La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/05/2018 | FRANCE | N°16BX00321

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 09 mai 2018, 16BX00321


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la région Limousin a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société Blanchon, la société Axa France Iard, M. H...I..., la société Chausson matériaux et la société Terreal à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros en réparation des désordres affectant la toiture de l'église Notre-Dame, située sur le territoire de la commune de Saint-Quentin-la-Chabanne, avec actualisation sur la base de l'indice BT 01 du coût de la construction, intérêts de retar

d et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la région Limousin a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société Blanchon, la société Axa France Iard, M. H...I..., la société Chausson matériaux et la société Terreal à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros en réparation des désordres affectant la toiture de l'église Notre-Dame, située sur le territoire de la commune de Saint-Quentin-la-Chabanne, avec actualisation sur la base de l'indice BT 01 du coût de la construction, intérêts de retard et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a notamment condamné in solidum la société Blanchon et M. I...à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 et capitalisation des intérêts au 24 août 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date et rejeté les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Axa France Iard, la société Chausson Matériaux et la société Terreal comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2016, et un mémoire complémentaire, enregistré le 17 octobre 2017, M. H...I..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 novembre 2015 en tant qu'il l'a condamné à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 ;

2°) de rejeter la demande de l'Etat dirigée à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner les sociétés Blanchon, Axa France Iard, Terreal et Chausson Matériaux à le relever et le garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

4°) de mettre à la charge des parties perdantes la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'intervention de la commune de Saint-Quentin La Chabanne est irrecevable ; son action est prescrite ; par ailleurs, elle ne peut par le biais de l'intervention volontaire se substituer à une partie non titulaire d'un intérêt à agir ;

- le maître d'ouvrage, qui n'a pas produit le contrat le liant à l'architecte, n'a pas justifié des demandes à son égard ;

- la responsabilité décennale des constructeurs doit être écartée ; à la date du dépôt du rapport d'expertise, il n'existe aucun désordre rendant impropre l'ouvrage à sa destination ou compromettant sa solidité ; le rapport évoque une impropriété à destination éventuelle et future qui n'est pas caractérisée en l'espèce à l'expiration du délai d'épreuve ;

- les désordres ont pour origine un défaut d'entretien normal, en méconnaissance du DTU 2023 (NF-P-31.204-1), révélé par la présence de mousse et de lichens ;

- si les désordres devaient être regardés comme résultant d'un matériau défectueux, la responsabilité devrait être limitée à l'entrepreneur et non au maître d'oeuvre, jamais évoqué dans le rapport d'expertise ; ils ne concerneraient que la société Blanchon et son fournisseur la société Terreal ;

- à supposer que l'existence d'un désordre décennal soit caractérisée, entraînant la responsabilité de plein droit des constructeurs, il devra être relevé des condamnations prononcées à son encontre par la société Blanchon, son assureur Axa France Iard, la société Terreal et la société Chausson matériaux.

Par quatre mémoires, enregistrés les 15 avril et 7 juillet 2016 et les 11 août et 14 décembre 2017, la société par actions simplifiée (SAS) Blanchon et la SA Axa France Iard, concluent :

- à titre principal :

- à l'annulation du jugement en tant qu'il a condamné la société Blanchon à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 ;

- au rejet de l'ensemble des demandes dirigées à leur encontre ;

- à la mise à la charge de toutes les parties perdantes de sommes de 3 000 euros à verser, d'une part, à la société Axa France Iard, et d'autre part, globalement à cette société et la société Blanchon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- à la condamnation de toutes les parties perdantes aux entiers dépens ;

- à titre subsidiaire :

- au rejet des demandes de M. I...dirigées à l'encontre de la société Blanchon ;

- dans l'hypothèse où il serait fait droit à une action en responsabilité à l'encontre de la société Blanchon et en garantie à l'encontre de la société Axa France Iard, de condamner M. I... et la société Terreal à les relever et à les garantir ;

- à la mise à la charge de toutes les parties perdantes de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- à la condamnation de toutes parties perdantes aux entiers dépens.

