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31/12/2018 | FRANCE | N°16BX04167

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre - formation à 3, 31 décembre 2018, 16BX04167


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...M..., épouseI..., a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de

Pointe-à-Pitre / Les Abymes et la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) à lui verser les indemnités suivantes :

- 246 276,65 euros en utilisant le barème de la Gazette du Palais au taux de 1,20 %, ou, à titre subsidiaire, 222 534,50 euros en utilisant celui au taux de 2,35%, au titre des préjudices patrimoniaux ;

- 111 234

,91 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux.

La mutuelle générale de l'éducation ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...M..., épouseI..., a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner solidairement le centre hospitalier universitaire (CHU) de

Pointe-à-Pitre / Les Abymes et la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM) à lui verser les indemnités suivantes :

- 246 276,65 euros en utilisant le barème de la Gazette du Palais au taux de 1,20 %, ou, à titre subsidiaire, 222 534,50 euros en utilisant celui au taux de 2,35%, au titre des préjudices patrimoniaux ;

- 111 234,91 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux.

La mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN), a demandé au tribunal de condamner solidairement le CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes et la SHAM à lui verser la somme de 3 082,79 euros correspondant au montant des prestations versées à Mme I...au titre des préjudices patrimoniaux temporaires.

La caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe a fixé le montant de ses débours à la somme de 132 999,47 euros.

Par un jugement n° 1500262 du 24 novembre 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné solidairement le CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes et la SHAM à verser à Mme I...une indemnité de 156 851,86 euros, à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe une somme de 132 999,47 euros et à la MGEN une somme

de 3 082,79 euros et mis à leur charge définitive les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 700 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2016, Mme I..., représentée

par MeK..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1500262 du 24 novembre 2016 en tant qu'il a limité à la somme de 156 851,86 euros le montant de l'indemnité qu'il a condamné le CHU et la SHAM à lui verser en réparation des préjudices subis ;

2°) de condamner solidairement le CHU de Pointe-à-Pitre et la SHAM à lui payer :

- la somme de 246 276,65 euros au titre des préjudices patrimoniaux calculés en faisant application du barème de la Gazette du Palais publié en 2013 sur la base d'un taux de 1,20 %, à titre subsidiaire, la somme de 222 534,50 euros calculée sur la base du taux de 2,35% ;

- la somme de 111 234,91 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux ;

3°) de condamner le CHU de Pointe-à-Pitre et de la SHAM aux entiers dépens ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre et de la SHAM une somme

de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme I...soutient que :

- les fautes du CHU de Pointe-à-Pitre sont établies et en lien direct et certain avec les préjudices dont elle demande réparation ;

- elle a consulté à trois reprises un médecin dont les honoraires ne sont pas pris en charge par la CPAM pour un montant de 150 euros et a engagé des frais divers afin de déterminer l'étendue de ses préjudices et d'être assistée au cours des opérations d'expertise par un médecin, ainsi que des frais de déplacement en avion, taxis, et trajets en train, des frais de télévision pendant ses hospitalisations, de logement ainsi que de location de véhicule pour un montant total de 11 255,89 euros ;

- elle conserve à sa charge des frais de prothèse de bain, laquelle devra être renouvelée tous les cinq ans et sollicite à ce titre une indemnisation à hauteur de 35 696,08 euros, calculée sur la base du barème au taux de 1,20 % ;

- les aménagements de son domicile nécessaires pour ses déplacements en fauteuil roulant s'élèvent à la somme de 3 898,89 euros et l'adaptation de son véhicule avec renouvellement à la somme de 4 629,99 euros ;

- ses besoins en tierce personne évalués à deux heures par jour jusqu'à deux ans après la consolidation par l'expert, puis une heure, doivent être indemnisés sur la base d'un taux horaire de 20 euros, de manière viagère pour un total de 190 645,80 euros ;

- l'indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire doit être portée

à 7 334,91 euros ;

