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08/10/2018 | FRANCE | N°16BX01636

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 08 octobre 2018, 16BX01636


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société "Les Etablissements Henri Le Gac" a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler, d'une part, les décisions, en date des 6 février 2014 et 16 avril 2014, par lesquelles l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme D...C...et a rejeté son recours gracieux et, d'autre part, la décision du 29 août 2014, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a refusé l'autorisation de licenciement de MmeC....
>Par un jugement n° 1401192 du 11 février 2016, le tribunal administratif de l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société "Les Etablissements Henri Le Gac" a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler, d'une part, les décisions, en date des 6 février 2014 et 16 avril 2014, par lesquelles l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme D...C...et a rejeté son recours gracieux et, d'autre part, la décision du 29 août 2014, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a refusé l'autorisation de licenciement de MmeC....

Par un jugement n° 1401192 du 11 février 2016, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté la demande de la société.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 mai 2016, la SARL Etablissements Le Gac, représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 11 février 2016 ;

2°) d'annuler d'une part, les décisions, en date des 6 février 2014 et 16 avril 2014, par lesquelles l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme D...C...et a rejeté son recours gracieux et, d'autre part, la décision du 29 août 2014, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a refusé l'autorisation de licenciement de MmeC... ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des procédures de première instance et d'appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le ministre a commis une erreur de droit en ce qu'il a considéré le licenciement comme lié au refus de Mme C...d'accepter sa rétrogradation, alors que le licenciement avait été sollicité pour faute ; les premiers juges ont mal interprété sa demande d'autorisation, qui était bien motivée par le caractère fautif et la gravité des faits reprochés et non par le refus de la salariée de voir son contrat de travail modifié ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en requalifiant le motif du licenciement en insuffisance professionnelle, une telle requalification relevant du seul contrôle du juge judiciaire ;

- Mme C...a commis une faute particulièrement grave ; la réception de la pochette bancaire et son placement au coffre relevaient pleinement de ses attributions ; la matérialité des faits ainsi que leur imputabilité à Mme C...sont établies ; la négligence dont elle a fait preuve a donc légitimement été caractérisée comme fautive ;

- ces agissements ont en outre créé un préjudice à la société, car elle a dû alourdir la charge de travail de la chef de caisse et mettre en place un nouveau contrôle ; en tout état de cause, la gravité de la faute n'est pas exclusive d'un préjudice pour l'employeur ;

- le tribunal a entaché ses motifs d'une contradiction, dès lors qu'il a, d'une part, jugée justifiée l'appréciation faite par le ministre du caractère fautif des faits et, d'autre part, qualifiée lesdits faits d'insuffisance professionnelle ; ce faisant, il a outrepassé l'étendue de sa compétence, seul le juge judiciaire pouvant requalifier une cause de licenciement ;

- en outre, le tribunal a dénaturé les faits en ayant exclu la faute grave ; ce faisant, il a exigé des faits qu'ils remplissent les conditions de la faute lourde et non celle de la faute grave ; or, la faute grave n'a jamais impliqué de la part du salarié une intention de nuire, caractéristique propre à la faute lourde ; en réalité, la répétition des erreurs de caisse commises par Mme C...et l'importance de la somme laissée hors du coffre caractérisaient un manque d'attention extrême et un total désintérêt pour son travail ayant des conséquences préjudiciables pour l'employeur, constitutifs d'une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2017, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la décision de l'inspecteur a disparu de l'ordonnancement juridique ; les conclusions à fin d'annulation dirigées contre cette décision sont donc irrecevables ;

- les moyens soulevés par la société Le Gac ne sont pas fondés ; en particulier, il n'a pas commis d'erreur de droit en ayant estimé que la mesure de licenciement était bien la conséquence directe du refus de la salariée d'accepter la rétrogradation proposée ; les faits retenus par l'employeur n'étaient en tout état de cause pas d'une gravité suffisante pour justifier la rétrogradation ; si Mme C...est bien à l'origine d'un fait fautif, celui-ci n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ; la jurisprudence considère que l'absence de préjudice est un critère permettant d'atténuer la gravité de la faute ; en l'espèce, il n'y a eu aucun préjudice financier ; la réception de la pochette bancaire et son placement au coffre ne faisaient pas partie des tâches habituelles de la salariée, mais s'effectuaient uniquement en cas de remplacement de sa supérieure ; il s'agir d'une procédure risquée et aucune procédure particulière n'avait été mise en place ; Mme C...n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire antérieure pour des faits de même nature.