Elles font valoir que :

- dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement attaqué, elles sont recevables à présenter des conclusions d'appel incident ou provoqué ;

- l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître de l'action engagée à l'encontre de l'assureur doit être confirmée ; la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 11 décembre 2001 n'est pas de nature à remettre en cause le caractère d'obligation de droit privé du contrat d'assurance souscrit par une personne privée, même si elle est en lien avec un contrat portant sur l'exécution de travaux publics ;

- la demande de l'Etat est irrecevable en l'absence d'intérêt pour agir, alors que l'église appartient à la commune qui n'est pas partie au litige ;

- l'intervention volontaire de la commune de Saint-Quentin La Chabanne est irrecevable ; d'une part, son intervention en qualité de maître d'ouvrage public régularisée le 28 juillet 2017 est tardive au regard de la date de réception des travaux le 30 septembre 2005 ; d'autre part, l'intervenant volontaire ne peut présenter des conclusions propres ;

- les conditions de mise en jeu de la responsabilité décennale ne sont pas réunies ; le rapport d'expertise conclut à un écaillage de surface, sans conséquence sur l'étanchéité de la toiture ; il n'y a eu aucune infiltration alors que le délai d'épreuve de la garantie décennale est désormais expiré ; par ailleurs, le rapport révèle un défaut d'entretien imputable à la maîtrise d'ouvrage publique ; enfin, l'expert a considéré que l'entreprise Blanchon n'avait commis aucune faute lors de la pose des tuiles compte tenu de l'absence de malfaçons ; l'analyse selon laquelle les tuiles posées entre les années 90 et 2002 sur une autre église et celles posées entre 2002 et 2005 en l'espèce ne seraient pas identiques n'est pas corroborée par l'instruction ;

- la responsabilité contractuelle de la société Blanchon ne peut être recherchée ; aucune réserve n'a été émise à l'égard de ses prestations lors de la réception des travaux et le délai d'un an de garantie de parfait achèvement a expiré ; en tout état de cause, aucune faute ne peut lui être reprochée ;

- dans l'hypothèse où il serait fait droit à une demande de condamnation à leur encontre, elles sollicitent d'être garanties par le maître d'oeuvre qui seul peut se voir reprocher un choix des matériaux ; le changement des matériaux a été décidé en accord avec le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre et la société Terreal, fabricant des matériaux en litige.

Par un mémoire, enregistré le 19 mai 2016, le préfet de la région Limousin, représenté par MeJ..., demande à la cour :

- de rejeter les appels formés par M. I...et les sociétés Blanchon et Axa France Iard ;

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 novembre 2015 en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre la société Axa France Iard, la société Chausson Matériaux et la société Terreal ;

- de condamner in solidum la société Axa France Iard, la société Chausson Matériaux et la société Terreal, M. I...et la SAS Blanchon au paiement des sommes demandées ;

- de mettre à la charge in solidum de la société Axa France Iard, la société Chausson Matériaux et la société Terreal, M. I...et la SAS Blanchon la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les désordres constatés au cours du délai d'épreuve de la garantie décennale étaient de nature à rendre impropre l'ouvrage à sa destination mais également à en compromettre sa solidité ;

- les désordres doivent être regardés comme imputables au maître d'oeuvre, architecte, et à la société qui a procédé à la pose des tuiles ; l'expert, dans le présent litige, a exclu un défaut d'entretien du maître de l'ouvrage, affirmant clairement que les désordres ont pour origine les seules caractéristiques des tuiles posées ;

- la société Chausson Matériaux et la société Terreal ne peuvent être qualifiées de simples fournisseurs et fabricants de matériaux standards, mais de sous-traitants ; il s'agit de tuiles spécifiques " monuments historiques "; la société Blanchon a confirmé l'intervention de ces sociétés sur le chantier et l'expert conclut à la responsabilité de la société Terreal ;

- à supposer que la cour considère que les conditions d'application de l'article 1792-4 du code civil ne sont pas remplies, les sociétés Chausson Matériaux et Terreal seront considérées comme participants à l'exécution de l'ouvrage public ayant engagé leur responsabilité quasi-délictuelle, quand bien même il n'existe pas de contrat les liant ; en l'espèce, elles ont engagé leur responsabilité tant au titre du vice de fabrication des tuiles qu'au titre de leur manquement à l'obligation de conseil et du caractère adapté des tuiles.