- les souffrances endurées, évaluées à 4,5/7 par l'expert, justifient l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;

- l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent doit, pour tenir compte des souffrances qu'elle a subis post consolidation, être portée à la somme de 54 400 euros ;

- son préjudice esthétique, évalué à 3,5/7 par l'expert du fait de l'amputation et de la boiterie engendrée, justifie l'allocation d'une somme de 10 000 euros ;

-l'expert a retenu un préjudice d'agrément pour le footing et la natation pour lequel elle demande une indemnisation à hauteur de 15 000 euros ;

- elle subit également un préjudice sexuel sur lequel le tribunal a omis de statuer et pour lequel elle réclame la somme de 4 500 euros.

Par un mémoire, enregistré le 20 février 2017, la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement du 24 novembre 2016 en ce qu'il a condamné solidairement le CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes et la SHAM à lui rembourser la somme de 3 082,79 euros correspondant au montant des prestations versées à Mme I...au titre des préjudices patrimoniaux temporaires ;

2°) de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre et de la SHAM une somme

de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 10 mai 2017, l'Office national d'indemnisation

des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeA..., conclut à sa mise hors de cause.

L'ONIAM soutient que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies dès lors que la responsabilité du CHU de Pointe-à-Pitre est engagée en raison d'une prise en charge post-opératoire défectueuse de MmeI....

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2017, le centre hospitalier universitaire Pointe-à-Pitre/Abymes et la société hospitalière des assurances mutuelles, représentés par MeH..., demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il a alloué une indemnité de 156 851,86 euros à MmeI..., une somme de 132 999,47 euros à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe au titre des débours, ainsi qu'une somme de 3 082,79 euros à la MGEN au titre des prestations qu'elle a versées à Mme I...et de réduire le montant ces indemnités .

Ils soutiennent que :

- la demande de Mme I...tendant au remboursement des honoraires de consultation d'un médecin exerçant à Lille non pris en charge par la caisse de sécurité sociale est vouée au rejet dès lors qu'elle n'établit pas le lien entre ces frais et les séquelles de l'amputation qu'elle a subie ;

- Mme I...ne démontre pas que l'évaluation de son besoin en tierce personne serait insuffisante et ne produit aucun justificatif pour que ce chef de préjudice soit calculé sur la base d'un taux horaire moyen de 20 euros ; en tout état de cause, l'indemnité allouée devra être ramenée à 46 355 euros ;

- l'expert ayant estimé que la circonstance que Mme I...rencontre des problèmes la nuit pour se déplacer, ne justifie pas un aménagement de son domicile dès lors qu'elle peut se déplacer facilement en cannes anglaises pour des trajets courts, aucune indemnité, au demeurant non justifiée par des factures, ne saurait lui être allouée pour l'aménagement de son logement ;

- il en est de même des frais correspondant à un stage de conduite et à l'aménagement de son véhicule, Mme I...se bornant à produire des devis, à l'exclusion de factures ;

- au titre des frais divers, seule la prise en charge des frais d'assistance à l'expertise par un médecin est justifiée, le surplus étant voué au rejet en l'absence de lien direct et certain avec l'amputation subie ;

- les premiers juges ont fait une juste évaluation du déficit fonctionnel temporaire en allouant à Mme I...une somme de 2 860 euros, sans prendre en compte la période liée à la fracture du poignet survenue à l'occasion d'une chute au mois de novembre 2012 ; il en est de même de son déficit fonctionnel permanent ;

- le tribunal a également fait une juste évaluation des souffrances endurées, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément en lui allouant une indemnité globale de 47 541 euros incluant l'achat et le renouvellement d'une prothèse de bain pour un montant de 32 933 euros et aucun préjudice sexuel n'a été retenu par l'expert ;

- l'ensemble des frais d'hospitalisation mentionnés dans les débours de la caisse de sécurité sociale de la Guadeloupe ne pouvait en revanche être mis à leur charge dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'ils seraient en lien direct et certain avec l'amputation de

Mme I...en ce qui concerne sa chute et sa fracture du poignet du 19 novembre 2012 ;

- il en est de même des indemnités réclamées par la MGEN, notamment s'agissant des frais d'urgence entre le 19 novembre et le 21 novembre 2012, qui ne sont pas en lien avec l'amputation et devront être déduits des sommes mises à leur charge.

