La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2018 | FRANCE | N°16BX00878

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 25 juin 2018, 16BX00878


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Technique d'exploitation du matériel Huiban (STEMH) a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'annuler la décision du 7 novembre 2013 de l'inspecteur du travail de La Réunion refusant d'autoriser le licenciement de M. B...A...et d'autoriser son licenciement.

Par un jugement n° 1301463 du 7 janvier 2016, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté la demande de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban.

Procédure devant la cour :

Par une requê

te et un mémoire, enregistrés le 8 mars 2016 et le 26 juillet 2016, la société Technique d'expl...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Technique d'exploitation du matériel Huiban (STEMH) a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'annuler la décision du 7 novembre 2013 de l'inspecteur du travail de La Réunion refusant d'autoriser le licenciement de M. B...A...et d'autoriser son licenciement.

Par un jugement n° 1301463 du 7 janvier 2016, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté la demande de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 mars 2016 et le 26 juillet 2016, la société Technique d'exploitation du matériel Huiban, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Réunion du 7 janvier 2016 ;

2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail de la Réunion du 7 novembre 2013 refusant d'autoriser le licenciement de M. B...A... ;

3°) d'autoriser le licenciement de M. B...A... ;

4°) de mettre à la charge de M. B...A...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la légalité externe :

- la décision de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée, dès lors qu'il ne motive pas cette décision sur les griefs invoqués par l'employeur en ne reprenant pas les différents moyens juridiques qu'il avait invoqués ; en outre, cette décision ne vise pas les articles régissant le délai de prescription, notamment l'article L. 1332-4 du code du travail ;

En ce qui concerne la légalité interne :

- à titre principal : il doit y avoir absence de prescription des faits fautifs ; la société Technique d'exploitation du matériel Huiban était en effet dans l'impossibilité d'agir autrement, puisqu'elle était tenue de solliciter une autorisation administrative de licenciement, puis tenue de respecter les délais de cette procédure, alors que les péripéties contentieuses de cette affaire l'ont empêchée d'agir en temps et en heure ; l'impossibilité absolue dans laquelle elle s'est trouvée de poursuivre la procédure de licenciement avant l'arrêt de la cour de cassation du 23 septembre 2015 impose donc la suspension du délai de notification de l'article L. 1332-2 du code du travail et des dispositions de l'article 2234 du code civil ; en fait, la procédure de licenciement entamée le 26 février 2009 a été suspendue jusqu'à la décision de la cour de cassation précitée ; elle a pourtant multiplié les actes de diligence pour ne pas laisser courir le délai de prescription sans agir ; il est contraire aux règles du procès équitable, voire même au respect du principe des droits fondamentaux, de refuser en l'espèce à la société Technique d'exploitation du matériel Huiban la reconnaissance de l'interruption de la prescription ;

- c'est également à tort que les premiers juges se sont fondés sur l'autorité de la chose jugée du jugement du même tribunal du 29 septembre 2011, au motif qu'il serait devenu définitif ; et ce, d'autant plus que ce jugement se fonde non sur une quelconque appréciation de la faute commise par M. B...A..., mais sur le non-respect par la société Technique d'exploitation du matériel Huiban du délai de deux mois pendant lequel elle aurait dû reprendre la procédure de licenciement ; le tribunal a étendu le champ d'application de l'article L. 1332-4 du code du travail, en appliquant ce délai de deux mois à une hypothèse que cet article ne vise pas ; aucun texte ni aucun règle n'imposait à la société Technique d'exploitation du matériel Huiban d'engager, dans les deux mois de la notification du refus de l'autorisation du 28 mai 2009, une nouvelle procédure disciplinaire pour les mêmes faits, dans le seul but de purger le vice de procédure affectant la première demande ; il y a également lieu d'opposer à l'autorité de la chose jugée la survenue d'un fait nouveau postérieur au jugement de 2011, à savoir l'annulation de la qualité de délégué syndical de M. B...A... ;

- l'inspection du travail aurait dû s'assurer de la validité du mandat de M. B...A...au moment des faits fautifs ; en le l'ayant pas fait, elle a commis une irrégularité, qui entache substantiellement d'irrégularité sa décision du 7 novembre 2013 ;