Par un mémoire, enregistré le 12 juillet 2016, la société Chausson Matériaux SAS, venant aux droits de la SAS Melin Trialis Matériaux, représentée par MeG..., demande à la cour :

- à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 26 novembre 2015 ;

- à titre subsidiaire, de confirmer ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires dirigées à son encontre comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

- à titre infiniment subsidiaire, de condamner la société Terreal à la relever et la garantir, sur le fondement des principes tirés de l'article 1147 du code civil, des condamnations prononcées à son encontre ;

- de mettre à la charge de M. I...la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement est irrégulier ; alors que l'action en responsabilité décennale appartient au seul propriétaire, le préfet n'a pas justifié en première instance ni en appel avoir un mandat du propriétaire de l'église ;

- en l'absence de contrat liant l'Etat, maître de l'ouvrage et la société Melin Trialis Matériaux, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que cette société n'avait pas participé à l'exécution des travaux publics ; si le juge administratif se reconnaît compétent pour connaître de la responsabilité du fabricant, même en l'absence de contrat entre le fabricant et le maître d'ouvrage, il doit au préalable s'assurer que les conditions de l'article 1792-4 du code civil dont s'inspire sa jurisprudence sont réunies ; or, en l'espèce, elle ne peut être regardée comme fabricant alors qu'il ressort notamment du rapport d'expertise que les tuiles ont toutes été fabriquées par l'entreprise Terreal ;

- en lui fournissant des tuiles inadaptées, la société Terreal a commis à son égard une faute contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du code civil ; elle a manqué à son obligation de conseil en ne s'interrogeant pas sur la destination des tuiles qu'elle commandait.

Par deux mémoires en intervention, en date des 28 juillet et 21 août 2017, la commune de Saint Quentin La Chabanne, représentée par MeJ..., s'associe aux conclusions présentées par l'Etat et, dans l'hypothèse où il serait fait droit au moyen tiré de l'absence de qualité de l'Etat pour agir, elle demande à ce que les condamnations prononcées, indemnités et frais d'expertise le soient à son bénéfice sous les mêmes conditions de solidarité. Elle sollicite également la mise à la charge in solidum de la société Axa France Iard, la société Chausson Matériaux et la société Terreal, M. I...et la SAS Blanchon de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- son intervention est recevable ; il résulte des documents produits que l'Etat justifie de sa qualité de maître d'ouvrage délégué des travaux en litige ; dans l'hypothèse où l'action en garantie décennale de l'Etat serait déclarée irrecevable, la commune de Saint-Quentin La Chabanne est recevable à exercer cette action ; même dans l'hypothèse où le maître d'ouvrage délégué est irrecevable à agir postérieurement à la remise des ouvrages, il a néanmoins accompli des actes juridiques en lieu et place du maître d'ouvrage et dans l'intérêt de celui-ci. Ainsi, ce dernier est recevable à poursuivre l'action par laquelle il s'approprie les conclusions du maître d'ouvrage délégué ; en l'espèce, alors même que son intervention serait postérieure à la date d'expiration du délai de garantie décennale, l'acte par lequel la garantie décennale du constructeur a été mise en jeu l'a été durant le délai d'épreuve ; l'objet de la présente intervention se confond avec celle présentée pour son compte par l'Etat.

