé, comme le soutient la requérante, en raison du non-respect de la marque de franc-bord mais sur deux motifs tirés d'une part, du caractère insuffisant des dossiers de stabilité présentés à l'administration et d'autre part, de l'absence d'un certificat national de franc-bord en cours de validité délivré par une société de classification. Le permis de navigation ne pouvait être délivré dès lors que la stabilité insuffisante du navire est constitutive d'un risque réel pour sa sécurité et celle des personnes se trouvant à son bord ;

- si la règlementation subordonne la validité du permis de navigation à la validité des autres titres de sécurité, elle ne prévoit pas à l'inverse l'automaticité de la délivrance du permis dès lors que l'un de ces titres est valide. En toute hypothèse, une éventuelle indemnisation des préjudices ne pourrait concerner que la période comprise entre le 18 février 2009, date du renouvellement du certificat national de franc-bord et le 19 février 2009, date à laquelle le permis de navigation a été renouvelé. Or le délai pour renouveler ce permis n'est pas déraisonnable au regard des formalités administratives que cela implique ;

- l'évaluation de la perte d'exploitation n'est pas certaine eu égard au caractère aléatoire de la ressource disponible et du niveau des captures. Les charges salariales sont dues par l'employeur indépendamment de l'exploitation du navire. En tout état de cause, les documents produits ne permettent pas de justifier les montants réclamés.

L'ordonnance du 31 juillet 2015 a fixé la clôture de l'instruction au 30 septembre 2015 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-581 du 5 juillet 1983 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, l'habitabilité à bord des navires et la prévention de la pollution, ensemble le décret n° 84-810 du 30 août 1984 pris pour son application ;

- l'arrêté du 23 novembre 1987 modifié relatif à la sécurité des navires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-André Braud,

- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Lazlar a fait l'acquisition en 1996 d'un navire de pêche dénommé " Gure Lana ". Le 27 octobre 2006, lors d'une visite spéciale de sécurité du navire, la commission de visite du centre de sécurité des navires d'Aquitaine a constaté que la marque de franc-bord du navire était noyée. Dans la perspective du renouvellement du permis de navigation, qui expirait le 17 octobre 2007, la commission a sollicité la production d'un nouveau dossier de stabilité. Au vu du dossier produit, la commission régionale de sécurité de Bordeaux a, le 17 octobre 2007, émis un avis selon lequel le permis de navigation ne pouvait être maintenu au-delà du 10 décembre 2007, afin que la SARL Lazlar présente un nouveau dossier de stabilité répondant aux critères de stabilité qui prévalaient en 1997, date des dernières modifications réalisées sur le navire. Après la délivrance d'un nouveau permis de navigation provisoire valable du 15 décembre 2007 au 14 février 2008, la commission régionale de sécurité, lors de la réunion suivante, a sollicité la réalisation d'une nouvelle étude en précisant la pontée et la masse de glace à prendre en compte. Un nouveau permis provisoire de navigation a ensuite été délivré pour la période comprise entre le 19 février et le 18 avril 2008. Ce même jour, la commission régionale de sécurité a refusé une nouvelle fois de prendre en compte les cas de chargement et a sollicité la production d'une nouvelle étude. Le 20 juin 2008, la commission régionale de sécurité a émis un nouvel avis défavorable au renouvellement du permis de navigation dans l'attente de la production d'une étude de stabilité qui réponde aux exigences de la division 228 du règlement applicable. Le 26 septembre 2008, la commission régionale de sécurité a sollicité la réalisation d'une nouvelle expérience de stabilité. Ces avis ayant été suivis, le permis de navigation du navire n'a été renouvelé que le 30 septembre 2008. Estimant que son navire a ainsi été irrégulièrement immobilisé du 10 au 14 décembre 2007, du 15 au 19 février 2008, du 18 avril au 15 juillet 2008 et du 26 au 30 septembre 2008, la SARL Lazlar a adressé au directeur des affaires maritimes une réclamation tendant au versement d'une indemnité d'un montant de 415 777,43 euros en réparation des préjudices causés par ces immobilisations. Cette réclamation ayant été rejetée, la SARL Lazlar a réitéré sa demande devant le tribunal administratif de Pau. Elle relève appel du jugement en date du 10 avril 2014 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 3 du décret du 30 août 1984 susvisé, dans sa version alors en vigueur : " I. - Tous les navires français à passagers et tous les autres navires d'une longueur égale ou supérieure à douze mètres, (...), doivent, s'ils ne possèdent pas de certificat international de franc-bord, être munis d'un certificat national de franc-bord en tenant compte notamment de la structure et de l'échantillonnage, de la stabilité, de l'étanchéité et des conditions d'exploitation du navire. / II. - Le certificat national de franc-bord est délivré pour une durée maximale de cinq ans par une société de classification reconnue. (...) ". Le paragraphe I de l'article 4 du même décret dispose que " (...) 1. Le permis de navigation n'est délivré et renouvelé que si tous les autres certificats de sécurité et de prévention de la pollution sont en cours de validité. Sa date d'échéance ne peut dépasser la date de fin de validité de l'un quelconque des autres certificats. (...) ".

