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03/01/2017 | FRANCE | N°14BX02796

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 03 janvier 2017, 14BX02796


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. C...B..., Mme F...D...et M. A...B...ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la société Electricité de France (EDF) à leur verser la somme totale de 330 000 euros en principal, en réparation de leurs préjudices causés par le décès de M. E...B...en conséquence d'un accident survenu le 29 avril 2004.

Par un jugement n° 1300642 du 22 juillet 2014, le tribunal administratif de la Martinique a condamné EDF à leur verser la somme globale de 54 452,60 euros en principal et rejeté pou

r le surplus des conclusions des consortsB....

Procédure devant la cour :

Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. C...B..., Mme F...D...et M. A...B...ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner la société Electricité de France (EDF) à leur verser la somme totale de 330 000 euros en principal, en réparation de leurs préjudices causés par le décès de M. E...B...en conséquence d'un accident survenu le 29 avril 2004.

Par un jugement n° 1300642 du 22 juillet 2014, le tribunal administratif de la Martinique a condamné EDF à leur verser la somme globale de 54 452,60 euros en principal et rejeté pour le surplus des conclusions des consortsB....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 septembre 2014 et des pièces complémentaires produites le 16 août 2016, les consortsB..., représentés par Me Celenice, avocat, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 22 juillet 2014 en ce qu'il n'a pas fait intégralement droit à leurs demandes ;

2°) de condamner EDF à leur verser la somme globale de 150 000 euros en réparation de leurs préjudices d'affection, ainsi que la somme de 177 396,53 euros au titre du préjudice économique de Mme D...et la somme de 2 603,47 euros au titre des frais d'obsèques.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 28 Pluviôse de l'an VIII ;

- le décret n° 82-167 du 16 février 1982 relatif aux mesures particulières destinées à assurer la sécurité des travailleurs contre les dangers d'origine électrique lors des travaux de construction, d'exploitation et d'entretien des ouvrages de distribution d'énergie électrique.

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- et les conclusions de M. Guillaume de La Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E...B..., employé de l'entreprise de Travaux Electriques Martiniquais (TEM), a fait le 29 avril 2004 une chute mortelle occasionnée par un choc électrique, alors qu'il effectuait des travaux de maintenance d'une ligne électrique aérienne sur le territoire de la commune de Ducos pour le compte de la société Electricité de France (EDF). Mme D...et ses enfants, MM. C...G...B...et A...B..., relèvent appel du jugement du 22 juillet 2014 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a condamné EDF à leur verser la somme globale de 54 452,60 euros en principal en réparation des préjudices résultant pour eux du décès de leur conjoint et père, mais a rejeté le surplus de leur demande, qui tendait à l'octroi d'une indemnité d'un montant total de 330 000 euros en principal. La société EDF, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande indemnitaire présentée devant le tribunal par les consortsB....

Sur la régularité du jugement :

2. L'article L. 434-7 du code de la sécurité sociale impose aux victimes ou à leurs ayants droits d'appeler les caisses de sécurité sociale auxquelles la victime est ou était affiliée en déclaration de jugement commun ou réciproquement. Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'assurer, en tout état de la procédure, le respect de ces dispositions. Ainsi, le tribunal administratif, saisi par la victime ou par la caisse d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident, doit appeler en la cause, selon le cas, la caisse ou la victime. La méconnaissance des obligations de mise en cause entache le jugement d'une irrégularité que le juge d'appel doit, au besoin, relever d'office.

3. Il résulte de l'instruction que le tribunal administratif de la Martinique n'a pas mis en cause la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique. Le jugement n° 1300642 du 22 juillet 2014 du tribunal administratif est, par suite, irrégulier et doit être annulé. La procédure ayant été communiquée à la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique, il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande.