Par un mémoire, enregistré le 22 août 2017, la société Terreal, représentée par MeD..., demande à la cour de rejeter l'ensemble des conclusions présentées à son encontre et de mettre à la charge de chaque partie perdante la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les demandes dirigées contre la société Terreal sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; elle n'est pas intervenue dans l'exécution du marché et n'a pas la qualité de sous-traitant ; de même, sa responsabilité ne peut être recherchée sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil dans la mesure où les tuiles qu'elle a fabriquées ne peuvent recevoir la qualification d'ouvrage ou de partie d'ouvrage ; le vocable " tuiles plates monuments historiques " n'est que la désignation d'une catégorie de matériaux ;

- les appels en garantie formés par M. I...et les sociétés Blanchon et Chausson Matériaux doivent être également rejetés dès lors qu'elle n'a pas la qualité de participant à l'exécution des travaux publics et qu'elle est unie avec la société Blanchon par un contrat de droit privé ;

- l'intervention volontaire de la commune de Saint-Quentin La Chabanne est irrecevable dès lors qu'elle ne peut faire valoir des demandes qui lui sont propres, lesquelles sont prescrites au regard du délai décennal ;

- le caractère prétendument gélif des tuiles mises en oeuvre ne résulte pas de la lecture du rapport d'expertise de M.C... ; d'une part, il émet des doutes sur la traçabilité des tuiles sur 43 % de la quantité, interdisant toute généralisation ; par ailleurs, seul le versant nord est concerné par les désordres ; enfin, il n'existe aucune certitude sur l'imputabilité des désordres alors que l'expert, à la différence d'un autre confrère, M.E..., pour une affaire similaire, n'a pas jugé opportun de faire analyser les tuiles ; aux termes du rapport de M.E..., aucune non-conformité des tuiles n'a été mise en évidence et il impute les désordres à un défaut d'entretien de l'édifice par son propriétaire, ce qui doit aussi être retenu en l'espèce ;

- en toute hypothèse, les recours des constructeurs contre elle ne sauraient prospérer que sur le fondement de l'article 1382 du code civil ; or, les constructeurs ne développent aucun moyen de nature à démontrer un manquement de la société Terreal dans ses obligations de vendeur ; au demeurant, le choix des tuiles a été fait par la DRAC, maître d'ouvrage ;

- si la société Chausson Matériaux sollicite sa condamnation à la relever et la garantir de toutes condamnations en raison de sa qualité de fabricant, la preuve d'un vice caché préexistant à la vente n'est pas rapportée, ni celle d'une commande spécifique pour le chantier de l'église de Saint-Quentin La Chabanne ; l'action sur le fondement de l'article 1648 du code civil est prescrite ;

- de même, l'appel en garantie des sociétés Blanchon et Axa France Iard doit être rejeté dans la mesure où elle n'a pas participé au choix des tuiles et à leur pose ; par ailleurs, le caractère gélif des tuiles imputable à un vice intrinsèque n'est pas rapporté.

Par un mémoire, enregistré le 20 octobre 2017, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la circonstance que la détérioration des tuiles n'était pas de nature à compromettre la solidité de l'église ou à la rendre impropre à sa destination à la date de remise du rapport est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs dès lors qu'à court terme la détérioration des tuiles aurait entraîné des infiltrations au sein de l'édifice et aurait mis en jeu la sécurité des passants et des enfants usagers de l'école située à proximité ;

- la garantie décennale repose sur une présomption de responsabilité des constructeurs pour les désordres qui surviennent sur un ouvrage qu'ils ont eu la charge de construire ou rénover ; même en l'absence de faute dans le choix du procédé et des matériaux, leur responsabilité peut être engagée ; M. I...avait la charge d'établir le projet architectural et technique et le projet de consultation des entreprises, comprenant nécessairement le choix des tuiles à apposer en vue de la restauration de la toiture de l'église de Saint-Quentin-la-Chabanne ;

- aucun défaut d'entretien ne peut être imputé à la commune ; en tout état de cause, rien ne permet d'affirmer que la présence de mousse sur la toiture peut être à l'origine de la détérioration très avancée des tuiles ;

- l'appel provoqué devra être rejeté comme irrecevable dès lors que les conclusions d'appel formées par M. I...doivent être rejetées ;