3. En premier lieu, pour engager la responsabilité de l'Etat, la SARL Lazlar invoque l'illégalité des refus de renouvellement du permis de naviguer au motif que les refus se fondent sur les dispositions de la division 226 du règlement général sur la sécurité des navires annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires alors que le navire, eu égard à sa longueur de 24,20 mètres, relève de la division 228 dudit règlement. Il résulte de l'instruction que si le premier avis émis par la commission régionale de sécurité le 17 octobre 2007 se réfère à la division 226, tous les autres avis de cette commission joints à l'instruction se réfèrent à la division 228. Or ces avis, postérieurs à celui émis le 17 octobre 2007, ont constaté que les dossiers de stabilité ne satisfaisaient pas aux conditions posées par la division 228. Dès lors, faute de démontrer que le dossier de stabilité qu'elle avait préparé pour la réunion du 17 octobre 2007 satisfaisait aux conditions posées par la division 228, la SARL Lazlar n'établit pas que l'erreur constituée par la référence à la division 226 constituerait une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

4. En deuxième lieu, la SARL Lazlar soutient que les refus de renouvellement du permis de naviguer se fondent sur une mauvaise application de la division 228, laquelle n'exigerait pas un franc-bord minimum de 400 mm.B..., il résulte de l'instruction, et notamment des procès-verbaux des avis de la commission régionale de sécurité, que ces refus se fondent, non pas sur une telle exigence, mais, s'agissant du franc bord, sur la nécessité de produire les nouveaux plans de structure visés par le Bureau Veritas et sur la fourniture de précisions complémentaires sur le fait que le navire puisse tolérer un franc-bord en deçà de 600 mm, et s'agissant de la stabilité, sur le refus des cas de chargement présentés. En outre, contrairement à ce que soutient la société requérante, le procès-verbal de la visite spéciale du navire en date du 26 mai 2008, en se bornant à indiquer que " La structure du navire est actuellement approuvée pour un franc-bord minimal de 467 mm " et à préciser que " L'armateur compte solliciter BV [le Bureau Veritas] pour une étude de structure en considérant un franc-bord de 400 mm " ne se fonde pas davantage sur cette exigence, le motif du refus étant que " le dossier de stabilité, tel qu'il est présenté à ce jour, ne répond pas aux exigences de la règlementation, principalement pour des raisons d'enfoncement trop important. De plus, le navire est plus lourd que ce que prévoit ce dossier de stabilité ". Enfin, si la commission régionale de sécurité a demandé à plusieurs reprises de produire de nouveaux cas de chargement, il ne résulte pas de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la SARL Lazlar, ces demandes aient été motivées par l'objectif d'obtenir un franc bord minimum, lequel ne serait pas exigé par la division 228. Ainsi, aucune faute n'est établie dans l'application des dispositions de la division 228 du règlement sur la sécurité des navires.

5. En dernier lieu, la SARL Lazlar semble soutenir que l'immobilisation de son navire était irrégulière dans la mesure où elle était titulaire de certificats de franc bord provisoires à la veille de trois des quatre décisions de non-renouvellement. Il résulte de l'instruction que la société Bureau Véritas, société de classification à laquelle la société requérante a fait appel dans le cadre de l'élaboration du dossier de stabilité précité, n'avait pas délivré le certificat national de franc-bord pour les périodes des 10 au 14 décembre 2007, 15 au 19 février 2008, 18 avril au 15 juillet 2008 et 26 au 30 septembre 2008. Contrairement à ce que soutient la société Lazlar, les dispositions précitées de l'article 4 du décret du 30 août 1984 imposaient à l'autorité compétente de s'abstenir de délivrer un permis de navigation en l'absence d'un certificat national de franc-bord valide. Dans ces conditions, les premiers juges ont pu en déduire à juste titre que la société Lazlar n'était, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le directeur régional n'était pas lié par l'absence de certificat de franc-bord pour refuser le permis de navigation au navire " Gure Lana " pour les périodes considérées. La circonstance que le permis de navigation n'ait été renouvelé le 20 février 2008 que le lendemain de la délivrance du certificat de franc-bord ne peut être regardée, eu égard à la brièveté de ce délai, comme fautive. Elle n'est donc en tout état de cause pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

6. Il résulte de ce qui précède que la SARL Lazlar n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Lazlar est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Lazlar et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2016 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 décembre 2016.

Le rapporteur,

Paul-André BRAUDLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Delphine CÉRON

La République mande et ordonne au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

No 14BX01905


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14BX01905
Date de la décision : 15/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute. Application d'un régime de faute simple.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Paul-André BRAUD
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP ASSIE AGUER IDIART

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-12-15;14bx01905 ?
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