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16/02/2018 | FRANCE | N°16BX00296,16BX00313

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 16 février 2018, 16BX00296,16BX00313


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...D...et M. E...D...ont demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté par lequel le maire de la commune d'Estirac a, le 30 avril 2014, refusé le raccordement de leur maison d'habitation au réseau d'électricité, ensemble les décisions par lesquelles le maire de la commune et le préfet des Hautes-Pyrénées ont rejeté les recours administratifs formés contre cet arrêté et de prescrire au maire de la commune de statuer à nouveau sur la demande des consortsD..., et ce dans un délai d'un mois

à compter de la notification du jugement, sous peine d'une astreinte de 100 eur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...D...et M. E...D...ont demandé au tribunal administratif d'annuler l'arrêté par lequel le maire de la commune d'Estirac a, le 30 avril 2014, refusé le raccordement de leur maison d'habitation au réseau d'électricité, ensemble les décisions par lesquelles le maire de la commune et le préfet des Hautes-Pyrénées ont rejeté les recours administratifs formés contre cet arrêté et de prescrire au maire de la commune de statuer à nouveau sur la demande des consortsD..., et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1402113 du 17 novembre 2015, le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté par lequel le maire de la commune d'Estirac a, le 30 avril 2014, refusé le raccordement de la maison d'habitation sise sur la parcelle cadastrée section B n° 135 au réseau d'électricité, ensemble les décisions par lesquelles le maire de la commune et le préfet des Hautes-Pyrénées ont rejeté les recours administratifs formés contre cet arrêté et prescrit au maire de la commune d'Estirac de prendre une nouvelle décision, après une nouvelle instruction, sur la demande de raccordement au réseau présentée par MM. G... et E...D..., et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédures devant la cour :

I) Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2016, sous le n° 16BX00296, et des mémoires, enregistrés les 9 janvier, 11 janvier, 25 janvier 2017 et le 19 avril 2017 à 6h58, la commune d'Estirac, représentée par MeH..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 17 novembre 2015 ;

2°) de mettre solidairement à la charge de MM. D...la somme de 3 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement a dénaturé l'acte attaqué ; en effet, l'arrêté du 30 avril 2014 avait uniquement pour objet le raccordement au réseau électrique, et non aux autres réseaux, gaz ou téléphone ; les premiers juges ont donc statué ultra petita et, partant, commis une omission à statuer sur la décision dont ils étaient saisis ;

- le jugement est entaché d'une erreur de fait ; les bâtiments décrits dans l'acte du 13 décembre 1935 ne peuvent être les mêmes que ceux pour lesquels les consorts D...demandent le raccordement ; c'est un démembrement de la propriété qu'ont acquis les consorts D...en 2005 ; ces parcelles ont été exploitées en gravière de 1957 à 1973 et c'est pendant cette période qu'a été édifié sans permis de construire le bâtiment pour lequel le raccordement est sollicité ; ce bâtiment était à usage d'abri pour les ouvriers de l'exploitation puis de logement pour le gardien ; il résulte également d'attestations que ce bâtiment a été achevé en 1964 ou 1965, sans permis de construire ; cette construction était donc irrégulière au regard du code de l'urbanisme ;

- le jugement est également entaché d'une erreur de droit ; dès lors que le bâtiment a été édifié sans permis de construire, le maire était tenu de refuser le raccordement, sur le fondement de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme ; un tel refus est légal même si l'infraction pénale constituée par sa construction sans autorisation est prescrite, ou même si elle n'est pas constituée ; le bâtiment pour lequel le raccordement est sollicité n'a jamais été autorisé au titre du code de l'urbanisme ; en outre, le changement de destination de la construction en habitation postérieurement à la fin de l'exploitation de la gravière n'a pas non plus été autorisé ; le cahier des charges de l'adjudication de 2005 parle d'ailleurs de " bâtiments " et non de " maisons d'habitation " ; enfin, sur un acte de vente de 1975, aucune maison d'habitation n'est référencée sur les parcelles 135 et 136 ;