- les conclusions d'appel de la société Blanchon sont dépourvues de bien-fondé ; la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir de l'Etat, outre que cette irrecevabilité ne ressortait pas manifestement du dossier de première instance, faute pour les parties d'avoir soulevé cette fin de non recevoir, doit être rejetée ; l'article 9 de la loi du 31 décembre 1913, repris à l'article L. 621-11 du code de patrimoine, ouvre la faculté pour l'Etat d'exercer la maîtrise d'ouvrage pleine et entière pour les travaux d'entretien ou de réparation des édifices classés ne lui appartenant pas ; c'est en qualité de maître d'ouvrage que l'Etat a conclu l'ensemble des marchés de travaux avec les constructeurs ; par ailleurs, l'Etat assumera financièrement les travaux de reprise des désordres en reversant le montant de l'indemnisation perçue à la commune et en prenant en charge le coût lié à la conclusion du contrat de maîtrise d'oeuvre ; ce n'est qu'à titre infiniment subsidiaire que la commune sera regardée comme ayant eu seule qualité pour engager une action en garantie décennale et qu'il conviendra de la déclarer recevable à s'approprier l'action initialement introduite par l'Etat dans son intérêt ; la responsabilité de la société Blanchon doit être engagée dès lors qu'en tant qu'entrepreneur responsable de la pose des tuiles, sa responsabilité décennale est engagée de plein droit ;

- l'appel provoqué par la société Chausson Matériaux est irrecevable ; d'une part, cet appel est irrecevable dès lors que l'appel principal de M. I...doit être rejeté ; d'autre part, l'appelant défendeur de première instance n'est pas recevable à agir contre le jugement si ce dernier a rejeté les demandes formées à son encontre ; en tout état de cause, sa demande est mal fondée dès lors que l'Etat avait qualité pour introduire l'action en garantie décennale ;

- si la cour devait considérer que la responsabilité décennale de M. I...n'était pas encourue, elle se trouverait saisie, que ce soit par la voie de l'évocation ou de l'effet dévolutif, de la demande formée devant les premiers juges tendant à ce que sa responsabilité contractuelle soit engagée ; en omettant d'alerter les services de l'Etat sur la défectuosité des tuiles et sur l'inadaptation du modèle retenu aux spécificités de l'édifice restauré lors des opérations de réception, ce dernier a failli à l'obligation de conseil qui s'imposait à lui en qualité de maître d'oeuvre.

L'instruction a été close au 6 mars 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu :

- le code civil ;

- la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Cabanne,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant M.I..., de MeF..., représentant la société Blanchon et la compagnie Axa France Iard et de MeA..., représentant la société Chausson matériaux.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Saint-Quentin La Chabanne (Creuse) est propriétaire d'une église classée monument historique par arrêté du 21 décembre 1914. Des travaux de restauration extérieure de l'église ont été réalisés sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat, en vertu d'une convention passée entre ce dernier et la commune. La maîtrise d'oeuvre a été confiée à M. H... I..., architecte en chef des monuments historiques. Les travaux de charpente, couverture, paratonnerre et menuiserie ont été attribués à l'entreprise Blanchon par un marché conclu le 28 février 2002. Pour l'exécution de ces travaux, la société Blanchon a posé les tuiles qu'elle avait acquises auprès de la société Melin Trialis matériaux, laquelle les avait achetées à leur fabricant, la société Terreal. La réception des travaux a été prononcée sans réserve le 30 septembre 2006. En mars 2009, la commune de Saint-Quentin La Chabanne a constaté la détérioration des tuiles posées sur le versant nord du toit de l'église et a alerté la direction régionale des affaires culturelles du Limousin. Sur demande de la société Blanchon, un expert a été missionné par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Limoges du 17 mars 2010 aux fins notamment de déterminer l'imputabilité des désordres, le coût de la remise en état et les préjudices subis. A la suite du dépôt du rapport de l'expert, l'Etat a recherché le 24 avril 2013 devant le tribunal administratif de Limoges, la responsabilité de la société Blanchon, de son assureur la société Axa France Iard, de M.I..., de la société Chausson matériaux, venant aux droits de la société Melin Trialis matériaux, et de la société Terreal sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs. Par un jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a notamment condamné in solidum la société Blanchon et M. I...à verser à l'Etat la somme de 58 565,13 euros, assortie des intérêts moratoires à compter du 24 août 2013 et capitalisation des intérêts au 24 août 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, mis à leur charge les frais de l'expertise, et rejeté les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Axa France Iard, assureur de la société Blanchon, la société Chausson Matériaux et la société Terreal comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. M. I...relève appel de ce jugement.

