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15/05/2018 | FRANCE | N°16BX01424

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre - formation à 3, 15 mai 2018, 16BX01424


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...I...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, la décision du 11 août 2014 par laquelle le ministre du travail, a annulé la décision du 16 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son licenciement, et a autorisé ce licenciement et d'autre part, la décision du 18 août 2014 du ministre du travail retirant sa décision du 11 août 2014 et maintenant l'autorisation de licenciement.

Par un jugement n°s 1404112 ; 1404113 du 3 mars 2016,

le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...I...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, la décision du 11 août 2014 par laquelle le ministre du travail, a annulé la décision du 16 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son licenciement, et a autorisé ce licenciement et d'autre part, la décision du 18 août 2014 du ministre du travail retirant sa décision du 11 août 2014 et maintenant l'autorisation de licenciement.

Par un jugement n°s 1404112 ; 1404113 du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête du 27 avril 2016, et un mémoire en réplique du 29 mars 2017, M. I... représenté par Me F...demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 mars 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler les décisions du ministre du travail des 11 et 18 août 2014 accordant l'autorisation de le licencier ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en ce qui concerne la régularité du jugement, " le tribunal n'a pas statué directement sur le défaut de communication préalable du plan de sauvegarde de l'emploi au Comité d'entreprise " ;

- l'administrateur judiciaire n'était pas compétent pour présenter un recours hiérarchique auprès du ministre du travail contre le refus d'autorisation de licenciement opposé par l'inspecteur du travail dans la mesure où, au 5 février 2014, date à laquelle le recours hiérarchique a été formé, la société cédante avait été transférée au cessionnaire, la société Mem Industry, et que dès lors, seule cette dernière société disposait de l'intérêt à agir à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser son licenciement ;

- la société Mem Industry n'a fait que se joindre au recours hiérarchique dont elle n'est pas l'auteur et les décisions du ministre prises sur recours hiérarchique n'ont été notifiées qu'à l'administrateur judiciaire ;

- le comité d'entreprise n'a pas été consulté sur la cause économique relative aux licenciements collectifs, contrairement à ce qu'impose l'article L. 2323-4 du code du travail, l'employeur n'étant pas dispensé de cette consultation du fait de la consultation du comité d'entreprise sur les licenciements individuels ; à cet égard, la note de l'administrateur judiciaire du 25 juin 2013 n'était plus d'actualité à la date de la consultation du 20 septembre 2013 dès lors qu'à cette date, les licenciements de juin 2013 avaient eu un effet sur la masse salariale, le CICE avait été débloqué, des investissements avaient été réalisés, le partenariat avec le groupe Finega renforcé, et la société SEGEM avait été acquise pour transférer sa production d'écorcheuses sur le site de la MEM ; cette note du 25 juin 2013 ne se rapporte qu'aux licenciements collectifs de juillet 2013 et non à ceux dans lesquels son licenciement est inclus, de septembre 2013, et la note du 16 septembre 2013 de l'administrateur judiciaire, ne se rapporte qu'aux offres de reprise et non à la cause économique des licenciements ; le comité d'entreprise ne peut donc être regardé comme ayant le 20 septembre 2013, rendu son avis sur la cause économique des licenciements ;

- contrairement à ce qu'impose l'article L. 2323-4 du code du travail, aucun dossier de consultation n'a été transmis aux membres du comité d'entreprise pour la réunion du 20 septembre 2013, ce qui rend cette consultation irrégulière ;

- la consultation du comité d'entreprise est entachée d'une irrégularité substantielle, dès lors que le comité d'entreprise n'a pas été destinataire du plan de sauvegarde de l'emploi qui avait été élaboré par l'administrateur judiciaire, et qui devait obligatoirement être établi, compte tenu de l'appartenance de la société Mem Industry à une unité économique et sociale de plus de cinquante salariés ; par ailleurs à défaut d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, son licenciement ne pouvait être autorisé ;