Une mise en demeure a été adressée le 26 juin 2017 à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, à qui la requête d'appel de Mme I...et l'appel incident du CHU de Pointe-à-Pitre ont été communiqués et qui n'a pas produit d'observations.

Par ordonnance du 26 juillet 2017, la clôture d'instruction a été fixée

au 28 septembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M.G...,

- et les observations de MeC..., représentant Mme I..., de MeJ..., représentant le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre/ Les Abymes et de Me F..., représentant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Considérant ce qui suit :

1. MmeM..., épouseI..., a été admise le 8 avril 2012 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre/ Les Abymes à la suite d'une chute sur la plage à l'origine d'une fracture tri-malléolaire fermée de la cheville droite. Elle a bénéficié,

le 10 avril 2012, d'une intervention chirurgicale par ostéosynthèse de la malléole médiale avec pose d'une plaque vissée et de broches sur la malléole latérale, et a été autorisée à regagner son domicile le 12 avril suivant avec un plâtre circulaire mis en place jusqu'au niveau du

genou. Le 16 avril, en consultation au CHU elle s'est plainte de fourmillements au niveau du pied avec une légère perte de sensibilité ainsi que d'importantes douleurs, et une cicatrice inflammatoire a été constatée. Le traitement antalgique prescrit à sa sortie a alors été augmenté et elle est rentrée chez elle sans examen complémentaire. Elle a, à nouveau, été admise aux urgences de l'hôpital Les Abymes le 17 avril où, après le constat d'un pied bleu, froid et insensible et le diagnostic d'une ischémie du pied droit, elle a été opérée le jour même. Toutefois, devant le constat d'absence de vascularisation sanguine au niveau de l'avant du pied droit, l'intervention chirurgicale de thrombectomie et thrombolyse a été interrompue dans l'objectif d'une amputation de la jambe, qui a été réalisée le 19 avril sous le genou. Elle a bénéficié de soins complémentaires en métropole, au CHU Nord, puis a été dirigée vers le centre de rééducation fonctionnelle de la Bourbonne où une prothèse a été mise en place et utilisée à compter de septembre 2012 avec une rééducation qu'elle a continuée en Guadeloupe à la clinique Choisy.

2. Sur la base des conclusions du rapport de M.L..., expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, estimant que les conséquences de l'amputation de son membre inférieur droit étaient imputables à des manquements du CHU de Pointe-à Pitre dans le suivi médical et sa prise en charge,

Mme I...a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement et de son assureur, la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), à lui verser les sommes de 246 276,65 euros au titre des préjudices patrimoniaux et 111 234,91 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux. Elle demande la réformation du jugement du 24 novembre 2016 en tant que le tribunal a limité à la somme de 156 851,86 euros le montant de l'indemnité qu'il a condamné le CHU et la SHAM à lui verser en réparation des préjudices subis. Par la voie de l'appel incident le CHU de Pointe-à-Pitre, qui ne conteste pas sa responsabilité, demande à réduire le montant des indemnités allouées à

MmeI..., ainsi que celui des débours de la caisse générale de la sécurité sociale de la Guadeloupe et de la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN).

Sur les préjudices patrimoniaux :

3. Il résulte du rapport d'expertise de M. L...que l'état de santé de Mme I... doit être considéré consolidé au 17 avril 2013.