Sur la recevabilité du mémoire en défense du préfet de la région Limousin :

2. Aux termes de l'article R. 811-10 du code de justice administrative : " Devant la cour administrative d'appel, l'Etat est dispensé de ministère d'avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat ". En l'absence de dispositions contraires, l'Etat ne peut être représenté en l'espèce que par le ministre intéressé.

3. En l'absence d'appropriation par le ministre de la culture du mémoire en défense produit par le préfet de la région Limousin, il y a lieu de ne se prononcer que sur les conclusions du ministre.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Aux termes de l'article 9 de la loi du 31 décembre 1913 susvisée, dans sa rédaction applicable au marché en litige : " L'immeuble classé ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si l'autorité compétente n'y a donné son consentement. L'autorité compétente est le préfet de région, à moins que le ministre chargé de la culture n'ait décidé d'évoquer le dossier. Les travaux autorisés en application du précédent alinéa s'exécutent sous la surveillance de l'administration des affaires culturelles. Le ministre chargé des affaires culturelles peut toujours faire exécuter par les soins de son administration et aux frais de l'Etat, avec le concours éventuel des intéressés, les travaux de réparation ou d'entretien qui sont jugés indispensables à la conservation des monuments classés n'appartenant pas à l'Etat. L'Etat peut, par voie de convention, confier le soin de faire exécuter ces travaux au propriétaire ou à l'affectataire ".

5 Si l'Etat, qui assume au nom et pour le compte de la commune, la direction et la responsabilité des travaux a qualité pour mettre en cause la responsabilité contractuelle des entrepreneurs et des architectes jusqu'à la réception définitive, la commune, propriétaire des ouvrages, a seule qualité, après cette réception, pour invoquer la garantie décennale qui pèse sur les constructeurs en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil.

6. Il résulte de l'instruction que par conventions en date des 30 mars 2000, 27 mai 2002 et 31 mars 2003, la commune, propriétaire de l'église, et l'Etat ont convenu que celui-ci assurerait la maîtrise d'ouvrage des travaux de rénovation de l'église Notre-Dame. La réception des travaux a été prononcée sans réserve le 30 septembre 2006, mettant fin à la mission de l'Etat, en l'absence de toute clause confiant à celui-ci le suivi décennal des ouvrages. Ainsi, l'Etat n'avait pas qualité pour intenter contre les constructeurs une action en garantie décennale. La demande de l'Etat présentée le 24 août 2013 devant le tribunal administratif de Limoges sur ce fondement était donc irrecevable.

7. Si la commune de Saint-Quentin La Chabanne intervient à l'appui de la requête de l'Etat, cette requête est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, irrecevable. L'intervention n'est en conséquence pas recevable. Si elle entend, par son mémoire en intervention présenté devant la cour le 28 juillet 2017, s'approprier la démarche de l'Etat, elle ne peut toutefois régulariser l'action en garantie décennale pour la première fois en appel.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le jugement du tribunal administratif de Limoges a accueilli la demande en condamnant M. I...à indemniser l'Etat. Il y a lieu de l'annuler et de rejeter comme irrecevable la demande de l'Etat sur le fondement de la garantie décennale.

9. La situation de la société Blanchon se trouvant aggravée du fait du rejet des conclusions indemnitaires de l'Etat dirigées contre M.I..., son appel provoqué est recevable. Il résulte de ce qui précède que la demande d'engagement de la garantie décennale par l'Etat, qui n'est pas propriétaire de l'église, est irrecevable. Par suite, la société Blanchon est fondée à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il l'a condamnée à indemniser l'Etat sur ce fondement.

10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres conclusions indemnitaires présentées par l'Etat devant le tribunal administratif.

