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17/07/2018 | FRANCE | N°18BX01347

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 17 juillet 2018, 18BX01347


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 juin 2017 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1704575 du 27 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et une mémoire en production de pièces enregist

rés respectivement les 4 avril et 4 juin 2018, Mme C...F..., représentée par MeB..., demande à la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F...a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 26 juin 2017 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1704575 du 27 décembre 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et une mémoire en production de pièces enregistrés respectivement les 4 avril et 4 juin 2018, Mme C...F..., représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 27 décembre 2017 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 juin 2017 du préfet de la Gironde susmentionné ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préfet a, à tort, considéré que sa fille A...avait obtenu la nationalité française par fraude ;

- l'arrêté a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, car sa vie familiale est en France avec son époux et ses quatre enfants ;

- la décision attaquée a méconnu les stipulations des articles 3-1 et 7-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, car l'intérêt supérieur de sa fille est de rester avec ses deux parents.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2018 le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés en renvoyant à ses écritures de première instance.

Par ordonnance du 30 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 13 juin 2018.

Mme F...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 1er mars 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre l'administration et le public ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Gil Cornevaux a été entendu au cours de l'audience publique :

Considérant ce qui suit :

1. MmeF..., ressortissante marocaine née le 1er janvier 1980 à Taddart (Maroc), est entrée régulièrement en France, le 7 janvier 2012, munie d'un passeport revêtu d'un visa de long séjour valant titre de séjour de " conjoint de français ", à la suite de son mariage célébré à Tanger le 22 juillet 2011 avec un ressortissant français, M.D.... Elle a bénéficié de titres de séjour en qualité de parent d'enfant français successivement du 17 décembre 2012 au 19 décembre 2015. A la suite d'une demande de renouvellement de titre de séjour effectuée le 9 octobre 2015, le préfet de la Gironde par un arrêté du 26 juin 2017 a refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français, et a fixé le pays dont elle a la nationalité comme pays de destination en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement. Le tribunal administratif de Bordeaux ayant rejeté la demande d'annulation de cet arrêté préfectoral, Mme F... en relève appel.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (...) ". Aux termes l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (...).".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 dudit code, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance ou le renouvellement de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait.

4. Mme F...soutient que le préfet de la Gironde ne pouvait, pour refuser de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui opposer le motif tiré de ce que la reconnaissance de paternité effectuée de manière anticipée le 25 octobre 2012 par M.G..., ressortissant français, avait pour objet de faciliter l'obtention de la nationalité française à sa filleA..., née le 9 novembre 2012 à Libourne, et de lui permettre d'obtenir la régularisation de son séjour en France en qualité de mère d'un enfant français, dès lors que, d'une part, la paternité de M. G..., ne saurait être remise en cause que par l'autorité judiciaire compétente et que, d'autre part, l'administration se contente de jeter le doute sur le lien de filiation et la relation intime qui a abouti à la naissance de sa fille A...sans établir l'inexactitude ou l'impossibilité matérielle de celles-ci. Toutefois, M. G...s'est désisté de tout droit parental par courrier du 12 décembre 2012 à la mairie de Libourne et lors de son audition par les services de gendarmerie le 16 avril 2016, M. G...a admis n'avoir jamais vécu avec Mme F... et avoir reconnu l'enfant afin de lui rendre service, sans n'avoir jamais participé ni à l'entretien, ni à l'éducation de l'enfant. Mme F...n'établit par aucune pièce probante l'existence d'une relation de vie commune avec M.G..., supposé père biologique de la jeuneA..., que ce soit avant ou après la naissance de l'enfant, le 9 novembre 2012, ni, davantage, la participation de M. G...à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ou, même, un intérêt affectif manifesté par l'intéressé à l'égard de cet enfant, par des visites ou toute autre manifestation d'attention. En outre, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'audition de M. D...du 30 avril 2016 par les services de gendarmerie, dont Mme F...a divorcé en 2012, qu'il n'y a jamais eu de communauté de vie, Mme F...confirmant que le mariage n'avait jamais été consommé. Ainsi, compte tenu de l'accumulation de ces éléments, le préfet de la Gironde doit être regardé comme apportant la preuve qui lui incombe, par des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes, de ce que la reconnaissance de l'enfant de la requérante par M.G..., le 25 octobre 2012, a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour et présente ainsi un caractère frauduleux, alors même que la procédure judiciaire engagée à cet effet est en cours. Dès lors, et contrairement à ce que soutient l'appelante, le préfet de la Gironde, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, était légalement fondé à lui refuser, pour ce seul motif, le renouvellement de sa carte de séjour temporaire sollicitée en tant que mère d'un enfant français sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans entacher la décision de refus de séjour litigieuse d'erreur de fait, d'erreur de droit ni, davantage, d'erreur d'appréciation.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Gironde n'aurait pas procédé à un examen approfondi et attentif de la situation individuelle de MmeF....

6. Aux termes l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Mme F...soutient que le centre de ses intérêts privés et familiaux se trouve désormais en France, où elle réside depuis 2012, outre avec la jeuneA..., avec ses trois enfants nés au Maroc respectivement en 1997, 2002 et 2003, entrés en France en janvier 2016. Toutefois, comme il a été précédemment dit sa présence en France n'a été rendue possible que grâce à une reconnaissance de paternité frauduleuse de son enfant A...née le 9 novembre 2012, effectuée en vue de faciliter l'obtention d'un titre de séjour. Si Mme F... fait valoir qu'elle est depuis le 6 septembre 2014 marié avec M.E..., comme elle de nationalité marocaine, celui-ci ne dispose pas d'une autorisation de séjour. Compte tenu de l'arrivée très récente des enfants, l'ainé étant d'ailleurs majeur, et de la faible durée de scolarisation des trois autres enfants, il n'est pas établi par les pièces du dossier que la cellule familiale ne pourrait être reconstituée au Maroc ni la scolarisation poursuivie dans ce pays. Dans ces conditions, en dépit de l'activité professionnelle en qualité d'ouvrière agricole, sous contrat à durée déterminée, la décision de refus de titre de séjour ne porte pas au droit de Mme F...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, cette décision n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni des dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes raisons, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ses décisions sur la situation de la requérante doit être écarté.

8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

9. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il est constant qu'aucun lien régulier n'existe entre M. G..., ressortissant français que la requérante présente comme le père de son fils, et cet enfant. Par ailleurs, il n'est pas établi que la cellule familiale ne puisse se reconstituer au Maroc alors que son actuel époux, de même nationalité, ne possède aucune autorisation de séjour pour résider sur le territoire français. Si trois de ses enfants, ont débuté leur scolarité en France, il n'est pas démontré que ces enfants ne pourraient poursuivre leur scolarité dans ce pays. La seule circonstance qu'ils bénéficieraient d'un meilleur cadre de vie s'ils restaient en France ne permet pas d'établir que le préfet de la Gironde n'aurait pas porté l'attention requise à l'intérêt supérieur de ses enfants, en violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, Mme F...n'est pas fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 7 et 9, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ainsi que de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle et familiale de Mme F...ne peuvent qu'être écartés. Pour le même motif, le moyen tiré de la violation de l'article 7-1 de la convention relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F...et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2018, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Gil Cornevaux, président assesseur,

M. Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2018.

Le rapporteur,

Gil CornevauxLe président,

Pierre LarroumecLe greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

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N° 18BX01347


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18BX01347
Date de la décision : 17/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Gil CORNEVAUX
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : BALDE SORY

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-07-17;18bx01347 ?
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