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25/06/2018 | FRANCE | N°16BX01664

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 25 juin 2018, 16BX01664


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D...a demandé au tribunal administratif de la Martinique la décharge de l'obligation de payer la somme de 9 171,10 euros mise à sa charge par un titre de perception en date du 3 octobre 2007 modifié le 21 janvier 2008 et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des préjudices financier et moral qu'il a subis.

Par un jugement n° 1400309 du 10 mars 2016, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par u

ne requête et des mémoires, enregistrés le 18 mai 2016, le 11 avril 2017 et le 30 mai 201...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D...a demandé au tribunal administratif de la Martinique la décharge de l'obligation de payer la somme de 9 171,10 euros mise à sa charge par un titre de perception en date du 3 octobre 2007 modifié le 21 janvier 2008 et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des préjudices financier et moral qu'il a subis.

Par un jugement n° 1400309 du 10 mars 2016, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 mai 2016, le 11 avril 2017 et le 30 mai 2017, M. A...D..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 10 mars 2016 ;

2°) de le décharger de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par les titres de perception en litige ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation des préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la créance est prescrite ; la prescription lui est acquise en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil car le fait générateur de la prescription quinquennale est le 31 décembre 2005, date de sa mise à la retraite et le terme de cette prescription est au 1er janvier 2011 ; par ailleurs, les sommes que lui a versées l'administration de janvier à mars 2006 étaient prescrites au 14 mai 2011 ; en conséquence, lorsque l'administration a réclamé sa créance, elle était déjà éteinte ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve qu'elle a lui notifié le titre exécutoire du 3 octobre 2007 avant l'envoi du courrier du 26 mai 2011, date à laquelle la créance était prescrite ;

- il n'y a eu aucune reconnaissance de sa part de l'existence de cette créance par mail du 29 octobre 2007 ; bien au contraire, il a exprimé son désaccord sur l'existence de cette dette et s'est borné à reprendre les termes du mail de son ex-collègue qui lui annonçait l'existence de cette créance ; en outre, ladite collègue n'avait aucune compétence pour notifier un titre exécutoire en lieu et place du comptable public ni se prévaloir de la reconnaissance d'un titre de créance ; au surplus, il s'agissait d'un échange privé entre deux anciens collègues ; le Conseil d'Etat a précisé que la reconnaissance de l'exigibilité de la créance par le contribuable doit être pleine et entière et sans ambiguïté ;

- l'administration a commis plusieurs fautes ; elle a continué à lui verser un salaire alors qu'il était à la retraite, ayant ainsi omis de mettre sa situation à jour comme elle l'aurait dû ; ensuite, elle ne lui a pas notifié le titre de perception du 3 octobre 2007 et elle n'a pas non plus poursuivi le recouvrement de l'indu dans le délai de cinq ans, se bornant à lui adresser un courrier de rappel en mai 2011, alors que la créance était prescrite ; l'instruction codificatrice n° 05-053 M93 du 15 décembre 2012 relative au recouvrement des créances publiques mentionne que les lettres de rappel doivent être envoyées dans un délai raisonnable par rapport à l'émission du titre de recette, ce qui n'a pas été le cas ; la loi du 28 décembre 2011, qui a réduit à deux ans la prescription des créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération, précise qu'en tardant à réclamer des trop-perçus, l'administration commet une négligence constitutive d'une faute ; il a dû engager des frais d'avocat et de procédure, en raison de la double négligence de l'administration ; l'administration continue à le harceler plus de dix ans après le fait générateur et a fait pratiquer une saisie mensuelle sur ses pensions, alors qu'il est âgé et malade ; cela lui a causé beaucoup de souci et a contribué à la dégradation de son état de santé ; à ce titre, il réclame la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice financier et moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2017, le ministre des finances et des comptes publics, représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. D... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ; les demandes indemnitaires sont, en tout état de cause, irrecevables, faute de liaison du contentieux.

Par une ordonnance en date du 31 mai 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2017.

Des dernières observations pour M. D...ont été enregistrées le 23 mai 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ;

- la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant le ministre de l'économie et des finances.

Considérant ce qui suit :

1. M. D...est retraité des services fiscaux de la Guyane depuis le 31 décembre 2005. Un titre de perception a été émis à son encontre le 3 octobre 2007 par la direction régionale des finances publiques (DIRFIP) de la Guyane pour un montant de 9 867,13 euros, correspondant à des versements indus de son ancien traitement sur la période de janvier à mars 2006. Le 21 janvier 2008, un titre de réduction du montant initial de 696,03 euros a ramené la somme due à 9 171,10 euros. Le 6 mai 2011, l'administration a adressé à M. D...une lettre de rappel, qui fait alors valoir qu'il n'a jamais reçu les deux titres exécutoires. Le 23 décembre 2013, M. D... recevait une mise en demeure valant commandement de payer. Par courrier du 22 janvier 2014, le requérant a introduit une opposition à exécution, rejetée par la DGFIP de Fort-de-France le 7 février 2014. M. D... fait appel du jugement du tribunal administratif de la Martinique, qui a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la décharge de l'obligation de payer la somme qui lui est réclamée et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3000 euros en réparation de ses préjudices financiers et moral, somme qu'il porte à 5 000 euros devant la cour.

Sur les conclusions à fin de décharge de l'obligation de payer :

2. Aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Aux termes de l'article 26 de cette loi : " I.-Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. II.-Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. III.- Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation (...) ".