- le tribunal a statué ultra petita, en mentionnant des faits contraires à ceux invoqués par les requérants eux-mêmes et en considérant que la commune ne prouvait pas l'irrégularité de la construction, alors que les requérants admettaient l'absence d'autorisation d'urbanisme.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 8 mars 2016 et le 21 mars 2017, MM. D..., représentés par MeC..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune d'Estirac la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- aucun des moyens soulevé par la commune n'est fondé ; en particulier, les premiers juges n'ont pas statué ultra petita et n'ont pas commis d'omission à statuer ; l'éventuelle erreur de fait ou de droit soulevée est sans incidence dès lors que la commune ne rapporte pas la preuve de ce que la construction aurait été irrégulièrement édifiée ; le bien en litige est entré dans le patrimoine de la famille D...en 2005 sur adjudication ; il est issu d'un acte notarié de 1975, portant sur la maison d'habitation dont ils sont aujourd'hui propriétaires ; la prétendue irrégularité de la construction n'a jamais été opposée aux précédents propriétaires ; cette construction apparaît sur les plans cadastraux ; la commune entretient volontairement une confusion entre deux constructions ; jamais auparavant la commune ne s'était prévalue de l'irrégularité de la construction ; le code de l'urbanisme de 1957 permettait, par son article 86, l'exemption de permis de construire pour certaines constructions dans les communes de moins de 2 000 habitants; en tout état de cause, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la construction ait été édifiée à une date où un permis de construire était requis ; il n'existe de toute façons aucun registre des permis de construire dans la commune et les archives de la DDT pour 2005 sont lacunaires ; la maison dispose d'un ancien câble d'alimentation EDF, d'un tableau électrique et d'un disjoncteur ; il est donc faux de prétendre qu'elle n'a jamais été raccordée ; en outre, l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé, est entaché d'un défaut de base légale et d'erreur de droit, est contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entraîne une rupture du principe d'égalité, méconnaît le PPR de la commune et l'arrêté interpréfectoral du 29 octobre 2012 et est entaché d'un détournement de pouvoir.

Par une ordonnance en date du 21 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2017.

II) Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2016, sous le n° 16BX00313, et un mémoire, enregistré le 27 avril 2015, la commune d'Estirac, représentée par Me H..., demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Pau du 17 novembre 2015.

Elle soutient que :

- les conditions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont réunies ;

- les premiers juges se son mépris ; les conditions de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme étaient remplies, si bien que le maire pouvait légalement refuser le raccordement électrique demandé.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 6 mars 2016 et le 14 septembre 2017 à 10h52, MM.D..., représentés par MeC..., concluent au rejet de la requête à fin de sursis à exécution et à la condamnation de la commune d'Estirac à leur verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- à titre principal, il y a non-lieu à statuer, dès lors que la commune a pris un nouvel arrêté de refus en date du 18 janvier 2016, substituant ainsi un nouveau refus à celui déjà annulé par le tribunal administratif ;

- à titre subsidiaire, il y a absence, en l'état, de moyen sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.

Par une ordonnance en date du 10 août 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 septembre 2017.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi du 15 juin 1943 relative au permis de construire :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeH... a, représentant la commune d'Estirac.

Une note en délibéré pour MM. D...a été enregistrée le 1er février 2018.

Considérant ce qui suit :

1. MM. G...et E...D...sont propriétaires, sur le territoire de la commune d'Estirac (Pyrénées-Atlantiques), d'un certain nombre de parcelles agricoles sises au bord de l'Adour, dont deux d'entre elles, cadastrées section B n° 135 et 136, supportent deux constructions. Considérant que celle qui est située sur la parcelle 135 constitue, depuis très longtemps, une maison d'habitation qu'ils souhaitent remettre en état, ils en ont sollicité le raccordement électrique. Par un arrêté du 30 avril 2014, le maire de la commune d'Estirac a refusé de faire droit à cette demande, aux motifs que la construction ou transformation du bâtiment à raccorder n'avait pas été autorisée en vertu des dispositions de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, que ce bâtiment était situé en zone inconstructible de la carte communale et qu'il était situé en zone inondable du plan de prévention des risques naturels prévisibles. Par une requête enregistrée sous le n° 16BX00296, la commune d'Estirac fait appel du jugement du tribunal administratif de Pau du 17 novembre 2015 qui a, à la demande de MM.D..., annulé l'arrêté précité du 30 avril 2014 et prescrit au maire de statuer à nouveau sur la demande présentée. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 16BX00313, la commune demande qu'il soit sursis à statuer sur ce jugement. Ces deux requêtes présentant des questions identiques à juger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la requête au fond, enregistrée sous le n° 16BX00296 :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. La commune d'Estirac fait valoir que le tribunal administratif a, à plusieurs reprises dans le jugement attaqué, mentionné un refus de raccordement " aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone " puis a, dans son dispositif, annulé un refus de raccordement à ces réseaux et enjoint au maire de réexaminer la demande des consorts D...de raccordement " aux réseaux ", alors que les requérants avaient contesté le refus de raccordement au seul réseau électrique. Cependant, cette circonstance doit être regardée comme relevant d'une erreur matérielle, induite par la rédaction de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, et ne révèle pas que les premiers juges auraient ainsi statué au-delà des conclusions dont ils étaient saisis, ni qu'ils se seraient mépris sur la portée de la décision contestée, omettant de statuer sur celle-ci. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularités pour ce motif.

