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24/05/2018 | FRANCE | N°16BX01774

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 24 mai 2018, 16BX01774


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...E..., M. M...E..., Mme G...H..., agissant en tant que représentante légale de Lou AnneA..., et Mme K...F..., agissant pour elle-même et en qualité de représentante légale de M. B...A...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le département de la Vienne à leur verser la somme de 905 546 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subi à la suite de l'accident dont a été victime M. C...A...le 30 avril 2012, avec intérêts au taux légal à compter du 9 août 2013 et cap

italisation des intérêts.

Par un jugement n° 1400922 du 7 avril 2016, le tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...E..., M. M...E..., Mme G...H..., agissant en tant que représentante légale de Lou AnneA..., et Mme K...F..., agissant pour elle-même et en qualité de représentante légale de M. B...A...ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le département de la Vienne à leur verser la somme de 905 546 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subi à la suite de l'accident dont a été victime M. C...A...le 30 avril 2012, avec intérêts au taux légal à compter du 9 août 2013 et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1400922 du 7 avril 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2016, et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 21 juin 2016 et 21 décembre 2017, Mme I...E..., agissant pour elle-même et en qualité de représentante légale de Kurtis N...-E..., M. M...E..., Mme G...H..., agissant en tant que représentante légale de Lou AnneA..., Mme K...F..., agissant pour elle-même et en qualité de représentante légale de M. B... A..., représentés par MeL..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 7 avril 2016 ;

2°) de condamner le département de la Vienne à leur verser la somme de 667 912,19 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis à la suite de l'accident dont a été victime M. C... A...le 30 avril 2012, avec intérêts au taux légal à compter du 9 août 2013 et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du département de la Vienne la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la demande de première instance n'est pas irrecevable alors que le département de la Vienne est intervenu à l'instance ;

- la résolution du litige dépendait de savoir si l'Office national des forêts pouvait voir sa responsabilité engagée compte tenu des contradictions du rapport d'expertise de 2005 ; à défaut d'avoir soulevé d'office ce moyen, le jugement doit être annulé ;

- le relevé de visite d'inspection sur lequel s'est fondé le tribunal administratif de Poitiers intéresse la route départementale 162 et non la route départementale 6 sur laquelle M. C...A...est décédé ; de même, le rapport d'expertise réalisé en 2005, soit sept ans avant les faits litigieux, ne peut servir à démontrer l'absence de défaut d'entretien du département de la Vienne ; si ce rapport préconisait le maintien de l'arbre qui s'est abattu sur la route pendant 10 ans, les signes extérieurs que sont la présence de bois mort et des racines endommagées côté route départementale nécessitaient des visites régulières de l'arbre afin de suivre son évolution ; or, le département de la Vienne n'apporte pas la preuve d'un entretien normal de la route départementale 6 ;

- l'authenticité du document produit par le département de la Vienne pour démontrer les travaux d'entretien de la RD 6 doit être mise en doute ;

- les intempéries du 28 avril 2012 ne peuvent être regardées comme responsables de la chute d'un arbre âgé d'une soixantaine d'années ;

- pour évaluer les préjudices subis, il appartient à la cour de retenir la nomenclature Dinthilac appliquée par le juge administratif dans une décision du Conseil d'Etat du 16 décembre 2013, et non celle de l'avis Lagier du 4 juin 2007 ; le référentiel de l'ONIAM n'est pas adapté ;

- ils ont subi un préjudice d'affection ; le préjudice moral de MmeF..., compagne de M. A...et mère de son enfant, doit être évalué à la somme de 35 000 euros ; le préjudice moral de son fils Evan et de sa fille Lou Anne, âgés respectivement de 5 ans et 9 ans, peut être évalué à 30 000 euros ; ils sollicitent également 20 000 euros pour le préjudice moral des deux autres enfants, Blandine etM..., âgés de 19 et 20 ans ; Kurtis, petit-fils de M.A..., âgé d'un an, a subi également un préjudice moral qui peut être évalué à 15 000 euros ; le port ou non du nom de famille du défunt est sans incidence sur le lien qui existe entre un père et ses enfants ou ses petits-enfants ;