En ce qui concerne les dépenses de santé :

4. Il résulte de l'instruction et notamment de ce rapport d'expertise que, durant sa rééducation, Mme I...a chuté et s'est fracturée le poignet gauche le 19 novembre 2012. Elle a alors été hospitalisée et a subi, le 21 novembre 2012, un embrochage. Le matériel d'ostéosynthèse a été retiré le 4 janvier 2013, après le port d'une attelle pendant trois semaines. S'il n'est pas contesté que cet accident est survenu au sein du centre de rééducation fonctionnelle où l'appelante avait été admise dans les suites de son amputation, ses causes et ses circonstances ne sont pas précisées de sorte que le lien direct et certain avec les conséquences de cette amputation résultant de la prise en charge fautive au CHU de Pointe-à-Pitre de Mme I...n'est pas établi. Dans ces conditions, les frais d'hospitalisation y afférents du 4 janvier 2013, mentionnés dans le relevé des débours de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe pour un montant de 598,18 euros, ne sauraient être mis à la charge de cet établissement hospitalier. Il y a lieu par suite de ramener à la somme de 132 344, 26 euros le montant des débours que le CHU de Pointe-à-Pitre et la SHAM ont été condamnés à rembourser à la caisse.

5. Il résulte de ce qui précède que les frais dont le remboursement est aussi réclamé par la MGEN correspondant, selon les tableaux récapitulatifs des soins produits en première instance, à des frais d'urgence exposés entre le 19 novembre et le 21 novembre 2012, soit pour la fracture du poignet de MmeI..., ne peuvent être regardés comme imputables aux fautes de l'établissement hospitalier à l'origine de l'amputation de l'appelante. Le CHU de Pointe-à-Pitre et la SHAM sont par suite fondés à demander la déduction de ces frais d'un montant de 1 664,53 euros des débours qu'ils ont été condamnés à verser à la MGEN, ramenant ainsi leur condamnation à la somme de 1 418,26 euros.

6. Si Mme I...soutient avoir pris en charge les honoraires d'un médecin qu'elle aurait consulté à trois reprises à Lille, hors parcours, d'un montant total de 150 euros, non remboursés par l'assurance maladie, elle se borne à invoquer le principe de libre choix du médecin et à produire des factures en date des 24 avril, 2 mai et 16 mai 2013 sur lesquelles le nom de son époux apparaît comme étant le bénéficiaire des soins, et sans apporter quelque précision que ce soit quant au lien entre ces actes et les conséquences de son amputation. En l'absence de justificatifs sur ce point, il y a lieu de confirmer les premiers juges qui ont écarté l'indemnisation de ce chef de préjudice.

7. Enfin, il résulte de l'instruction que Mme I...a conservé à sa charge des frais de prothèse de natation, dont l'expert a estimé qu'elle devait être renouvelée tous les cinq ans. Dans les circonstances de l'espèce, l'acquisition d'une prothèse de bain apparaît nécessaire.

Il sera fait une juste appréciation des dépenses liées à l'acquisition en juin 2013 de ce matériel, dont elle justifie pour un montant TTC de 7 092,97 euros, et à son renouvellement tous les

cinq ans, tenant compte du barème publié à la Gazette du Palais en 2018, élaboré en fonction des dernières tables de mortalité connues établies par l'INSEE au taux d'inflation de 0,50 %, fixant le prix de l'euro de rente viagère à 18,632 pour une femme âgée de 68 ans à la date de ce premier renouvellement, en lui allouant une somme totale arrondie de 33 524 euros.

En ce qui concerne les frais divers :

8. Il n'est pas contesté que Mme I...a droit au remboursement des honoraires du médecin conseil auquel elle a été contrainte de recourir pour se faire assister lors des opérations d'expertise du 18 avril 2013 pour un montant de 800 euros. Il y a lieu par suite de confirmer les premiers juges qui ont mis cette somme à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre.