Par une ordonnance du 21 août 2017, la clôture de l'instruction a été reportée au 17 septembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D...C..., caissière depuis le 4 septembre 2009 aux Etablissements Henri Le Gac, entreprise spécialisée dans les matériaux de construction, a été promue chef de caisse le 1er juin 2011. Elle a été élue au mois d'octobre 2012 déléguée du personnel titulaire. A l'issue d'une procédure disciplinaire engagée contre elle pour avoir omis de placer en coffre une pochette bancaire contenant une forte somme en espèces, elle a refusé, le 4 novembre 2013, la rétrogradation par laquelle son employeur envisageait de la sanctionner. Par un courrier du 8 janvier 2014, le directeur des Etablissements Henri Le Gac a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier MmeC.... Par une décision du 6 février 2014, confirmée le 16 avril 2014 sur recours gracieux de l'employeur, l'inspecteur a, d'une part, refusé d'autoriser le licenciement pour faute grave de Mme C... et, d'autre part, annulé sa mise à pied à titre conservatoire et ses effets. Par une lettre du 1er avril 2014, le gérant des Etablissements Henri Le Gac a formé un recours hiérarchique auprès du ministre du travail, qui, à la suite de la contre-enquête réalisée le 18 juin 2014, a, par une décision du 29 août 2014, retiré sa décision implicite, née le 19 août 2014, de rejet de ce recours hiérarchique, annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé le licenciement de MmeC.... La SARL Etablissements Henri Le Gac fait appel du jugement du tribunal administratif de la Guyane du 11 février 2016, qui a rejeté sa demande tendant, d'une part à l'annulation des décisions de l'inspecteur du travail et, d'autre part, à celle du ministre du travail.

Sur la recevabilité des conclusions aux fins d'annulation des décisions de l'inspecteur du travail :

2. Les premiers juges ont déjà relevé à bon droit, par un motif non contesté, qu'il y a lieu d'adopter : " que, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision ; que, le 29 août 2014, le ministre du travail, qui a annulé pour des motifs de légalité la décision de l'inspecteur du travail du 6 février 2014, a fait disparaître cette dernière avant l'enregistrement de la requête de la société "Les Etablissements Henri Le Gac" ; que, dès lors, les conclusions de la requête dirigées contre la décision de l'inspecteur du travail, ayant disparu de l'ordonnancement juridique, étaient sans objet à la date de la saisine du tribunal ; qu'il suit de là que les conclusions de la société "Les Etablissements Henri Le Gac" tendant à l'annulation des décisions de l'inspecteur du travail en date des 6 février 2014 et 16 avril 2014 sont irrecevables et doivent être rejetées ".

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre du travail en date du 29 août 2014 :

3. En vertu des dispositions de l'article L. 2411-3 du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives, bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution du mandat dont il est investi.

4. Par son courrier à la DIECCTE en date du 8 janvier 2014, la société Etablissements Le Gac a justifié sa demande d'autorisation de licenciement par le fait que : " Le 3 septembre 2013, MmeC..., qui avait terminé sa journée de travail, a quitté les Ets Le Gac en abandonnant au vu et au su de tous, sur une pile de cartons à papier et à proximité du coffre, une pochette Transbank contenant la somme de 15 610 euros en espèces ". Elle relève ensuite qu'" il n'a existé, le 3 septembre 2013, aucun danger grave et imminent pouvant justifier d'abandonner volontairement au vu et au su de tous et sans aucune surveillance ni information de quelque autre responsable ou personne, une pochette contenant plus de 15 000 euros en espèces ". Elle fait ensuite valoir que " c'est dans ces conditions et conformément aux dispositions des articles L. 1232-2 et suivants et R. 1232-1 du code du travail que, pour sanctionner la faute grave du 3 septembre 2013, nous avons convoqué Mme C... à un entretien préalable en vue d'un licenciement (...) " et que " compte tenu de la nature de ses fonctions et de ses attributions spécifiques et de confiance résultant notamment du comptage, de la manipulation de fonds en espèces et de leur mise en protection au coffre, les faits observés et considérés comme fautifs son particulièrement graves. Ils constituent des manquements aux obligations professionnelles de Mme C...(...) ".