- contrairement à ce qu'impose l'instruction du 19 juillet 2013 prise en application de la loi du 14 juin 2013, et article L. 4614-12-1 du code du travail, l'administrateur judiciaire n'a pas consulté le CHSCT, ce qui était pourtant nécessaire dès lors que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la restructuration imposée par les licenciements devait avoir un impact considérable sur les salariés maintenus compte tenu des nécessités d'une réorganisation interne totale, de formations à la polyvalence pour remplacer les postes supprimés, de transfert de fonctions supports en région lyonnaise, de recours à l'intérim, et de la suractivité se trouvant imposée aux salariés maintenus ;

- l'administrateur judiciaire ne fait valoir aucune recherche effective de reclassement ;

- la recherche de reclassement s'est focalisée sur les sociétés BCS et SEM, sans prendre en compte les sociétés du groupe Finega composé des sociétés EGA systems SA, E3M Sas, et EW Gillet ;

- si l'administrateur judiciaire a interrogé le repreneur à ce sujet par courrier du 9 octobre 2013, la réponse n'a porté que sur des postes fonctions-support, qui ne pouvaient concerner que M.D..., le 6ème représentant du personnel non-syndiqué, dont le licenciement a été également autorisé ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, dès lors que les contrats de travail par l'effet de la cession, ont été transférés à la société MEM Industry, les recherches de reclassement auprès du groupe, relevaient non du reclassement externe, mais interne et en l'espèce cette recherche n'a pas été effectuée faute notamment pour la société MEM Industry, de produire le registre du mouvement du personnel au 16 septembre 2013 ;

- le licenciement envisagé est en lien avec son mandat et présente un caractère discriminatoire ;

- en effet, il y a une proportion anormale de salariés protégés affectés par une mesure de licenciement, ce qui constitue un indice de discrimination ;

- en l'espèce, tout d'abord, l'ancien dirigeant de la société MEM, M.H..., a fait montre d'un comportement anti-syndical ;

- à la suite des élections du 4 janvier 2013, qui ont conduit à l'élection d'une très grande majorité de candidats présentés sur les listes CGT (quatre candidats sur six), M.H..., a refusé de faire droit à leur demande de formation syndicale ; il existe par ailleurs une collusion entre M. H...et le repreneur M.C..., qui ont des liens professionnels très forts, M. H... étant associé minoritaire de la société Finega gérée par M.C..., les deux groupes étant par ailleurs en situation de partenariat quasi-exclusif depuis vingt ans ; M. C...a manifesté très clairement son intention de ne pas reprendre les salariés protégés, comme l'indique une phrase de l'offre de reprise, qui a été retirée à la demande de l'administrateur judiciaire ;

- ces licenciements sont statistiquement suspects dès lors qu'ils ont eu pour résultat le licenciement de cinq salariés CGT, soit 100 % de la représentation syndicale ; sur les dix-sept licenciements initialement envisagés, six concernaient des représentants du personnel, sur huit représentants du personnel au total ;

- il a été procédé à une manipulation des activités reprises dès lors que les activités d'usinage et de mécano-soudure, qui ne constituent pas en elles-mêmes des branches d'activité, mais de simples tâches au sein d'une même activité, ont été exclues des activités reprises et que pour éviter de reprendre M.I..., le câblage électrique a également été exclu des activités reprises ;

- si l'activité est réduite, les activités d'usinage, de mécano-soudure et de peinture continuent dans l'usine de la Coquille ;

- le poste de soudeur de M. B...est occupé par M. J...et l'activité de M. K... a été reprise par d'autres salariés ;

- l'obsolescence invoquée ne peut fonder la suppression de ces activités, dès lors que c'est la quasi-totalité du parc de machines y compris concernant les activités maintenues, qui est obsolète alors qu'au contraire la cabine à peinture est presque neuve, et évaluée à 10 000 euros dans l'inventaire et pourtant l'activité " peinture " a été supprimée ;