- à titre subsidiaire : il y a lieu de considérer que la fraude, établie par la cour de cassation, a empêché la prescription de courir ; en effet la fraude est réputée tout corrompre et agit même sur une dispositions d'ordre public ; par suite, elle empêche de faire courir un délai, contre une personne placée dans l'impossibilité d'agir durant ce délai ; comme cela a déjà été dit, la société Technique d'exploitation du matériel Huiban a été juridiquement empêchée d'agir dans le délai de deux mois ;

- en tout état de cause, l'employeur a bien respecté les règles applicables en matière de prescription, car, lorsqu'il a entamé la procédure de licenciement, le 29 juillet 2013, le délai de deux mois de l'article L. 1332-4 n'était pas encore épuisé ; à cet égard, l'inspecteur du travail a donc commis une erreur de droit ;

- enfin, les faits commis par M. B...A...étaient d'une particulière gravité, propre à justifier le licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2016, M. B...A..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés ; en tout état de cause, la désignation frauduleuse ne peut avoir d'effet sur les décisions antérieures relatives au statut protecteur ; c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a considéré que les faits intervenus en 2009 étaient définitivement prescrits ; les multiples recours de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban sont abusifs.

Par une ordonnance en date du 7 mars 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mars 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 février 2009, M. B...A..., chauffeur de poids lourd de la société technique d'exploitation du matériel Huiban (STEMH) et représentant syndical désigné le 3 mars 2008 par la confédération générale du travail de La Réunion du bâtiment et des travaux publics, a été l'auteur d'un grave accident du fait d'un serrage de frein insuffisant de son véhicule, qui a dévalé une pente. Par une décision du 20 mai 2009, confirmée par le ministre du travail le 7 décembre 2009, l'autorisation de licenciement de l'intéressé a été refusée en raison de l'absence de consultation du comité d'entreprise. Par un jugement du 4 mars 2010, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Technique d'exploitation du matériel Huiban contre ces deux décisions. A la suite d'une deuxième demande, la société Technique d'exploitation du matériel Huiban a obtenu, le 12 juillet 2010, l'autorisation de licencier M. B... A...en raison de sa responsabilité dans l'accident survenu le 25 février 2009. Toutefois, par une décision du 31 décembre 2010, le ministre chargé du travail a annulé cette décision en raison de la prescription des faits, faute pour la société Technique d'exploitation du matériel Huiban d'avoir saisi l'inspecteur du travail d'une nouvelle demande de licenciement dans les deux mois suivants la notification de la décision de refus du 20 mai 2009. Par un jugement du 29 septembre 2011, devenu définitif, le tribunal administratif de Saint-Denis a confirmé la légalité de la décision du ministre, en considérant que la prescription des faits avait été opposée à bon droit. Par une décision du 7 novembre 2013, confirmée sur recours hiérarchique le 14 février 2014 par le ministre chargé du travail, l'inspectrice du travail a de nouveau refusé d'autoriser le licenciement de M. B...A..., redevenu salarié protégé en qualité de membre du comité d'entreprise, toujours à raison des faits survenus en février 2009, au motif qu'ils étaient prescrits. Par un jugement du tribunal d'instance de Saint-Pierre du 4 août 2014, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi formé à son encontre par arrêt de la cour de cassation du 23 septembre 2015, la désignation de M. B...A...en qualité de représentant syndical, le 3 mars 2008 a été annulée pour fraude. Par un jugement du 7 janvier 2016, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté le recours en annulation présenté par la société Technique d'exploitation du matériel Huiban à l'encontre du refus d'autorisation du 7 novembre 2013, en opposant notamment l'autorité de chose jugée du jugement précité du 29 septembre 2011, devenu définitif. Par un courrier du 2 novembre 2015, la société Technique d'exploitation du matériel Huiban a demandé pour la sixième fois, l'autorisation de licencier pour faute M. B... A..., tant au titre de sa responsabilité dans l'accident survenu le 25 février 2009, que d'une seconde faute tirée de la fraude à l'origine de sa désignation en qualité de délégué syndical le 3 mars 2008. Par une décision du 22 janvier 2016, l'inspecteur travail a rejeté cette demande. Par un jugement du 27 octobre 2017, dont il n'a pas été fait appel, le même tribunal administratif a une nouvelle fois rejeté la demande de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban tendant à l'annulation de la décision du 22 janvier 2016, en réitérant notamment les motifs tirés de la prescription des faits et de l'autorité de la chose jugée. Dans le cadre de la présente instance, la société Technique d'exploitation du matériel Huiban fait appel du jugement du tribunal administratif de la Réunion du 7 janvier 2016, qui a rejeté sa cinquième demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 7 novembre 2013 refusant d'autoriser le licenciement de M. B...A....

