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11/06/2018 | FRANCE | N°16BX00678

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 11 juin 2018, 16BX00678


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Espace d'Insertion de la région de Cognac a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 24 décembre 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision de l'inspectrice du travail du 10 juin 2013 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de MmeD..., ensemble la décision de l'inspectrice du travail du 10 juin 2013, et d'autoriser le licenciement pour faute de MmeD....

Par un ju

gement n° 1400540 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Poitier...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Espace d'Insertion de la région de Cognac a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 24 décembre 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision de l'inspectrice du travail du 10 juin 2013 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de MmeD..., ensemble la décision de l'inspectrice du travail du 10 juin 2013, et d'autoriser le licenciement pour faute de MmeD....

Par un jugement n° 1400540 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de l'association Espace d'Insertion de la région de Cognac.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 17 février 2016, 3 octobre 2016 et 16 janvier 2017, l'association Espace d'Insertion de la région de Cognac, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 décembre 2015 ;

2°) d'autoriser le licenciement pour faute grave de MmeD... ;

3°) à titre subsidiaire, d'autoriser le licenciement pour cause réelle et sérieuse de MmeD... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des exigences réglementaires en ce qui concerne les considérations de droit et de fait qui ont conduit le tribunal à prendre cette décision ;

- Mme D...a commis des fautes graves ; la réalité et le caractère éminemment sérieux des griefs sont avérés ; les nombreux témoignages produits sont alarmants, ne sont pas imprécis et citent nommément MmeD... ; les faits de maltraitance qui lui sont reprochés y sont décrits de façon précise et lui sont imputés ; la commission enfance de l'établissement l'a considérée comme maltraitante ; outre ces comportements, Mme D...a fait preuve de négligences en matière d'hygiène, comme l'a relevé le médecin du travail ; les pièces de l'enquête pénale retranscrivent également l'existence de faits de maltraitance de sa part ; les faits reprochés à Mme D...sont donc établis, particulièrement graves et réitérés ; s'agissant d'enfants polyhandicapés, son comportement constitue un délit de violence sur personne vulnérable prévu et réprimé par l'article 222-14 du code pénal, raison pour laquelle d'ailleurs l'inspection du travail a effectué une transmission au parquet ; la circonstance que l'enquête pénale ait été classée sans suite n'est pas opposable à l'employeur ni exclusive de l'exactitude des griefs formulés, dès lors qu'un tel classement ne revêt pas l'autorité de la chose jugée et n'entraîne pas l'absence de reconnaissance de bien-fondé du licenciement ; à la suite de ce classement sans suite, certains parents ont retiré leur enfant de la structure, d'autres se sont plaints du comportement de MmeD... ; l'agence régionale de santé a également considéré que la sécurité des enfants et adolescents pris en charge ne pouvait être garantie par l'établissement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 mai 2016, 13 février 2017, 16 février 2017 et 13 mars 2017, Mme C...D..., représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'IERC la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'association ne sont pas fondés ; en particulier, les griefs formulés à son encontre ne sont pas établis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par l'association ne sont pas fondés ; en particulier, l'employeur ne saurait invoquer une faute qui n'a pas été invoquée, ni dans la demande d'autorisation de licenciement ni lors de l'enquête contradictoire ; par suite, les faits intervenus postérieurement à la décision de l'inspectrice du travail doivent être regardés comme inopérants ; pour le reste, le ministre du travail déclare s'associer aux écritures produites par MmeD....

Par une ordonnance en date du 7 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mars 2017.

Une pièce, enregistrée le 14 mai 2018, a été produite par l'association, mais n'a pas été communiquée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. L'Espace d'Insertion de la région de Cognac (EIRC) est une association gérant des établissements et des services médico-sociaux pour enfants et adultes en situation de handicap. Le 1er septembre 1989, il a recruté Mme C...D...au sein de l'institut médico-éducatif Les Vauzelles, dans la section " Les Roseaux " qui accueille de jeunes polyhandicapés de trois à vingt ans et où Mme D...occupe des fonctions de monitrice-éducatrice. Celle-ci est également membre titulaire du comité d'entreprise et déléguée du personnel. Des témoignages ayant fait état d'actes de maltraitance physique et psychologique de la part de MmeD..., l'EIRC a sollicité, le 16 mai 2013, l'autorisation de licencier cette dernière. Par une décision du 10 juin 2013, l'inspectrice du travail de la 2ème section de la Charente a refusé l'autorisation sollicitée au motif, notamment, qu'un doute subsistait sur la réalité des faits. A la suite du recours hiérarchique formé par l'EIRC, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé, par décision du 24 décembre 2013, la décision de l'inspectrice du travail en considérant que les faits reprochés n'étaient pas établis. L'EIRC fait appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 décembre 2015, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 décembre 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision de l'inspectrice du travail du 10 juin 2013 refusant d'autoriser le licenciement pour faute de Mme D..., ensemble la décision de l'inspectrice du travail.

Sur la régularité du jugement :

2. Si l'association requérante fait valoir que jugement qu'elle attaque est insuffisamment motivé au regard " des exigences réglementaires " en ce qui concerne " les considérations de droit et de fait " qui ont conduit le tribunal à prendre cette décision, son moyen n'est pas étayé des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il résulte de la lecture dudit jugement, et en particulier de ses points 4 et 5 que les premiers juges ont suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles ils ont considéré que les faits reprochés à Mme D...n'étaient pas suffisamment établis par les pièces du dossier. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) Si un doute subsiste, il profite au salarié. ".

