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03/07/2017 | FRANCE | N°15BX03678

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 03 juillet 2017, 15BX03678


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le ministre du travail, par une décision du 31 juillet 2014 a annulé la décision du 14 février 2014 de l'inspectrice du travail refusant d'accorder à la société F...l'autorisation de licencier M. G...et a lui-même refusé d'accorder cette autorisation. La société F...a demandé au tribunal de Pau d 'annuler cette décision du ministre du travail.

Par un jugement n° 1401832 du 15 septembre 2015 le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 31 juillet 2014 du ministre du travail.
>Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 novembre 2015 et des mémoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le ministre du travail, par une décision du 31 juillet 2014 a annulé la décision du 14 février 2014 de l'inspectrice du travail refusant d'accorder à la société F...l'autorisation de licencier M. G...et a lui-même refusé d'accorder cette autorisation. La société F...a demandé au tribunal de Pau d 'annuler cette décision du ministre du travail.

Par un jugement n° 1401832 du 15 septembre 2015 le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 31 juillet 2014 du ministre du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 novembre 2015 et des mémoires complémentaires du 18 juillet 2016 et du 1er juin 2017, M. G...représenté par MeB..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 15 septembre 2015 du tribunal administratif de Pau ;

2°) de rejeter la demande de la sociétéF... présentée devant le tribunal administratif de Pau ;

3°) de mettre à la charge de la société F...la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité, dès lors que le tribunal administratif a soulevé d'office le fait que le ministre du travail s'était fondé sur la prescription des faits qui lui étaient reprochés, sans que cette question ait été soulevée devant le ministre du travail ou devant l'inspectrice du travail ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la question de la prescription de l'action disciplinaire avait été débattue devant le tribunal, par la sociétéF... ;

- en tout état de cause, les poursuites disciplinaires engagées à son encontre étaient en vertu de l'article L. 1332-4 du code du travail prescrites, dès lors que les faits qui lui sont reprochés datent du 7 août 2013 et étaient donc prescrits le 8 octobre 2013 soit à la date du 18 novembre 2013 à laquelle il a été convoqué à l'entretien préalable ;

- si l'employeur soutient qu'il n'aurait eu connaissance des faits que le 5 novembre 2013, par le dépôt anonyme d'une enveloppe remise à M.F..., le PDG de la société, cette date du 5 novembre 2013 ne présente aucun caractère certain ;

- M. F...a par ailleurs menti sur la date à laquelle il avait eu connaissance des impressions d'écran du compte facebook de M.G... ;

- les pièces du dossier établissent que la société F...avait eu connaissance des faits du 7 août 2013 au plus tard le 30 octobre 2013, soit à une date à laquelle ces faits étaient prescrits ;

- par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société, l'article L 1235-1 du code du travail selon lequel le doute doit profiter au salarié, est également applicable en matière de prescription de l'action disciplinaire dès lors que l'alinéa 1er de l'article L. 1235-1 se rapporte à la régularité de la procédure suivie ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis dès lors notamment qu'il n'est pas établi que les messages aient été écrits pendant son temps de conduite alors que par ailleurs, son téléphone portable permet d'écrire des messages par le seul usage de la voix ;

- comme l'a jugé la cour de cassation, les messages postés sur facebook ont un caractère privé alors qu'en tout état de cause, les impressions d'écran de page internet ne valent pas preuve en justice et les constats d'huissier établis à partir d'une page internet sont soumis à des formalités qui n'ont pas en l'espèce été respectées ;

- en permettant l'accès à son compte facebook, la société F...a porté atteinte à sa vie privée ;

- ce mode de preuve est considéré comme déloyal au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il n'a jamais fait l'objet de sanction pour des faits similaires depuis son embauche en janvier 2008.

- il est victime d'un comportement discriminatoire dès lors que seul son compte facebook a été contrôlé par son employeur et que d'autres salariés ayant commis des infractions routières et ayant téléphoné au volant n'ont pas été licenciés et n'ont reçu que des avertissements ;

- il a porté plainte contre M. F...pour harcèlement moral et discrimination syndicale et si le tribunal correctionnel de Pau par un jugement du 4 février 2016 a prononcé la relaxe, il a fait appel de ce jugement.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 janvier 2016, et des mémoires des 29 août 2016 et 24 février 2017, la sociétéF..., représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête de M. G...et à ce que soit mise à sa charge la somme de 2 500 euros et une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle fait valoir que :

- comme l'a jugé le tribunal administratif, le ministre ne pouvait, ce qui est contraire à ce qu'a jugé la cour de cassation soulever d'office la prescription, dès lors que la société n'avait pas été mise à même par le ministre de discuter de ce motif de refus d'autorisation de licenciement ;

- à titre subsidiaire, la société a bien eu connaissance des faits fautifs moins de deux mois avant la convocation à l'entretien préalable, n'ayant eu connaissance de ces faits que le 28 octobre 2013 ;

- la société qui s'est bornée à vérifier sur la page publique du compte facebook les faits reprochés à M.G..., n'a pas adopté de comportement discriminatoire à son égard.