Sur la demande des consortsB... :

En ce qui concerne la responsabilité d'EDF :

4. L'accident mortel dont a été victime M.B..., survenu alors qu'il escaladait un poteau au lieu-dit " Morne Carette " pour remplacer un isolateur et les parafoudres d'une ligne électrique à moyenne tension dans le cadre d'une commande passée par EDF à la société TEM, sous-traitant agréé employeur de M.B..., constitue un dommage résultant de l'exécution d'un travail public. La responsabilité du maître de l'ouvrage, dont il peut le cas échéant être exonéré à raison de la faute de la victime, ne peut en conséquence être engagée que sur le fondement d'une faute qui lui serait imputable.

5. Si la société EDF relève que la Cour de cassation, par un arrêt du 11 octobre 2011, a annulé l'arrêt de la cour d'appel de Fort-de-France qui confirmait la condamnation du chef d'homicide involontaire prononcée à son encontre par le tribunal correctionnel de Fort-de-France le 1er juillet 2009 et que la cour d'appel de renvoi, par un arrêt définitif du 24 avril 2012, a invalidé à son tour le jugement de première instance et l'a renvoyée sans peine des fins de la poursuite pénale, il résulte de l'instruction que le juge pénal s'est, ce faisant, borné à relever que les dispositions de l'article 121-2 du code pénal ne permettaient pas l'engagement de la responsabilité pénale d'EDF à raison des fautes commises par deux de ses agents reconnus définitivement coupables d'avoir involontairement causé la mort de M.B..., ceux-ci ne pouvant être reconnus comme " organes ou représentants de la personne morale ", au sens de ces dispositions. Il n'en résulte aucune constatation de fait susceptible de lier le juge administratif pour l'appréciation de la responsabilité d'EDF dans les conditions définies au point 4.

6. Il résulte de l'instruction que M. B...est décédé de traumatismes crânien et thoracique sévères occasionnés par la chute de plus de huit mètres dont il a été victime, consécutive au choc électrique qu'il a reçu dans les mains lorsque sa longe de sécurité, qu'il venait de détacher pour franchir un obstacle, a touché un câble nu de remontée aéro-souterraine demeuré sous tension situé à proximité immédiate de la ligne sur laquelle il devait intervenir, et sous le coup duquel il a lâché le poteau qu'il avait entrepris d'escalader en s'aidant des alvéoles. Dans ces conditions, et dès lors que la chute mortelle de M. B...est sans conteste la conséquence directe et certaine de son électrisation par l'effet d'une installation placée sous sa garde, la société EDF n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité ne saurait être engagée à raison du maintien sous tension partielle des ouvrages situés sur le site du chantier.

7. Il ressort des mentions des procès-verbaux d'audition des témoins de l'accident et d'un rapport de l'inspection du travail relatif à cet accident, en date du 24 avril 2004, que les employés de l'entreprise TEM qui sont intervenus le 29 avril 2004 étaient encadrés par des agents de la société EDF, lesquels, après confirmation de la mise hors tension du site, ont pratiqué une consignation en deux étapes du lieu d'intervention mais en laissant en dehors du champ de cette consignation, en raison notamment de schémas techniques imprécis quant aux emplacements des câbles de remontée aéro-souterraine, le poteau sur lequel M. B...est par la suite intervenu. Le rapport relève une série de défaillances dans la préparation du chantier, constitutives de violations de la réglementation de sécurité applicable et, en particulier, des prescriptions du décret susvisé du 16 février 1982, telles que l'absence d'établissement d'un plan écrit de prévention et d'identification des risques, le non respect de la règle de reconnaissance préalable du site par l'ensemble des intervenants, la mise sous tension incomplète des ouvrages situés à proximité immédiate du site du chantier, l'absence d'information fiable à cet égard puis de vérification finale de l'absence de tension en aval de la zone de travail, ou encore la mise en oeuvre de moyens d'ascension, de positionnement et de protection inadaptés à la configuration du chantier. L'inspecteur du travail en a déduit sans ambiguïté que l'accident mortel de M. B...résultait de la conjonction de ces multiples défaillances, constitutives d'une " carence importante en termes d'évaluation des risques électriques et de chute de hauteur ", imputable au maître d'ouvrage. Il résulte de l'instruction, compte tenu de ces éléments, que la société EDF a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'endroit des ayants droit de M.B....