- le préjudice économique de l'enfant Evan, vivant au foyer, peut être évalué après déductions du capital décès et de la pension de réversion d'actif CNRACL dont il bénéficie, à la somme de 220,88 euros ;

- le préjudice économique de Mme F...s'élève à 473 419,31 euros ;

- les souffrances morales subies par M.A..., conscient d'une mort imminente à la vue d'un chêne tombé au milieu de la route, qui peuvent être évaluées à la somme de 30 000 euros, doivent être indemnisées et réparties entre les ayants droit ;

- ils sollicitent le remboursement des frais funéraires qui s'élèvent à la somme de 14 872 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 28 novembre 2017 et 25 janvier 2018, le département de la Vienne, représenté par MeJ..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des requérants de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.

Il fait valoir que :

- la demande de première instance dirigée contre le conseil général, qui est un organe délibérant dépourvu de la personnalité morale, et non contre le département, est irrecevable ;

- M. N...-E..., qui sollicite la réparation du préjudice d'affection, n'a pas lié le contentieux, ni n'était présent en première instance ;

- à défaut de justifier des éventuelles indemnisations versées par l'assureur de M. C...A..., en dépit des demandes qu'il a adressées aux demandeurs, la requête d'appel devra être rejetée comme irrecevable pour double indemnisation ; en outre, le juge des référés du tribunal de grande instance de Poitiers a condamné la société Axa, assureur de M.A..., à leur verser une provision de 202 000 euros, qu'il conviendra de déduire en cas de condamnation du département de la Vienne ; de même, le montant des réparations à caractère forfaitaire devra également être déduit ;

- la preuve de l'entretien normal de la voie est apportée ; le diagnostic détaillé de l'ONF en 2005 a préconisé un maintien de l'arbre pour une durée supérieure à 10 ans ; par ailleurs, selon l'enquête préliminaire de la gendarmerie, l'arbre ne présentait aucun signe extérieur de nature à rendre sa chute prévisible ; enfin, l'inspection de la route départementale 6 le 2 avril 2012 n'a permis de déceler aucun signe extérieur de mauvais état ; l'arbre a été déraciné lors d'une période d'intempéries exceptionnelles ; la pièce n° 2 rendue plus lisible en appel est strictement identique à la fiche produite en première instance ;

- les requérants procèdent à une mauvaise lecture de la pièce n° 2, laquelle est constituée de deux documents, une fiche de patrouille et un planning des travaux en régie ;

- la nomenclature Dinthilac n'est pas appliquée par le juge administratif et ne comporte en elle-même aucun barème ; le référentiel de l'Oniam indemnise tous les préjudices ;

- malgré les sommations du département de la Vienne, les requérants ne produisent pas les pièces permettant de s'assurer de l'absence d'indemnisation par l'assureur du véhicule de MmeD..., de l'absence de capital décès et de pension d'orphelin pour les enfants de M. C... A... autres qu'Evan, de l'absence de prise en charge des frais funéraires, de l'absence de couverture de M. C...A...par un contrat d'assurance mutuelle ;

- MmeF..., qui n'était pas mariée ni pacsée, ne justifie pas d'un lien affectif particulier avec M.A... ; si elle a eu un enfant avec ce dernier, le montant de son préjudice moral ne peut être supérieur à 15 000 euros ;

- MmeE..., qui ne porte pas le nom de son père, ne peut obtenir une réparation supérieure à 4 000 euros ; en l'absence de cohabitation entre l'enfant Kurtis, âgé d'un an, et son grand-père, le montant alloué ne pourrait dépasser 2 000 euros ;

- l'indemnisation de M.E..., majeur et vivant hors foyer, qui ne porte pas le nom de son père, ne peut dépasser la somme de 4 000 euros ;

- Lou Anne A...n'étant pas élevée par son père, le montant de la réparation de son préjudice moral ne peut excéder 7 500 euros ;

- en fonction de l'intensité du lien affectif, la fourchette d'indemnisation du préjudice d'Evan A...est comprise entre 7 500 et 15 000 euros ;

- le préjudice économique ne présente pas de caractère certain ; l'évaluation du préjudice économique est en outre erronée ; en l'absence de production de toute pièce relative au capital décès, le préjudice économique de Mme F...ne peut être évalué ; en prenant en compte sa rente d'orphelin, le capital décès et une prise en charge jusqu'à ses 25 ans, le préjudice économique d'Evan A...s'évalue à 39 259,40 euros ;

- en l'absence d'acte de notoriété pour la succession de M. C...A..., il ne peut être sollicité la réparation de son préjudice personnel ; il n'est par ailleurs pas démontré qu'il aurait subi des souffrances morales ou psychologiques avant sa mort ;

- seuls les frais funéraires au sens strict peuvent être indemnisés.