9. MmeI..., qui réside à la Guadeloupe, demande également le remboursement de divers frais de logement et de déplacements qu'elle a exposés avec son époux pour se rendre en métropole à l'expertise de M. L...ainsi que dans le cadre de la prise en charge des suites de son amputation à l'hôpital de Lille, et entre Marseille et Lille. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme I...s'est rendue une première fois en métropole, le 28 avril 2012, et a bénéficié au CHU Nord à Lille d'un traitement complémentaire pour son artériopathie, sans lien avec la faute, et pour la plaie du Scarpa qui avait été faite lors de l'intervention chirurgicale à Pointe-à-Pitre, ainsi que pour la reprise du moignon. Elle a ensuite été dirigée au centre de rééducation fonctionnelle de la Bourbonne où une prothèse a été mise en place, qu'elle a utilisée à partir du mois de septembre 2012. Elle est sortie le 31 octobre 2012 du centre de rééducation, et est rentrée aux Antilles où elle a poursuivi sa rééducation. Elle est enfin revenue en métropole pour la mise en place d'une prothèse définitive et a résidé près de la clinique de Provence Bourbonne à Aubagne où elle a fait l'objet d'un suivi entre avril et juin 2013. L'ensemble des frais de déplacement et de logement que Mme I...et son époux ont acquitté pour se rendre dans ces différents établissements et y recevoir des soins qui sont en lien direct avec l'amputation subie imputable aux fautes commises par le CHU de Pointe-à-Pitre doivent, dans les circonstances de l'espèce, être mis à la charge de ce dernier, alors même que l'appelante ne justifie pas de l'absence de soins équivalents en Guadeloupe.

10. Ainsi, les séjours au CHPR de Provence entre mai et octobre 2012, et entre avril et

juin 2013 pour la mise en place d'une prothèse provisoire puis définitive sont directement imputables aux conséquences de l'amputation subie par MmeI.... Cette dernière est dès lors fondée à demander une indemnisation au titre des frais divers, dont la réalité est établie, exposés pour la location d'un téléviseur lors de ces séjours pour un montant de 560,50 euros.

11. En revanche, si Mme I...a fourni de nombreuses factures de train et de taxis, de location de voiture ainsi que d'hôtels et de bailleurs, ces pièces ne permettent pas, à elles seules, d'établir le lien de ces dépenses avec la prise en charge résultant des conséquences de son amputation. Estimant les éléments ainsi produits insuffisants pour fixer le montant de son indemnisation au titre des frais divers, la cour a sollicité de l'appelante une présentation chronologique et détaillée de ses différents lieux de résidence, soins afférents et déplacements exposés pour elle et son époux. En se bornant, en réponse à cette mesure d'instruction, à produire son entier dossier médical sur lequel l'expertise judiciaire s'est fondée, sans apporter aucune explication, Mme I...n'a pas justifié du lien entre les frais dont elle demande le remboursement et les conséquences de son amputation et n'a pas mis ainsi le juge à même d'apprécier l'ampleur de son préjudice. Dès lors, en l'absence de ces précisions, le surplus de sa demande tendant au remboursement des frais divers de logement et de déplacements ne peut, en l'état, qu'être rejeté.

En ce qui concerne les frais de logement adapté :

12. Il résulte de l'instruction que Mme I...justifie de difficultés pour franchir les différentes portes composant son domicile en fauteuil roulant, notamment la nuit pour se rendre aux toilettes. Elle fournit à ce titre un devis précis pour des travaux d'aménagement de son logement d'un montant total de 3 898,89 euros consistant notamment à découper les murs et à installer des portes coulissantes permettant de faciliter ses déplacements en fauteuil. Dès lors que ces aménagements sont rendus nécessaires par le handicap qu'elle présente et qui est imputable aux fautes du CHU de Pointe-à-Pitre, ils doivent être pris en charge par ce dernier, alors même que l'expert a estimé que Mme I...pourrait se déplacer et marcher seule avec sa prothèse et avec des cannes anglaises assez facilement pour des trajets courts à son domicile. Il y a lieu par suite de confirmer les premiers juges qui ont condamné le CHU de Pointe-à-Pitre à verser à Mme I...la somme de 3 898,89 euros en réparation des frais d'adaptation de son logement.