4. La demande d'autorisation de licenciement de Mme D...était fondée sur les méthodes de travail autoritaires de cette dernière à l'égard des jeunes enfants polyhandicapés dont elle a la charge. Son employeur lui reprochait d'avoir eu des " pratiques réitérées de négligence de soins ", des attitudes inadaptées et parfois brutales à l'égard de très jeunes enfants ", " entraînant un climat peu serein dans le service, que certains qualifient de maltraitance ". Pour refuser la demande de l'EIRC, l'inspecteur puis le ministre du travail ont considéré que les faits reprochés n'étaient pas établis, dès lors, notamment, que les témoignages produits à l'appui de la demande ne rapportaient aucun fait précis et que les enquêtes administratives n'avaient pas permis d'établir la réalité de faits de maltraitance.

5. D'une part, l'association se prévaut de courriers, d'attestations ou de procès-verbaux d'audition de personnels, qui mettraient en évidence des faits de maltraitance commis par MmeD.... Cependant, ces documents ne décrivent aucun fait particulier précisément daté avec mention des personnes présentes, mais comme l'a relevé l'inspectrice du travail, rapportent tous les mêmes faits de façon assez stéréotypée. Il en ressort certes le profil d'une salariée, parmi les plus anciens membres de l'équipe éducative de l'établissement, pourvue d'une forte personnalité ainsi que d'une forte voix, y compris lorsqu'elle s'adresse à ses collègues. Il en ressort également que Mme D...faisait parfois preuve d'autorité et de peu de douceur à l'égard des enfants, sans que ce comportement, s'il ne correspond pas aux exigences éducatives actuelles, puisse être regardé comme caractérisant des actes de maltraitance. Par ailleurs, plusieurs attestations émanant de professionnels soulignent les compétences de MmeD..., laquelle produit également plusieurs courriers de parents la décrivant très favorablement, ainsi qu'une pétition de soutien signée par de nombreux collègues lors de sa mise à pied à titre conservatoire. En outre, aucun fait de " négligence de soins " n'est mis en évidence par les pièces figurant au dossier. Si l'employeur se prévaut encore de ce que l'inspectrice du travail a effectué une transmission au parquet pour suspicions de maltraitances de la part de cette salariée, il est constant qu'à la suite de l'enquête pénale, est intervenue, le 13 mai 2014, une décision de classement sans suite. Il ne saurait non plus se prévaloir d'un arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel de Bordeaux en date du 5 janvier 2017 rendu en sa faveur, dès lors que cet arrêt se borne à infirmer le jugement des prud'hommes d'Angoulême du 2 avril 2015 en ce qu'il avait retenu des agissements dudit employeur constitutifs de harcèlement moral, de discrimination, violences psychologiques, manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral et à l'obligation de sécurité, ni non plus de l'arrêt de la cour de cassation du 9 mai 2018 confirmant l'arrêt de la cour d'appel. Enfin, l'association ne saurait utilement invoquer des faits qui seraient intervenus postérieurement à la décision de l'inspectrice du travail du 10 juin 2013 ou qui n'ont été invoqués ni dans la demande d'autorisation de licenciement ni lors des enquêtes contradictoires menées par les services du travail.

6. D'autre part, comme l'ont déjà relevé à bon droit les premiers juges, il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu d'une rencontre réalisée le 3 avril 2013 avec l'équipe éducative et les intervenants de la section polyhandicapée de l'institut, que d'importants dysfonctionnements ont été relevés au sein de l'institut médico-éducatif dans lequel travaille MmeD.... Il est ainsi fait état de " problèmes de communication, liens, échanges, dialogues inexistants entre les équipes, ambiance lourde, beaucoup de non-dits, de colère, de peur et de souffrance psychologique ", et du fait que " toutes les personnes ont reconnu que l'ambiance rejaillissait sur la prise en charge des enfants ", dysfonctionnements dont l'existence a au demeurant été confirmée par un rapport de l'Agence régionale de santé établi à la suite d'une inspection de l'établissement réalisée en juin 2014. En outre, les courriers adressés à la direction qui font état de faits de violence au sein de l'institut ne désignent pas Mme D...comme étant à l'origine de ces faits, qu'il s'agisse du courrier adressé le 18 février 2013 par des membres du personnel ou du courrier du médecin de l'institut du 30 avril 2013. Ainsi, ces éléments, qui mettent en cause le fonctionnement de l'ensemble de l'équipe éducative de l'institut dans lequel travaille MmeD..., ne permettent d'établir que cette dernière serait à l'origine d'actes de maltraitance.

7. Dans ces conditions, et alors qu'il ressort des pièces du dossier, comme cela vient d'être dit ci-dessus, que le climat social dans l'établissement était tendu depuis plusieurs années, de nombreux personnels se plaignant de souffrances au travail, en vertu de l'alinéa 5 de l'article L. 1235-1 du code du travail, le doute doit profiter à MmeD..., dès lors que les éléments du dossier ne permettent pas de tenir pour certaine la matérialité des faits de maltraitance qui lui sont reprochés, que les enquêtes, qu'elles soient administratives, menées par l'inspection du travail puis par le ministre, ou pénale, n'ont au demeurant pas permis d'établir.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'EIRC n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'autorisation de licenciement :

9. En tout état de cause, il n'appartient pas au juge administratif d'autoriser le licenciement de MmeD.... Les conclusions présentées à cette fin par l'EIRC ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'EIRC sur ce fondement. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'EIRC une somme de 1 500 euros que demande Mme D...sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'association Espace d'Insertion de la région de Cognac est rejetée.

Article 2 : L'association Espace d'Insertion de la région de Cognac versera à Mme D...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Espace d'Insertion de la région de Cognac, à Mme C...D...et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Gil Cornevaux, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 11 juin 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre du travail et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Vanessa Beuzelin

2

N° 16BX00678


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00678
Date de la décision : 11/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Absence de faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET JEANTET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-11;16bx00678 ?
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