En ce qui concerne la légalité de la décision du 30 avril 2014 :

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme dans sa version applicable à la date de l'édiction de la décision en litige: " Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contraires des cahiers des charges de concession, d'affermage ou de régie intéressée, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu des articles précités ". Aux termes de l'article L. 421-1 du même code : " Les constructions, même ne comportant pas de fondations, doivent être précédées de la délivrance d'un permis de construire. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que les consorts D...sont propriétaires d'un ensemble de six parcelles, acquis par leur mère en vertu d'une déclaration d'adjudication obtenue le 23 décembre 2005, à l'issue de l'audience des saisies immobilières tenue le 21 décembre 2005 par la chambre des criées du Tribunal de grande instance de Lille. Cette déclaration d'adjudication précise que la parcelle cadastrée à Estirac section B n° 135, au lieu-dit Bernard Blanc, constitue une " parcelle en friche non viabilisée avec étang et deux constructions dont une avec une couverture en tuiles métalliques ", en réalité en tuiles " mécaniques ", comme le montre le constat d'huissier effectué le 8 août 2005 à la demande du mandataire liquidateur agissant pour le compte de M.B..., alors propriétaire.

5. Les auteurs de cette adjudication étaient en effet M. et MmeB..., lesquels avaient acquis cet ensemble le 22 octobre 1975, par un acte authentique dont il ressort que la cession portait sur " une maison d'habitation élevée en rez-de-chaussée et comprenant cinq pièces principales figurant au plan cadastral ", ainsi que sur des parcelles décrites toutes comme en nature de bois, à l'exception de la parcelle cadastrée section B n° 135, décrite comme une carrière et qui, au vu du jugement d'adjudication, est la seule qui peut être regardée comme supportant la maison d'habitation précitée.

6. Si l'origine de propriété, telle qu'elle est mentionnée dans l'acte authentique de 1975 renvoie à l'acquisition, suivant acte reçu le 13 décembre 1935, d'une propriété rurale située au village et au lieu-dit Bernard Blanc et comprenant notamment une maison d'habitation, sans qu'il soit possible de définir sur quelle parcelle cette habitation était sise, il ressort cependant d'une note établie le 5 novembre 2015 par le centre des impôts fonciers de Tarbes, appuyée sur deux photographies aériennes, que la maison d'habitation en litige située sur la parcelle n° 135 n'existait pas en 1954 et qu'elle existait en 1962. Alors que la commune produit des documents montrant qu'une gravière a été en exploitation sur la parcelle n° 135 de 1958 à 1972, les attestations qu'elle produit également, émanant de résidents de longue date, mentionnent la construction sur cette parcelle, " au début des années 60 ", d'une maison destinée à loger avec sa famille le gardien dont s'était dotée l'entreprise exploitante. A cet égard, une attestation particulièrement précise affirme que son auteur a emménagé dans cette maison en septembre 1964 avec sa famille, alors que le bâtiment " était à peine terminé ", mais comprenait " deux chambres pas très grandes, une cuisine, une salle de bain et les toilettes ".

7. Il ressort ainsi des pièces du dossier que la maison d'habitation pour laquelle les consorts D...ont sollicité le raccordement électrique a été édifiée non avant la loi du 15 juin 1943 instituant le permis de construire, mais entre 1954 et 1962, la circonstance qu'elle n'ait pas ou plus été comprise dans la valeur locative taxable à la taxe foncière sur les propriétés bâties étant sans incidence sur cette réalité physique.