- alors qu'à l'origine, il était prévu de maintenir essentiellement les ouvriers de production et de procéder au licenciement de cadres (à raison de sept pour un licenciement d'ouvrier), lors de la seconde vague de licenciements, la proportion de licenciements n'était plus que de 40 % pour les ouvriers et 60 % pour les cadres, ce qui va à l'encontre de la volonté affichée de mutualiser les moyens au niveau du groupe concernant les " services support ", et démontre la volonté de discrimination ;

- l'examen de la liste des postes repris démontre que l'employeur connaissait déjà les noms des salariés repris ; la suppression des activités d'usinage et de peinture permettait de cibler M. E...et M.I..., que le repreneur voulait évincer et il en est de même pour les autres salariés protégés ayant fait l'objet d'un licenciement ;

- contrairement à ce qu'il était soutenu en première instance, les autres offres n'étaient pas comparables, dès lors que ni l'offre de la société BSA Surtec qui prévoyait la reprise de l'activité Peinture, de deux câbleurs, de cinq des six postes de montage, et d'un soudeur, soit trois ou quatre des cinq postes occupés par les cinq salariés protégés concernés par les licenciements ni celle du groupe SEEB ne prévoyaient de telles suppressions d'activité ;

- une liste nominative des salariés devant être licenciés a été remise par M.H..., à l'administrateur judiciaire ;

- il a par ailleurs été procédé à une manipulation des intitulés des postes des requérants consistant à modifier l'intitulé des postes occupés par des salariés dont on cherchait l'éviction en indiquant des attributions se situant en-deçà de leurs attributions réelles et de leurs compétences ;

- il a été procédé à une manipulation des catégories d'emplois et à une manipulation des critères d'ordre des licenciements ;

- les catégories professionnelles telles que définies par l'article L. 1233-31 du code du travail, ont en réalité été déterminées volontairement pour évincer les salariés protégés, ce qui traduit une discrimination syndicale ; en effet, le repreneur a fusionné les deux notions de catégories professionnelles et catégories d'emploi, ce qui lui a permis de subdiviser les postes pour arriver aux licenciements recherchés ; ainsi les fonctions de " câblage machine chef d'équipe ", " câblage machine atelier " et " câblage armoire ", relèvent en réalité de la même catégorie professionnelle ; il y a par ailleurs identité entre les catégories professionnelles " Montage machines ", " Montage mécanisations ", et " Usinage polyvalence montage " ;

- le repreneur a mélangé les notions de catégories professionnelles et de catégories d'emplois, par exemple en évoquant la catégorie " commerce export " qui ne serait en réalité pas différente de la catégorie " cadre commerce France " ;

- le repreneur a manipulé les critères d'ordre des licenciements ;

- les licenciements intervenus étaient susceptibles d'entraîner la disparition totale de l'institution représentative du personnel dans l'entreprise repreneuse dès lors que le seul représentant encore présent dirige désormais la société MEM Industry et qu'ainsi l'intérêt général s'opposait à ce que l'autorisation de licenciement soit accordée ;

- par ailleurs de fait, le licenciement des cinq salariés protégés a entrainé la disparition du CHSCT qui ne s'est plus réuni et de la délégation unique du personnel.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête de M. I... et déclare reprendre ses écritures de première instance.

Il soutient que :

- l'administrateur judiciaire dispose, tant que le refus de l'administration n'est pas devenu définitif d'un intérêt et d'une qualité à présenter un recours. En effet, c'est toujours au titre de l'exécution du plan de cession qu'il agit, en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par le tribunal de commerce. De ce fait, la responsabilité de mener à son terme la procédure de licenciement lui incombe, nonobstant le fait que le cessionnaire, face au refus de l'inspecteur du travail, soit, au moins temporairement tenu de maintenir dans son effectif le salarié dont le licenciement a été refusé, et c'est lui qui a qualité pour prononcer le licenciement ;