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. ". En application de ces dispositions, la décision de l'inspecteur refusant la délivrance d'une autorisation de licenciement d'un délégué syndical doit comporter les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement, sans nécessairement répondre à tous les arguments développés par l'employeur. En l'espèce, pour rejeter la demande d'autorisation de licenciement sollicitée au titre des faits survenus en février 2009, l'inspecteur du travail relève, dans sa décision du 7 novembre 2013, que ces faits sont définitivement prescrits, motif suffisant au demeurant à lui seul pour fonder le refus qu'elle a pris. L'inspecteur ajoute que l'employeur a déjà formulé cinq demandes antérieures basées sur les mêmes faits, que ces procédures ont fait l'objet de décisions devenues définitives en droit, que le ministre du travail a, déjà à deux reprises, opposé le motif tiré de la prescription, la légalité de sa première décision ayant été confirmée par le juge administratif, que la présente demande est identique à celles ayant abouti aux refus antérieurs et que l'annulation postérieure du mandat de délégué syndical de M. B...A...n'a pas d'incidence sur cette situation de droit définitivement acquise. Il est constant que la société requérante a reçu notification des décisions et jugements auxquels l'inspecteur a fait référence, en particulier du jugement précité du 29 septembre 2011 du tribunal administratif de la Réunion ayant relevé que l'administration du travail a considéré à bon droit que les faits survenus le 25 février 2009 étaient prescrits au titre des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, faute pour la société Technique d'exploitation du matériel Huiban d'avoir saisi l'inspecteur du travail d'une nouvelle demande de licenciement dans les deux mois suivant la notification de la décision précitée de refus du 20 mai 2009. Dans ces conditions, la décision litigieuse n'est pas entachée d'un défaut de motivation, alors même que, visant le code du travail, elle ne cite pas expressément les dispositions de son article L. 1332-4.

En ce qui concerne la légalité interne :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2411-8 du code du travail : " Le licenciement d'un membre élu du comité d'entreprise, titulaire ou suppléant, ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ". Aux termes de l'article L. 1332-4 du même code : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ".

4. Par jugement du tribunal d'instance de Saint-Pierre du 4 août 2014, puis par rejet du pourvoi formé à son encontre par la cour de cassation le 23 septembre 2015, la désignation de M. B...A...comme délégué syndical le 3 mars 2008 a été annulée au motif que la fédération CGT Réunion du bâtiment et des travaux publics l'avait désigné en sachant ne pouvoir justifier d'aucune affiliation avec la CGT malgré son appellation et son logo, et ainsi s'était frauduleusement prévalue de la représentativité de cette dernière pour cette désignation. La société requérante soutient que l'annulation de cette désignation de M. B...A...comme délégué syndical emporte l'inapplicabilité de la prescription prévue à l'article L.1332-4 du code du travail concernant les faits fautifs commis le 25 février 2009, motif unique du rejet de sa demande d'autorisation de licenciement par la décision attaquée.