8. Aux termes de l'article 84 du code de l'urbanisme et de l'habitation applicable à cette époque : " Quiconque désire entreprendre une construction à usage d'habitation ou non doit, au préalable, obtenir un permis de construire (...). Le permis de construire se substitue à toutes les autorisations exigées par les lois, règlements ou usages antérieurs au 27 octobre 1945 ". Aux termes de l'article 86 du même code : " Des arrêtés concertés entre le ministre du logement et de la reconstruction et les autres ministres intéressés déterminent la liste des constructions et des travaux qui, en raison de leur nature ou de leur faible importance, pourront être exemptés du permis de construire (...). / Cette exemption pourra, notamment, s'appliquer (...) aux travaux effectués dans les communes de moins de 2.000 habitants agglomérés au chef-lieu, en particulier dans celles qui ne présentent aucun caractère touristique ou artistique (...) ".

9. Deux arrêtés d'exemption de l'obligation du permis de construire ont été signés le 10 août 1946 et publiés au Journal officiel de la République française le 11 août 1946. L'article 1er du second arrêté dispose que : " Dans les communes de moins de 2 000 habitants agglomérés au chef-lieu et non tenues d'avoir un projet d'aménagement, sont exemptées du permis de construire : 1° les constructions de l'exploitation agricole servant au logement des récoltes et du matériel ; 2° Les constructions de l'exploitation agricole servant au logement des animaux autres que les bovins ou les ovins, sous réserve que la hauteur du faîtage n'excède pas quatre mètres et que la surface couverte n'excède pas cent mètres carrés ". Cette exemption dans les communes, telles Estirac, dont la population de la partie agglomérée était inférieure à 2 000 habitants concernait donc les bâtiments agricoles et non pas les bâtiments d'habitation.

10. Par suite, la construction de la maison d'habitation acquise le 21 décembre 2005 par les consorts D...était subordonnée à la délivrance d'un permis de construire. Par suite également, la demande de raccordement au réseau électrique déposée par les consortsD... pour la maison d'habitation sise sur la parcelle cadastrée section B n° 135 entrait dans le champ d'application de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme.

11. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Il peut, à cet égard, exiger de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur. (CE, 26 novembre 2012, MmeF..., n° 354.108, au recueil Lebon).

12. A cet égard, il ne peut être raisonnablement exigé de la personne qui, comme en l'espèce, acquiert un bien immobilier sur la foi d'un jugement d'adjudication appuyé lui-même sur un acte authentique suggérant que ce bien a été régulièrement édifié, et dont le cédant à l'adjudication a lui-même acquis le bien dans les mains du constructeur plus de trente ans auparavant, d'apporter la preuve que ce dernier a obtenu un permis de construire. Il en va d'autant plus ainsi dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, le constructeur est décédé depuis plus de trente ans lorsque le sous-acquéreur acquiert le bien. En effet, en pareil cas, ce dernier ne peut être regardé comme ayant commis, lors de l'acquisition, une imprudence qui pourrait lui être imputée à charge. De son côté, l'administration est chargée, lorsque l'application de la législation sur l'urbanisme peut conduire à rechercher des informations fiables sur plusieurs décennies, de tenir correctement ses archives. Il en va d'autant plus ainsi lorsqu'elle n'a pas mis en oeuvre, lorsqu'il en était encore temps, les pouvoirs de coercition dont elle disposait pour faire cesser une infraction à cette législation.

13. Or, il ressort des pièces du dossier que les archives relatives aux décisions d'utilisation des sols prises sur le territoire de la commune d'Estirac au cours des années litigieuses ne permettent de retrouver l'intégralité de ces décisions ni dans les locaux de la commune ni dans celles des services de l'État alors chargés de l'instruction des demandes de permis de construire. De même, la maison d'habitation litigieuse a été occupée pendant de très nombreuses années avant son abandon sans pour autant que le maire en exercice lorsque la construction a été édifiée ait cru utile de mettre en oeuvre les pouvoirs de coercition que les articles 101 et 102 du code de l'urbanisme et de l'habitation lui conféraient.

14. Dans ces conditions, et nonobstant la production par la commune d'une attestation du maire en fonctions de 1960 à 1995, il n'est pas établi par les pièces du dossier que la maison d'habitation en litige, dont l'édification est susceptible d'avoir été faite antérieurement à 1960, ait été édifiée dans des conditions irrégulières au regard du droit de l'urbanisme.

15. Par ailleurs, la circonstance qu'une construction soit restée inoccupée même durant une longue période n'est pas par elle-même de nature à changer sa destination initiale, à moins que le dossier ne révèle soit qu'elle est tombée en ruine, soit qu'elle a été affectée durablement à une autre destination depuis sa construction (voir Conseil d'Etat, 31 mai 2001, commune d'Hyères-les-Palmiers, n° 234.226, au recueil Lebon ; Conseil d'Etat, 27 juillet 2011, commune de Maincy, aux tables du recueil Lebon ; Conseil d'Etat, 9 décembre 2011, M.A..., n° 335.707, aux tables du recueil Lebon).