Par un mémoire enregistré le 16 février 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut aux mêmes fins que M. G...et donc à l'annulation du jugement du 15 septembre 2015 du tribunal administratif de Pau ;

Il fait valoir que :

- le jugement est entaché d'une erreur de droit, dès lors que contrairement à ce que le tribunal administratif a considéré, il n'a pas soulevé d'office la question de la prescription des faits disciplinaires, mais a simplement retenu après avoir annulé la décision de l'inspectrice du travail, l'un des points, tenant à la question de la prescription, qui était soumis à son contrôle, ayant pris sa décision, sur la base des documents transmis notamment par l'employeur ;

- si la décision prise en matière d'autorisation de licenciement, doit nécessairement être précédée d'une procédure contradictoire, le ministre n'est en aucun cas tenu à indiquer à l'avance le motif qui fondera sa décision ;

- en ce qui concerne le bien-fondé de la prescription, la société F...n'a pas communiqué d'éléments, permettant de considérer qu'elle n'avait eu connaissance des faits, que moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. G... qui doit dès lors profiter du doute.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant M.G....

Considérant ce qui suit :

1. M. G...était salarié de la société F...comme chauffeur de poids lourds et livreur, depuis le 8 janvier 2008. Il avait la qualité de salarié protégé du fait de son mandat de représentant du personnel suppléant au comité d'entreprise. Le ministre du travail, par une décision du 31 juillet 2014 a annulé la décision du 14 février 2014 de l'inspectrice du travail refusant d'accorder à la société F...l'autorisation de licencier M. G...pour faute et a lui-même refusé d'accorder cette autorisation. M. G...relève appel du jugement du 15 septembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du 31 juillet 2014 du ministre du travail.

Sur la régularité du jugement :

2. M. G...soutient que le jugement serait entaché d'irrégularité, dès lors que le tribunal administratif aurait soulevé d'office le fait que le ministre du travail pour refuser par sa décision du 31 juillet 2014 à la société F...l'autorisation de licenciement, se serait fondé sur la prescription des faits disciplinaires, sans que ni l'employeur ni le salarié, qui ne s'était pas prévalu de cette prescription, n'aient été en mesure de s'expliquer sur le bien-fondé de ce motif avant l'intervention de cette décision. Toutefois, dans la page 5 de sa demande devant le tribunal administratif, la société F...faisait valoir que la question de la prescription n'avait jamais été évoquée au cours de l'enquête contradictoire devant l'inspectrice du travail et lors de la procédure contradictoire initiée par le ministre et que M. G... ne s'en était pas non plus prévalu, et que dès lors, le ministre n'avait pu se saisir du motif de la prescription pour refuser l'autorisation de licenciement.

3. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, le jugement du tribunal administratif, qui n'a pas soulevé d'office un moyen tiré de ce que le ministre du travail se serait saisi d'office du motif de la prescription de l'action disciplinaire n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement et de la décision en litige :

4. En vertu des dispositions de l'article L. 2411-3 du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.

5. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

6. Il résulte de ces dispositions que l'inspecteur du travail ou le ministre, lorsqu'ils statuent sur la demande d'autorisation de licenciement, doivent contrôler l'existence éventuelle de la prescription de l'article L. 1332-4, alors même que le salarié dans le cadre de la procédure contradictoire, ne se serait pas prévalu de cette prescription, et que l'employeur ne l'aurait pas non plus évoquée.

7. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, si au titre du contradictoire, l'inspecteur du travail et le ministre du travail sont tenus de communiquer au salarié et à l'employeur, tous les documents utiles lors de l'instruction de la demande d'autorisation de licenciement, en revanche, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n'obligent l'administration à indiquer à l'avance à l'employeur et au salarié, les motifs sur lesquels se fondera la décision prise.

8. Dans ces conditions, M. G...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a annulé au motif d'un vice de procédure, la décision du ministre du travail du 31 juillet 2014 refusant d'accorder à la société F...l'autorisation de licenciement.

9. La cour est donc saisie par la voie de l'effet dévolutif des autres moyens présentés par la société F...tant en première instance qu'en appel.

10. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) Si un doute subsiste, il profite au salarié. ".Ces dernières dispositions qui ne concernent que le doute au profit du salarié sur la matérialité des faits susceptibles de caractériser l'existence d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, ne sont applicables qu'à l'appréciation portée par le juge lors de la contestation de la décision relative à l'autorisation de licenciement.

11. La prescription visée par les dispositions précitées de l'article L. 1332-4 du code du travail, si elle conditionne la prise en compte ou non d'éventuels faits fautifs, est sans incidence directe sur leur matérialité et ne peut donc en elle-même se voir appliquer le principe posé par l'article L. 1235-1 relatif au doute quant à la matérialité des faits. Le ministre du travail en se fondant pour refuser l'autorisation de licenciement, sur l'existence d'un doute sur la prescription de l'article L 1332-4 du code du travail et en faisant bénéficier le salarié de ce doute par application des dispositions de l'article L.1235-1 précitées, a dès lors commis, comme le soutient la sociétéF..., une erreur de droit.

12. Il résulte de ce qui précède , sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens que la société invoque, que M. G...n'est pas fondé à se plaindre de l'annulation par le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 septembre 2015 de la décision du 31 juillet 2014 du ministre du travail refusant d'accorder à la société F...l'autorisation de licencier M.G....

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société F...qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. G...demande sur le fondement de ces dispositions. Par ailleurs dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. G... et de l'Etat une somme sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. G...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société F...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M.G..., à la société F...et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2017 à laquelle siégeaient :

M. C...Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, premier conseiller,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 3 juillet 2017.

Le rapporteur,

Pierre BentolilaLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

N° 15BX03678 - 2 -


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX03678
Date de la décision : 03/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : ALLAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-07-03;15bx03678 ?
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