5. Il ressort des pièces du dossier que la société Technique d'exploitation du matériel Huiban s'est vue refuser, une première fois, par une décision de l'inspectrice du travail en date du 20 mai 2009, l'autorisation de licencier M. B...A...pour faute grave en raison de faits survenus le 25 février 2009, décision confirmée sur recours hiérarchique par une décision du ministre du travail du 7 décembre 2009, décisions toutes deux fondées sur un vice de procédure substantiel, tiré du défaut de consultation du comité d'entreprise. La légalité de ces deux décisions a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de la Réunion du 4 mars 2010. Le 25 mai 2010, l'employeur a alors présenté une nouvelle demande d'autorisation de licenciement, après régularisation du vice de procédure initial. Si, par une décision du 12 juillet 2010, l'inspecteur du travail a cette fois autorisé le licenciement, motif pris du bien-fondé de la demande, le ministre du travail saisi par le salarié, a, par une décision du 31 décembre 2010, annulé la décision de l'inspecteur ayant autorisé le licenciement et refusé celui-ci, motif pris de la prescription des faits en vertu des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, faute pour la société Technique d'exploitation du matériel Huiban d'avoir ressaisi l'inspecteur du travail d'une nouvelle demande de licenciement dans les deux mois suivants la notification de la décision de refus opposée par l'inspecteur du travail le 20 mai 2009. Par le jugement précité du 29 septembre 2011, le tribunal administratif de la Réunion, qui a rejeté les conclusions en annulation de la société dirigées contre la décision du ministre du travail du 31 décembre 2010, a considéré que celui-ci était fondé à relever que les faits survenus le 25 février 2009 étaient prescrits en vertu des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, jugement dont il n'a pas été fait appel.

6. Pour refuser une nouvelle fois, par la décision contestée du 7 novembre 2013, l'autorisation de licencier M. B...A..., l'inspecteur du travail a tout d'abord relevé que cette demande était fondée sur les mêmes faits, commis en février 2009, que les quatre précédentes demandes de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban, pour lesquelles des décisions définitives en droit étaient intervenues, notamment le jugement du tribunal administratif du 29 septembre 2011. L'inspecteur a ensuite estimé que la société ne pouvait la saisir de faits définitivement prescrits. Il a enfin souligné qu'au regard de cette situation de droit définitivement tranchée, la circonstance que le mandat de délégué syndical du salarié aurait été postérieurement annulé par un jugement du tribunal d'instance était sans incidence.

7. Toutefois, la décision contestée, en date du 7 novembre 2013, n'est pas une décision purement confirmative des précédentes décisions prises au sujet du licenciement de M. B...A..., l'employeur ayant à la fois repris la procédure et s'étant en outre prévalu d'un élément de fait nouveau lié à l'annulation du mandat de délégué syndical de l'intéressé. Par ailleurs, le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 29 septembre 2011 n'a qu'une autorité relative de chose jugée, s'agissant d'un jugement de rejet. Or, les trois conditions posées à l'autorité de la chose jugée par l'article 1351 du code civil dans sa version applicable au litige, à savoir une identité d'objet, de cause et de parties, ne sont pas réunies en l'espèce, dès lors que le jugement du 29 septembre 2011 concernait la contestation portée contre la décision ministérielle du 31 décembre 2010, alors que, dans le cadre de la présente instance, l'employeur conteste la légalité de la décision de l'inspectrice du travail du 7 novembre 2013. Par suite, et en l'absence d'identité d'objet, c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont considéré que la question de la prescription des faits reprochés avait été définitivement tranchée par le jugement du 29 septembre 2011.

8. La prescription de deux mois instituée par les dispositions précitées de l'article L. 1332-4 du code du travail est interrompue par l'engagement de poursuites disciplinaires. En l'espèce, à la suite de la commission des faits reprochés à M. B...A..., son employeur a effectivement engagé, dans le délai de deux mois, une procédure d'autorisation de licenciement pour faute. Toutefois, cette demande a fait l'objet d'un refus, par décision de l'inspecteur du travail du 20 mai 2009, confirmée par le ministre du travail le 7 décembre 2009, à raison d'un vice de procédure lié au défaut de consultation du comité d'entreprise. Dès lors que la procédure initiale était viciée, l'employeur ne pouvait procéder au licenciement sans avoir engagé une nouvelle procédure, dans un nouveau délai de deux mois suivant la notification de la décision de l'inspecteur du travail du 20 mai 2009. Alors que la société requérante n'a pas soutenu que la prescription aurait à nouveau pu être interrompue par l'engagement d'autres poursuites antérieurement à l'expiration de ce nouveau délai de prescription, les faits relatifs à la mise en cause de M. B...A...dans l'accident du 25 février 2009, étaient définitivement prescrits à la date de la décision de l'inspecteur du travail du 12 juillet 2010 annulée par la décision du ministre du 31 décembre 2010, et a fortiori à la date du 11 septembre 2013, à laquelle la société Technique d'exploitation du matériel Huiban a saisi l'administration du travail d'une nouvelle demande d'autorisation de licenciement.