Par ordonnance du 22 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 30 janvier 2018 à 12 h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Cécile Cabanne ;

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de MeJ..., représentant le département de la Vienne.

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 avril 2012, M. C...A..., alors qu'il circulait à moto sur la route départementale 6 en direction de Poitiers, a été victime à 5 h 45 d'un accident causé par la chute d'un arbre, qu'il a percuté de plein fouet. Il est décédé sur le coup. MmeF..., sa compagne, déclarant agir pour son propre compte et pour le compte de leur fils, EvanA..., M. M... E..., son fils, Mme I...E..., sa fille, agissant pour elle-même et en qualité de représentante légale de son fils Kurtis N...-E..., et Mme G...H..., agissant en tant que représentante légale de Lou AnneA..., sa fille, relèvent appel du jugement n° 1400922 du 7 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de condamnation du département de la Vienne.

Sur la régularité du jugement :

2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal administratif de Poitiers n'a commis aucune irrégularité en s'abstenant de mettre en cause l'Office national des forêts dès lors, d'une part, qu'il n'appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des requérants en recherchant si l'office pouvait être tenu responsable du décès de M. C...A...alors que leur action était dirigée contre le département de la Vienne et que, d'autre part, une telle mesure n'apparaissait pas nécessaire pour lui procurer des éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. La responsabilité du département de la Vienne n'est susceptible d'être engagée envers Mme F...et les descendants de M. C...A...du fait de l'accident dont il a été victime que si la chute de l'arbre qui est à l'origine de son décès révèle un défaut d'entretien normal de la voie publique dont il était un usager et dont l'arbre constituait une dépendance.

4. Il résulte de l'instruction, et en particulier de l'expertise d'arbres situés sur la route départementale 6 réalisée par l'Office national des forêts en juillet 2005, que si le chêne qui s'est abattu en travers de la route avait les racines endommagées du côté de la route départementale et des bois morts au niveau du houppier, ces circonstances n'étaient cependant pas de nature à rendre sa chute prévisible dès lors qu'il ne présentait aucun signe de dépérissement, que son état sanitaire visuel était qualifié de bon et que le son au marteau était normal. L'Office national des forêts préconisait à cet égard un maintien de l'arbre pour une durée supérieure à dix ans. Le département établit, par une fiche de patrouille, dont l'authenticité n'est pas sérieusement contestée, émanant de ses services techniques que ces derniers sont intervenus le 2 avril 2012 sur la route départementale 6. La vérification de la voie et de ses accotements, dont il n'est pas établi qu'elle n'aurait pas été faite avec tout le sérieux nécessaire, n'a pas permis de déceler de danger particulier mais seulement la présence de terre sur les accotements. Ainsi, aucune circonstance ne permettait de mettre en doute la solidité de l'enracinement de l'arbre lui permettant de résister même à de très fortes intempéries. Ainsi, alors qu'il n'est pas allégué que les services compétents auraient pu avoir le temps de dégager l'obstacle placé en travers de la route ni même de signaler sa présence aux usagers, le département de la Vienne doit être regardé comme ayant apporté la preuve, qui lui incombe, de l'absence de défaut d'entretien normal de la voie et de ses dépendances.

5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l'intimé, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de condamnation du département de la Vienne.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Vienne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme que demande le département sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E...et autres est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Vienne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...E..., à M. M...E..., à Mme G...H..., à Mme K...F...et au département de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 mai 2018.

Le rapporteur,

Cécile CABANNELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Vienne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 16BX01774


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01774
Date de la décision : 24/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-01-02-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages sur les voies publiques terrestres. Défaut d'entretien normal. Accotements.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Cécile CABANNE
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP GIROIRE REVALIER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-05-24;16bx01774 ?
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