En ce qui concerne les frais de véhicule adapté :

13. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme I...ayant été amputée du pied droit, une voiture aménagée ainsi qu'un stage de conduite avec le pied gauche lui sont nécessaires. Il résulte des devis qu'elle produit, qui sont suffisamment précis, qu'une formation pour conduite sur véhicule automatique s'élève à la somme de 809,97 euros TTC et le surcoût d'aménagement pour handicapé d'un véhicule standard à la somme

de 920 euros, à renouveler tous les cinq ans. Compte tenu du coefficient de capitalisation

de 18,632 cité au point 7, il y a lieu de verser à Mme I...un capital représentatif du préjudice subi de 5 158 euros au titre des frais d'adaptation de conduite et de son véhicule.

En ce qui concerne l'assistance par tierce personne :

14. Lorsque, au nombre des conséquences dommageables d'un accident engageant la responsabilité d'une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l'assistance d'une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée. Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail.

15. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de M.L..., que

Mme I...a eu besoin d'une aide à domicile évaluée par l'expert à deux heures par jour, sept jours sur sept avant la consolidation de son état de santé fixée au 17 avril 2013, et jusqu'à deux années après sa consolidation, soit jusqu'au 17 avril 2015, puis à une heure par jour. Il sera fait une juste appréciation du coût d'une telle assistance à son domicile par référence au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales, en le fixant s'agissant d'une aide non spécialisée, à la somme de 13 euros par tranche horaire sur l'ensemble de la période. Compte des congés payés et des jours fériés prévus par le code du travail, le montant calculé sur la base d'une année de 412 jours, des frais afférents à cette prestation à raison de deux heures par jour, du 31 octobre 2012 date de sa sortie d'hospitalisation, au 17 avril 2015, deux ans après la consolidation de son état,

soit 898 jours plus tard, puis à une heure par jour jusqu'au présent arrêt, s'élève à une somme de 46 208 euros.

16. Pour le préjudice futur de MmeI..., il résulte du rapport d'expertise que l'état de santé de cette dernière nécessite l'assistance d'une tierce personne non médicalisée pour une durée évaluée à une heure par jour depuis le 17 avril 2015. Bien que l'expert ait indiqué que le besoin devait être réévalué à cinq ans, il ne fait état d'aucune circonstance qui justifierait une modification de ce besoin post-consolidation. En l'absence d'obstacle à une indemnisation à titre viager, il sera ainsi fait une juste appréciation des frais exposés au titre de l'assistance par une tierce personne en allouant à Mme I...un capital représentatif d'un montant

de 99 793 euros calculé sur la base du tarif cité au point précédent et de 412 jours par an pour tenir compte des congés payés, et tenant compte d'un prix de l'euro de rente viagère

de 18,632 euros fixé par le barème publié à la " Gazette du Palais " en 2018, pour une femme de 68 ans à la date du présent arrêt.

Sur les préjudices extrapatrimoniaux :

En ce qui concerne les préjudices temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

17. Il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise précité

que Mme I...a subi en lien avec les manquements indiscutables dans la prise en charge et le suivi médical du CHU de Pointe-à-Pitre un déficit fonctionnel temporaire total

du 16 avril au 30 octobre 2012 et un déficit fonctionnel temporaire partiel évalué par l'expert à 30 % jusqu'à la consolidation fixée au 17 avril 2013. Il résulte par ailleurs de ce qui a été dit au point 4, que la fracture du poignet dont elle a été victime pendant sa rééducation, qui a entraîné une hospitalisation de deux jours supplémentaires, à l'origine d'un déficit fonctionnel total ainsi qu'un déficit temporaire partiel de 50 % du 22 novembre au 22 décembre 2012 n'est pas en lien avec les conséquences de son amputation et ne peut dès lors être mise à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre. Ainsi, le préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire subi, calculé sur la base d'une indemnisation de 500 euros par mois, doit être évalué à la somme de 3 900 euros.