16. A cet égard, il ressort des pièces du dossier, et notamment des constats d'huissier et des photographies produits, que la maison en litige, pour inoccupée qu'elle fût depuis de nombreuses années, et même enfouie sous la végétation comme le montre le procès-verbal d'huissier du 8 août 2005 préalable à la mise en adjudication du bien, n'était pas en état de ruine ni lors de son acquisition par les consorts D...ni a fortiori au 30 avril 2014, ayant au demeurant conservé son aménagement ancien dans la cuisine et la salle de bain. Il en ressort également que cette construction a bien été utilisée pour l'habitation, et que sa dernière affectation même si celle-ci remonte aux années 70, était telle. Par suite, et comme le mentionne un courrier de la direction départementale des territoires au maire en date du 18 juillet 2012, " aucun changement de destination ne peut être reproché à M.D... ".

17. En outre, la circonstance qu'un bâtiment existant et légalement édifié soit situé dans une zone inconstructible, ou inondable, ou dans une zone regardée, par le préfet, comme ne constituant pas un enjeu suffisant pour justifier des investissements de protection contre les inondations est sans incidence sur l'interprétation à donner aux dispositions précitées de l'art L. 111-6 du code de l'urbanisme. A cet égard, selon l'article L. 562-1 du code de l'environnement, le plan de prévention des risques d'inondations n'est susceptible d'interdire que les constructions ou additions de constructions nouvelles. En tout état de cause, en l'espèce, le motif de sécurité fondant le refus de raccordement litigieux, à savoir le risque d'inondation, n'a pas été regardé par le préfet comme justifiant, dans la zone où se trouve la maison, à savoir une zone jaune, située dans le champ d'expansion des crues, mais à risque modéré, l'interdiction d'aménager, de refaire, voire d'étendre sous conditions les constructions existantes. S'agissant des constructions existantes situées dans cette zone comme l'est la maison d'habitation en litige, le plan de prévention des risques naturels prévisibles de la commune d'Estirac, approuvé par arrêté préfectoral du 2 août 2010, se borne en effet à leur imposer certaines prescriptions, notamment celle visant à positionner, en cas de réfection ou de remplacement, le disjoncteur général et le tableau de distribution électrique au-dessus de la cote de référence. Dès lors, le projet de réhabilitation de la maison des consorts D...ne se heurte pas aux dispositions issues dudit plan.

18. Enfin, il ressort de la demande présentée par les consorts D...le 26 février 2014 que le raccordement au réseau électrique était sollicité tant pour la maison d'habitation évoquée aux points précédents que pour " disposer d'une installation de micro-irrigation agricole sur les parcelles exploitées en arboriculture ", parcelles d'une superficie de près de 2 ha, pour l'exploitation desquelles M. E... D...avait reçu une autorisation préfectorale le 18 juin 2010. Or, une telle activité ne relève pas de l'article L. 111-6, ou de l'article L. 421-1, du code de l'urbanisme.

19. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les consorts D...étaient fondés à soutenir qu'en refusant le raccordement de la maison d'habitation comme de l'exploitation agricole dont ils sont propriétaires à Estirac, le maire de cette commune avait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Estirac n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé l'arrêté du 30 avril 2014.

Sur la requête à fin de sursis à exécution, enregistrée sous le n° 16BX00313 :

21. Le présent arrêt statue sur l'appel de la commune d'Estirac tendant à l'annulation du jugement attaqué. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de MM.D..., qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances, la somme que demande la commune sur ce fondement. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune, au titre des deux instances, une somme globale de 1 500 euros que demandent MM. D...que le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 16BX00313.

Article 2 : La requête n° 16BX00296 présentée par la commune d'Estirac est rejetée.

Article 3 : La commune d'Estirac versera la somme de 1 500 euros à MM. D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Estirac, à MM. G...et E...D...et au ministre de la cohésion et des territoires. Copie pour information sera adressée au préfet des Hautes-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 février 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de la cohésion et des territoires, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

N°s 16BX00296, 16BX00313


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00296,16BX00313
Date de la décision : 16/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

135-02-03-03-07 Collectivités territoriales. Commune. Attributions. Services communaux. Ga et électricité.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : TEULÉ

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-02-16;16bx00296.16bx00313 ?
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