11. Si l'Etat sollicite à titre subsidiaire que M. I...soit condamné sur le fondement de sa responsabilité contractuelle à son égard, il n'établit pas que le décompte définitif du marché de maîtrise d'oeuvre n'ait pas été établi, et ne justifie pas davantage que le défaut des tuiles aurait été identifiable par l'architecte des bâtiments de France lors de la réception, engageant sa responsabilité pour défaut de conseil. Il n'établit pas davantage la méconnaissance par la société Blanchon de son obligation de conseil au titre des choix des matériaux et des prescriptions d'entretien. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les dépens :

12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 5 370,20 euros, à la charge de l'Etat.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a lieu de faire droit à aucune des conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la commune de Saint-Quentin La Chabanne n'est pas admise en tant qu'elle vient au soutien de l'Etat.

Article 2 : Les articles 2, 4, 5, 7, 8, 9 et 10 du jugement n° 1301275 du 26 novembre 2015 du tribunal administratif de Limoges sont annulés.

Article 3 : La demande de l'Etat est rejetée.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Saint-Quentin La Chabanne tendant à la condamnation des constructeurs sont rejetées.

Article 5 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 5 370,20 euros sont mis à la charge de l'Etat.

Article 6 : Les conclusions présentées par M.I..., les sociétés Blanchon, Axa France Iard, Terreal et Chausson Matériaux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. H...I..., au ministre de la culture, aux sociétés Blanchon, Terreal et Chausson Matériaux, à la compagnie Axa France Iard, et à la commune de Saint-Quentin La Chabanne. Copie en sera adressée au préfet de la région Nouvelle-Aquitaine.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 mai 2018.

Le rapporteur,

Cécile CABANNELe président,

Catherine GIRAULTLe greffier,

Virginie MARTYLa République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

9

No 16BX00321


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00321
Date de la décision : 09/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAÎTRE DE L'OUVRAGE. RESPONSABILITÉ DES CONSTRUCTEURS À L'ÉGARD DU MAÎTRE DE L'OUVRAGE. RESPONSABILITÉ DÉCENNALE. QUALITÉ POUR LA METTRE EN JEU. - ACTION EN RESPONSABILITÉ DÉCENNALE- QUALITÉ POUR AGIR DE L'ETAT APRÈS RÉCEPTION SANS RÉSERVE DES TRAVAUX EFFECTUÉS SOUS SA MAÎTRISE D'OUVRAGE SUR UN MONUMENT HISTORIQUE - ABSENCE.

39-06-01-04-01 Selon l'article 9 de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, « Le ministre chargé des affaires culturelles peut toujours faire exécuter par les soins de son administration et aux frais de l'Etat, avec le concours éventuel des intéressés, les travaux de réparation ou d'entretien qui sont jugés indispensables à la conservation des monuments classés n'appartenant pas à l'Etat. L'Etat peut, par voie de convention, confier le soin de faire exécuter ces travaux au propriétaire ou à l'affectataire. » De tels travaux sont alors effectués sous la maîtrise d'ouvrage de l'Etat.,,,Cependant, la cour estime que si l'Etat, qui assume au nom et pour le compte de la commune, la direction et la responsabilité des travaux, a qualité pour mettre en cause la responsabilité contractuelle des entrepreneurs et des architectes jusqu'à la réception définitive, la commune, propriétaire des ouvrages, a seule qualité, après cette réception, pour invoquer la garantie décennale qui pèse sur les constructeurs en application des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil.,,,En conséquence, l'action en garantie décennale dont l'Etat avait saisi le tribunal était irrecevable. La commune propriétaire de l'église classée monument historique ne pouvant régulariser la demande en s'appropriant les conclusions de l'Etat pour la première fois en appel, la condamnation de l'architecte en chef des monuments historiques maître d'oeuvre et de la société titulaire du marché est annulée.


Références :

Rapp : CE n° 06255 Min. de l'éducation c/ M.Ringuez, 5 mars 1982, Publié au Recueil Lebon p.103.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Cécile CABANNE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SELARL RAYNAL - DASSE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-05-09;16bx00321 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award