3. Aux termes de l'article 2240 du code civil : " La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.". La reconnaissance, par le redevable, de l'exigibilité de sa dette s'entend de tout acte ou de toute démarche par lesquels celui-ci admet son obligation de payer une créance définie par sa nature, son montant et l'identité de son titulaire. Un courrier par lequel le contribuable se borne, pour en contester le bien-fondé, à mentionner cette créance, ne saurait à lui seul emporter une telle reconnaissance (CE, Douhaire, 10 juin 2013, 347095, B).

4. Il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté que, alors que M. D... avait été admis à faire valoir ses droits à pension à compter du 31 décembre 2005, il a continué à percevoir ses traitements au titre des mois de janvier, février et mars 2006. En raison du versement indu desdits traitements, qui doit être regardé comme une erreur de liquidation, la direction régionale des finances publiques de la Martinique a émis, le 3 octobre 2007, à l'encontre de M. D...un titre de recettes correspondant au montant de ces trois mois de traitement, rectifié au montant de 9 171,10 euros le 21 janvier 2008. En vertu de la règle de prescription quinquennale édictée par l'article 2224 précité du code civil et des dispositions transitoires prévues par l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, les délais de prescription expiraient en janvier 2011, février 2011 et mars 2011 pour chacun des traitements indûment versés en janvier, février et mars 2006.

5. Il résulte cependant de l'instruction que, par un courriel en date du 29 octobre 2007, intitulé " titre de perception, salaires indus ", adressé par M. D...à une ancienne collègue, contrôleur au service des ressources humaines à la direction des services fiscaux de la Guyane, l'intéressé a affirmé avoir cherché à la contacter " concernant le titre de perception envoyé par la trésorerie générale de la Martinique, pour les rémunérations versées à tort en janvier, février, mars 2006 ". Il précise ensuite que : " La somme de 9 687,13 euros est erronée, c'est extrêmement urgent pour moi, afin que la rectification soit faite auprès de la trésorerie générale de Fort-de-France ". Par un courriel en réponse du même jour, cette ancienne collègue l'a informé de ce " qu'un titre de perception va être émis pour un montant rectificatif de 9 170,10 euros (...) représentant des revenus perçus à tort au titre de : -janvier : 3 041,02 €, -février 2006 : 3 041,02 €, mars 2006 : 3 041,02 €, avril 2006 : 48,04 € ". Elle précise ensuite qu'il avait été avisé " par téléphone et par courriel dès avril 2006 de ce trop-perçu et des modalités de remboursement qui seraient mise en place pour recouvrer ce montant ". Contrairement à ce que fait valoir l'intéressé, son courriel ne se borne pas à reprendre les termes employés par la collègue en cause pour mentionner l'existence d'un titre de perception et décrire l'objet et le montant de sa dette, le courriel de cette collègue ayant été rédigé en réponse au sien, comme le montre l'indication de la date et de l'heure figurant sur chacun des courriels. Contrairement également à ce qu'il soutient, il ne se borne pas, par ce courriel, à mentionner la créance, mais il admet son obligation de payer, dès lors qu'en admettant en connaître la nature et le montant, il ne conteste ce dernier que pour une faible part en raison d'un calcul erroné. Enfin, contrairement à ce qu'il prétend encore, il reconnaît, par ce courriel, avoir reçu notification du titre de perception en date du 3 octobre 2007, puisqu'il en demande la rectification du montant.

6. Par suite, les premiers juges ont considéré : " que le mail de M. D...du 29 octobre 2007, qui doit être regardé comme reconnaissance du principe de la créance de l'Etat, a interrompu la prescription et l'a relancée jusqu'en octobre 2012 ; que, dès lors, la prescription n'étant pas acquise, l'administration pouvait exiger le remboursement du trop-perçu de rémunération au titre de la période de janvier à mars 2006 par, premièrement, une lettre de rappel en date du 6 mai 2011, qui doit être regardée comme un acte de recouvrement ayant interrompu le délai de prescription quinquennale fixé à octobre 2012, et, deuxièmement par la mise en demeure valant commandement de payer du 23 décembre 2013, interrompant de nouveau la prescription quinquennale ". En faisant valoir que " le titre exécutoire daté du 3 octobre 3007 a été porté à [sa] connaissance par l'administration pour la première fois par le courrier reçu le 14 mai 2011, puis notifié par lettre recommandée le 26 mai 2011 ", M. D... ne critique pas utilement la motivation retenue par les premiers juges telle qu'elle vient d'être rappelée, qu'il y a donc lieu d'adopter. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la créance était prescrite et ne pouvait plus être recouvrée le 23 décembre 2013.

Sur les conclusions indemnitaires :

7. Il ne résulte pas de l'instruction, comme le fait valoir en défense le ministre des finances et des comptes publics, que M. D...ait jamais adressé à l'administration une réclamation indemnitaire préalable. Dans ces conditions, et en tout état de cause, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée par le ministre et, sans qu'il soit besoin d'examiner la responsabilité de l'Etat, de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par le requérant.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. D...sur ce fondement. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D...une somme de 1 000 euros au profit de l'Etat.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : M. D...versera à l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D...et au ministre de l'économie et des finances. Copie en sera transmise au directeur régional des finances publiques de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2018, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Axel Basset, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 juin 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N°16BX01664


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01664
Date de la décision : 25/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-08-04 Fonctionnaires et agents publics. Rémunération. Cumuls.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : ARDITI

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-06-25;16bx01664 ?
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