5. Il ressort en effet des pièces du dossier que le 3 septembre 2013 vers 10 h 30, Mme C...a, en l'absence de sa supérieures hiérarchique MmeA..., chef du service client, réceptionné de la part de convoyeurs de fonds une pochette Transbank contenant 15 610 euros en liquide, qu'elle a aussitôt placée dans le coffre. Ayant quitté son service vers 13 heures, Mme C... a placé son fond de caisse dans le même coffre, mais a dû pour ce faire enlever la pochette Transbank qui l'en empêchait, pochette qu'elle a posée sur son bureau, où elle l'a oubliée. A l'occasion de sa prise de poste en début d'après-midi, Mme A...a trouvé la pochette. MmeC..., jointe par téléphone, a reconnu les faits, ce qui n'est pas contesté. Une procédure disciplinaire a été engagée contre elle pour ces faits. A la suite d'un entretien préalable à une procédure disciplinaire qui a eu lieu le 20 septembre 2013, elle a refusé, le 4 novembre 2013, la rétrogradation par laquelle son employeur envisageait de la sanctionner. Un entretien préalable à une procédure de licenciement a eu lieu le 31 décembre 2013, à l'issue duquel lui a été notifiée une mise à pied à titre conservatoire. Le 8 janvier 2014, l'employeur a sollicité l'autorisation de la licencier.

6. Pour refuser, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail, l'autorisation de licencier MmeC..., le ministre a considéré que la matérialité des faits ainsi que leur imputabilité à Mme C...étaient établies et présentaient un caractère fautif justifiant une sanction disciplinaire, puis en a conclu " qu'en conséquence ", le fait fautif établi à l'encontre de Mme C...n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier une rétrogradation et que son refus d'une telle sanction n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

7. Il résulte de ce qui vient d'être exposé que l'employeur a, dans un premier temps, engagé une procédure disciplinaire et que ce n'est que devant l'échec de cette procédure qu'il a, dans un second temps, engagé une procédure de licenciement. Il résulte également de ce qui a été exposé au point 4 ci-dessus que la demande d'autorisation de licenciement était fondée, non sur le refus opposé par Mme C...à une modification de son contrat de travail, mais sur les faits fautifs en date du 3 septembre 2013 qui lui étaient reprochés. Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire de qualifier la faute commise le 3 septembre 2013, ni d'ailleurs de déterminer si le refus de Mme C...du 3 novembre 2013 constituait ou non une faute dès lors que la procédure disciplinaire a été abandonnée au profit d'une autre procédure, la société Etablissements Le Gac est fondée à soutenir qu'en se fondant, pour refuser l'autorisation sollicitée, sur le fait que la faute établie à l'encontre de Mme C...n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier une rétrogradation et que son refus d'une telle sanction n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, le ministre du travail a commis une erreur de droit quant à la procédure suivie et une erreur d'appréciation du motif du licenciement. Par suite, la société requérante est également fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Guyane n'a pas, pour ce seul motif, qui fonde à lui seul la décision du ministre, annulé ladite décision.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Etablissements Le Gac est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de la décision du ministre du travail du 29 août 2014.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros que demande la société Etablissements Le Gac sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1401192 du tribunal administratif de la Guyane du 11 février 2016 et la décision du ministre du travail du 29 août 2014 sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société Etablissements Le Gac la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Etablissements Le Gac est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Etablissements Henri Le Gac, au ministre du travail et à Mme D...C....

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

4

N° 16BX01636


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX01636
Date de la décision : 08/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : VIVES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-10-08;16bx01636 ?
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