- le comité d'entreprise a disposé d'une note économique et sociale sur le projet de réorganisation et de licenciement pour motif économique détaillant la présentation des entreprises, 1'origine des difficultés, les moyens mis en oeuvre, les moyens envisagés et le projet de restructuration a été établi. Il a également disposé d'une note d'information établie le 16 septembre 2013, postérieurement aux licenciements de juillet, relative à un projet de licenciement collectif pour motif économique consécutif à l'adoption par le tribunal de commerce de Périgueux des offres de reprise par voie de cession des activités de la société. Les membres du comité d'entreprise ont émis un avis les 28 juin 2013 et 20 septembre 2013 sur le motif économique et le plan de sauvegarde de l'emploi. Les membres du comité d'entreprise ont estimé avoir suffisamment d'informations pour se prononcer sans avoir à mettre en oeuvre la procédure fixée à l'article L. 2323-4 du code du travail ;

- l'absence de transmission par l'employeur lors de la convocation du comité d'entreprise des informations requises, pour la consultation prévue à l'article L. 2421-3 du code du travail, par l'article L. 2323-4 du même code, n'entache pas d'irrégularité cette consultation dans la mesure où le comité d'entreprise a tout de même disposé de ces informations dans des conditions lui permettant d'émettre son avis en toute connaissance de cause (CE, Société Den Hartogh, n°371852, 27 mars 2015) ;

- l'obligation de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi ne s'impose pas pour les entreprises de moins de cinquante salariés. Or en l'espèce au jour de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, la société employait moins de cinquante salariés ;

- le requérant est infondé à invoquer un vice de procédure tiré de l'absence de consultation du CHSCT, dès lors que l'entreprise n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions applicables aux entreprises de cinquante salariés et plus visées dans la fiche n° l de l'instruction DGEFP/DGT du 19 juillet 2013 ;

- conformément aux dispositions de l'article L. 1235-10, l'homologation ne s'applique qu'aux PSE mis en oeuvre par les entreprises comptant un effectif de plus de cinquante salariés. En l'espèce, l'entreprise MEM comptait un effectif de quarante salariés. La procédure de validation ou d'homologation administrative n'était donc pas applicable à la présente procédure ;

- l'administrateur judiciaire a procédé aux recherches de reclassement auxquelles il était légalement tenu ;

- la procédure a été mise en oeuvre par l'administrateur judiciaire, Me G...qui a appliqué les décisions du tribunal de commerce tout en respectant les critères légaux d'ordre des licenciements. La demande d'autorisation de 1icenciement n'est donc pas 1iée à l'exercice d'un mandat par le salarié ;

- le requérant ne peut se prévaloir de l'intérêt général à sauvegarder des instances dont la mise en place n'est pas obligatoire et le motif d'intérêt général n'a pas été retenu par la jurisprudence pour éviter la disparition d'une formation syndicale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du commerce ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Par décision du 1er mars 2018, le président de la cour a désigné Mme Florence Madelaigue pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pierre Bentolila,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant M.I....

Considérant ce qui suit :