9. Si la société requérante fait ensuite valoir que le mandat de délégué syndical de M. B... A...a été annulé pour fraude par un premier jugement du tribunal d'instance de Saint-Pierre du 19 juillet 2013, cependant censuré par la cour de cassation, mais aussi par un second jugement du même tribunal en date du 4 août 2014 devenu quant à lui définitif, compte tenu du rejet du pourvoi par la cour de cassation le 23 septembre 2015, cette circonstance est sans incidence sur le bien-fondé du refus d'autorisation de licenciement. En effet, d'une part, si ce mandat syndical a ainsi rétroactivement disparu de l'ordonnancement juridique, l'autorité de chose jugée par le tribunal d'instance ne saurait, quant à elle, avoir d'effet rétroactif. Or, à la date à laquelle l'inspecteur du travail a pris la décision contestée, à laquelle s'apprécie sa légalité, l'invalidation de la désignation de M. B...A...n'était pas encore devenue définitive. D'autre part, et en tout état de cause, le caractère frauduleux de la désignation de M. B...A...dans son mandat de délégué syndical n'est pas de nature à avoir fait obstacle au déclenchement de la prescription, dès lors que l'employeur avait une parfaite connaissance des faits reprochés au salarié dès leur commission, ainsi qu'en atteste l'engagement de la première procédure de licenciement, dès le lendemain de l'accident en cause.

10. Enfin, la société requérante soutient que l'inspecteur du travail ne s'est pas assuré de la qualité de salarié protégé de M. B...A...au moment des faits fautifs, alors qu'il en avait l'obligation, et notamment qu'il n'a pas recherché dans quelle mesure il pouvait se prévaloir de la qualité de délégué syndical, alors que des décisions judiciaires démontrent que sa désignation en cette qualité était frauduleuse. Cependant, alors que la qualité de salarié protégé s'apprécie non au moment des faits reprochés, mais à la date de l'envoi par l'employeur de la convocation du salarié à l'entretien préalable, en l'espèce, à la date du 12 août 2013, date de l'entretien qui a précédé la demande d'autorisation de licenciement du 11 septembre 2013 ayant donné lieu à la décision contestée, M. B...A...était salarié protégé non pas seulement au titre de son mandat de délégué syndical délivré en 2008, mais également en sa qualité, non contestée, de membre de la délégation unique du personnel.

11. Il ressort des termes de la décision contesté que l'inspecteur du travail a pris en compte l'ensemble de ces mandats, alors, d'une part, que l'invalidité de la désignation de M. B... A...comme délégué syndical n'était pas définitivement acquise et, d'autre part, que la validité de sa désignation comme membre de la délégation unique du personnel n'était pas contestée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'inspecteur du travail ne se serait pas assuré de la validité du mandat de délégué syndical de M. B...A...au moment des faits ne peut qu'être écarté et est, en tout état de cause, sans incidence sur la qualité de salarié protégé de l'intéressé.

12. En conséquence de ce qui vient d'être dit, la société Technique d'exploitation du matériel Huiban ne peut utilement invoquer le bien-fondé de sa demande d'autorisation de licenciement de M. B...A...en ce qui concerne les faits reprochés survenus le 25 février 2009, dès lors que ceux-ci sont prescrits.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Technique d'exploitation du matériel Huiban n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'autorisation de licenciement :

14. En tout état de cause, il n'appartient pas au juge administratif d'autoriser le licenciement de M. B...A.... Les conclusions présentées à cette fin par la société Technique d'exploitation du matériel Huiban ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B...A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Technique d'exploitation du matériel Huiban demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban la somme que demande M. B...A...sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Technique d'exploitation du matériel Huiban est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B...A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société technique d'exploitation du matériel Huiban (STEMH), à M. B...A...et au ministre du travail. Copie en sera transmise à la direction des entreprises, de concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2018, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 juin 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

2

N°16BX00878


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00878
Date de la décision : 25/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : SELARL GARRIGES - GERY - SCHWARTZ - SCHAEPMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-25;16bx00878 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award