Quant aux souffrances endurées :

18. Il résulte de l'instruction que le pretium doloris a été évalué à 4,5 sur 7 par l'expert. Il sera fait une juste évaluation des souffrances physiques et psychiques éprouvées par

Mme I...durant la période antérieure à la consolidation de son état de santé, en les indemnisant à hauteur de 10 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices définitifs :

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

19. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme I...demeure atteinte d'une incapacité permanente partielle de 30 %. Compte tenu de ce pourcentage et de son âge à la date de la consolidation de son état, il sera fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel permanent, lequel tient compte des douleurs séquellaires, en allouant à l'appelante la somme de 45 000 euros.

S'agissant du préjudice esthétique :

20. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 18 avril 2013 que le préjudice esthétique de Mme I...résultant de l'altération de son apparence physique a été évalué à 3,5 sur une échelle allant de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

21. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que Mme I...pratiquait régulièrement avant son amputation la natation et la course à pied. Le préjudice d'agrément reconnu par l'expert qu'elle a ainsi subi sera évalué à la somme de 4 500 euros.

S'agissant du préjudice sexuel :

22. Si l'expert n'a pas retenu de préjudice sexuel dans ses conclusions, il n'est pas contesté que MmeI..., du fait de la prothèse qu'elle porte au niveau de son membre inférieur, connaît une baisse de libido et des difficultés positionnelles. Il sera fait une juste appréciation de son préjudice sexuel en lui allouant une somme de 2 000 euros.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que le CHU de Pointe-à-Pitre a été condamné à verser à Mme I...doit être portée à la somme de 260 342,39 euros.

Sur les droits de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et de la MGEN :

24. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que la somme de 132 942,44 euros que le CHU de Pointe-à-Pitre a été condamné à rembourser à la caisse de sécurité sociale de la Guadeloupe doit être ramenée à 132 344,26 euros et celle de 3 082,79 euros qu'il a été condamné à rembourser à la MGEN à la somme de 1 418,26 euros.

Sur les dépens:

25. Il y a lieu de maintenir les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal, taxés et liquidés à la somme de 700 euros TTC par une ordonnance du président du tribunal administratif de la Guadeloupe, à la charge définitive du CHU de Pointe-à-Pitre et de son assureur.

26. Mme I...a également droit au remboursement des billets d'avion

entre Pointe-à-Pitre et Montpellier d'un montant de 3 583,68 euros dont elle justifie s'être acquittée pour se rendre, le 13 avril 2013, à l'expertise en métropole.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

27. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme I...et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de rejeter la demande présentée au même titre par la MGEN.

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité de 156 851,86 euros que le CHU de Pointe-à-Pitre a été condamné

à verser à Mme I...est portée à la somme de 260 342,39 euros.

Article 2 : La somme de 132 999,47 euros que le CHU de Pointe-à-Pitre a été condamné à rembourser à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe est ramenée

à 132 344,26 euros et la somme de 3 082,79 euros qu'il a été condamné à rembourser à la MGEN à la somme de 1 418,26 euros.

Article 3 : Outre les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 700 euros, le CHU de Pointe-à-Pitre est condamné à verser à Mme I...la somme de 3 583,68 euros au titre des dépens.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le CHU de Pointe-à-Pitre versera à Mme I... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus de la requête de MmeI..., de l'appel incident du CHU de

Pointe-à-Pitre et les conclusions de la MGEN sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...I..., à la Mutuelle générale de l'éducation nationale - section de la Guadeloupe, au centre hospitalier universitaire Pointe-à-Pitre / Les Abymes, à la société hospitalière des assurances mutuelles, à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 31 décembre 2018.

Le rapporteur,

Aurélie E...

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 16BX04167


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX04167
Date de la décision : 31/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: Mme Aurélie CHAUVIN
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CABINET REMY LE BONNOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-31;16bx04167 ?
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