1. M.I..., recruté le 28 janvier 2008 en qualité de câbleur atelier par la société " La mécanique et l'engrenage modernes " (MEM), qui avait pour activité la fabrication de machines-outils pour l'industrie du bois, occupait en dernier lieu des fonctions de peintre, et exerçait les mandats de délégué du personnel et de membre de la délégation unique du personnel. La société MEM a été placée en procédure de redressement judiciaire par jugement du 14 mai 2013 du tribunal de commerce de Périgueux. Puis par un jugement du 1er octobre 2013 rectifié le 22 avril 2014, le tribunal de commerce a retenu l'offre de reprise de la société Finega, à laquelle s'est substituée la société MEM Industry, et a autorisé le licenciement de dix-sept salariés en chargeant l'administrateur judiciaire de la société, de procéder à ces licenciements. La liquidation de la société MEM a été prononcée par jugement du 8 octobre 2013 du tribunal de commerce de Bordeaux. Par un courrier du 28 octobre 2013, l'administrateur judiciaire de la société MEM a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. I...ce qui lui a été refusé par une décision du 16 décembre 2013. A la suite d'un recours hiérarchique formé le 5 février 2014 à l'encontre de cette décision par le mandataire liquidateur, l'administrateur judiciaire et la société MEM Industry le ministre du travail a, par décision du 11 août 2014, annulé la décision du 16 décembre 2013 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement. Par une seconde décision du 18 août 2014, le ministre du travail a retiré sa décision du 11 août 2014, a annulé la décision du 16 décembre 2013 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M.I.... M. I...relève appel du jugement n°s 1404112 ;1404113 du 3 mars 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du ministre du travail des 11 et 18 août 2014.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement ni sur les autres moyens de la requête :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis des fonctions de délégué syndical et délégué du personnel, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel elle appartient. Il appartient par ailleurs à l'administration, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement, de s'assurer que les catégories professionnelles retenues regroupent l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Au terme de cet examen, l'administration refuse l'autorisation de licenciement demandée s'il apparaît que les catégories professionnelles concernées par le licenciement ont été déterminées par l'employeur en se fondant sur des considérations étrangères à celles qui permettent de regrouper, compte tenu des acquis de l'expérience professionnelle, les salariés par fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune, ou s'il apparaît qu'une ou plusieurs catégories ont été définies dans le but de permettre le licenciement de certains salariés pour un motif inhérent à leur personne ou en raison de leur affectation sur un emploi ou dans un service dont la suppression est recherchée.

3. Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail : " (...) aucun salarié ne peut être (...) licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (...) en raison (...) de ses activités syndicales ou mutualistes (...) ". Selon l'article L.1134-1 du même code : " Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, [ dans lequel figure l'article L. 1132-1 ] (...) le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte (...). Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".

4. M.I..., pour établir que la demande d'autorisation de son licenciement aurait un lien avec le mandat et serait discriminatoire soutient que l'acceptation des demandes d'autorisations de licenciements, dont celle le concernant a eu pour résultat d'autoriser le licenciement de cinq salariés CGT, soit 100 % de la représentation syndicale et que sur les dix-sept licenciements initialement envisagés, six concernaient des représentants du personnel, sur huit représentants du personnel au total. Il fait valoir que pour arriver à ce résultat, il été procédé à une " manipulation des activités reprises ", à " une manipulation des postes supprimés ", et à une " manipulation des intitulés de poste " des salariés protégés ayant fait l'objet des autorisations de licenciement en litige.

5. Il ressort des pièces du dossier, que par jugement du tribunal de commerce de Périgueux, du 1er octobre 2013, rectifié par un second jugement du 22 avril 2014, les activités d'usinage, de mécano-soudure et de câblage électrique ont été exclues des activités reprises par la société Finega et c'est sur la base de ces jugements que les autorisations de licenciement ont été sollicitées auprès de l'inspecteur du travail, puis du ministre du travail.

6. En premier lieu, en ce qui concerne la question de la " manipulation des activités reprises ", le requérant soutient sans être contredit, que si les activités d'usinage et de mécano-soudure, qui étaient au nombre de celles qu'il effectuait, ont été exclues des activités reprises, elles ne constituaient pas en elles-mêmes des branches d'activité, mais de simples tâches au sein d'une même activité, qui est le montage et la commercialisation de machines, et qu'il en est de même du câblage électrique qui a également été exclu des activités reprises. Par ailleurs, comme le soutient le requérant, et ainsi qu'il ressort du procès-verbal d'inventaire du matériel de la société MEM établi le 29 mai 2013 à la demande du juge-commissaire à l'exécution du plan, le motif tiré de l'obsolescence du parc des machines, reprises par la société Finega, ne pouvait fonder la suppression des activités de peinture et d'usinage, dès lors que la cabine à peinture de fabrication 2010, est évaluée à la somme de 10 000 euros, ce qui correspond dans l'inventaire au prix le plus élevé des machines de la société, alors que l'aléseuse TOS utilisée pour l'activité d'usinage, est évaluée à 7 000 euros. Ainsi que le requérant pour établir l'absence de pertinence du choix des activités ayant été exclues de la reprise et l'intention discriminatoire, le fait valoir sans être contredit, si l'activité dans l'usine de la Coquille dans laquelle il travaillait a été réduite après l'intervention des autorisations de licenciement, les tâches d'usinage, de mécano-soudure et de peinture correspondant aux activités non reprises, étaient toujours effectuées sur ce site, par des salariés autres que les salariés pour lesquels les autorisations de licenciement avaient été accordées.