8. S'il résulte également de l'instruction que M.B..., ainsi que l'a relevé le tribunal, a lui-même contribué au dommage en escaladant le poteau par les alvéoles et en détachant sa longe de sécurité pour contourner un obstacle, en méconnaissance des consignes de sécurité applicables, les manquements relevés par l'inspecteur du travail relatifs à l'encadrement insuffisant des employés de l'entreprise TEM, pourtant qualifiés de peu expérimentés, par les agents EDF présents, et à l'inadaptation des moyens d'ascension mis à leur disposition, ne permettent pas d'atténuer de plus de 10 % la responsabilité de la société EDF.

En ce qui concerne les préjudices :

9. Les requérants justifient, en premier lieu, de frais d'obsèques pour un montant de 2 603,47 euros, qu'il convient de mettre à la charge de la société EDF dans les proportions indiquées ci-dessus, soit à concurrence de 2 343,12 euros.

10. En deuxième lieu, il résulte des pièces produites par les requérants que M. E...B...percevait à la date de son accident un salaire annuel de 14 646 euros, constituant l'ensemble des revenus du foyer. Il résulte par ailleurs de l'instruction que ce foyer comptait deux enfants, âgés respectivement de 11 ans et 8 ans à la date du décès de leur père et dont on peut estimer qu'ils sont chacun demeuré à la charge de Mme D...jusqu'à l'âge de vingt ans. Ainsi, compte tenu de la composition initiale du foyer et de son évolution, la part de la perte annuelle résultant pour Mme D...du décès de son conjoint représente 40 % des revenus que percevait ce dernier, soit 5 858,40 euros, pour la période couvrant les années 2004 à 2013, 50 % de ces revenus pour les années 2013 à 2016, soit 7 323 euros, et 60 % de ces revenus à compter de 2016, soit 10 252,20 euros. La société EDF soutient toutefois sans être contredite par les consorts B...que MmeD..., à la suite de la déclaration de l'accident du travail de M. E...B..., a nécessairement perçu la pension de réversion prévue par les dispositions de l'article L. 434-8 du code de la sécurité sociale au bénéfice du conjoint survivant d'un salarié victime d'un tel accident, dont le montant est fixé par le même code à 40 % des revenus du défunt, habituellement majoré de 20 % lorsque celui-ci atteint l'âge de cinquante-cinq ans. Il suit de là que MmeD..., née en 1968, n'établit pas avoir subi un préjudice économique avant l'année 2013 et ne peut invoquer un préjudice économique futur au-delà de l'année 2023, et que, pour les années 2013 à 2023, le préjudice qu'elle invoque ne peut être regardé comme établi qu'à concurrence de 24 898,20 euros, dont 22 408,38 euros seront mis en conséquence à la charge de la société EDF, en vertu du taux de responsabilité défini au point 6.

11. Enfin, Mme D...et ses enfants peuvent demander réparation du préjudice moral subi par eux du fait du décès de M.B.... Il sera fait une juste appréciation des préjudices d'affection qu'ils ont éprouvés en les fixant à 30 000 euros pour Mme D...et à 20 000 euros pour chacun des enfants du couple. En application du taux de responsabilité susmentionné, l'indemnité due à ce titre par EDF à Mme D...s'élève à 27 000 euros et chacune des indemnités dues à MM. A...et C...B...à la somme de 18 000 euros.

12. Dans ces conditions, la société EDF doit être condamnée à verser, en réparation de leurs préjudices personnels respectifs, une somme de 51 751,50 euros à Mme D...et des sommes de 18 000 euros à MM. A...et C...B....

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des consortsB..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que sollicite EDF au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1300642 du 22 juillet 2013 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : La société EDF est condamnée à verser la somme de 51 751,50 euros à Mme D...et des sommes de 18 000 euros respectivement à M. C...B...et à M. A...B....

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la société EDF présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

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N° 14BX02796


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14BX02796
Date de la décision : 03/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CELENICE

Origine de la décision
Date de l'import : 17/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-01-03;14bx02796 ?
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