7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir M. I...au titre de la " manipulation des postes supprimés ", qu'alors que par la note économique et sociale sur le projet de réorganisation et de licenciement économique du 25 juin 2013, il était prévu de maintenir essentiellement les ouvriers de production et de procéder au licenciement de cadres à raison de sept pour un licenciement d'ouvrier, pour ce qui est des licenciements collectifs dans lesquels son autorisation de licenciement s'inscrit, la proportion de licenciements a atteint 40 % pour les ouvriers et 60 % pour les cadres, ce qui va à l'encontre de la volonté affichée de mutualiser les moyens au niveau du groupe concernant les " services support ", et laisse supposer la volonté de discrimination sans qu'il soit apporté en défense d'éléments permettant de justifier par d'autres motifs ce revirement dans la réorganisation de l'entreprise.

8. En ce qui concerne en troisième lieu, la " manipulation des intitulés de poste ", il ressort des pièces du dossier et notamment des fiches de paie produites, que M.I..., qui était câbleur atelier a été désigné à compter de septembre 2013 seulement comme peintre. Ainsi que le soutient M.I..., et en l'absence de toute explication apportée en défense, le fait de mentionner dans l'intitulé de ses fonctions des attributions plus réduites que celles correspondant aux compétences réellement exercées dans l'entreprise doit être regardé comme ayant eu pour objet et pour effet de le rattacher à une sous-catégorie professionnelle relevant d'une activité exclue des activités reprises par la société Finega, et donc de conduire à l'octroi d'une autorisation de licenciement le concernant.

9. Il résulte de ce qui précède qu'au sens des dispositions précitées de l'article L. 1134-1 du code du travail, M. I...doit être regardé comme ayant présenté des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, tenant à une détermination des activités supprimées ne correspondant pas à des catégories professionnelles définies de manière pertinente, à une suppression des activités de soudure, peinture et de câblage ne procédant pas d'une démarche logique dès lors que ces activités ont continué à être exercées sur le site de la Coquille par des salariés appartenant à d'autres sous- catégories professionnelles que celles exclues de la reprise et à une modification des intitulés des postes de travail. Aucune justification n'a été apportée en défense quant à l'absence de volonté discriminatoire. Dans les circonstances de l'espèce, le requérant est fondé à soutenir que la demande d'autorisation de licenciement n'est pas dépourvue de lien avec le mandat.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. I...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 3 mars 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande et à demander l'annulation des décisions des 11 et 18 août 2014 par lesquelles le ministre du travail a autorisé son licenciement.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. I...au titre des frais irrépétibles.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n°s 1404112 ; 1404113 du 3 mars 2016 du tribunal administratif de Bordeaux ainsi que les décisions des 11 et 18 août 2014 par lesquelles le ministre du travail a autorisé le licenciement de M. I...sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à M. I...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...I..., à la ministre du travail, à la société MEM Industry, à la SCP Pimouguet-Leuret-Devos-Bot venant aux droits de la société La mécanique et l'engrenage modernes et à la SELARL Alliance MJ venant aux droits de la société MEM Industry.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

M. Frédéric Faïck, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 15 mai 2018.

Le rapporteur,

Pierre Bentolila

Le président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Evelyne Gay-Boissières

La République mande et ordonne à la ministre du travail, en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°16BX01424


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01424
Date de la décision : 15/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Pierre BENTOLILA
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : BURUCOA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-05-15;16bx01424 ?
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