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20/02/2019 | FRANCE | N°18BX02732

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre bis - (formation à 3), 20 février 2019, 18BX02732


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 6 juin 2018 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a décidé son transfert aux autorités espagnoles, en vue de l'examen de sa demande d'asile, et la décision du même jour par laquelle il l'a assigné à résidence pour une période de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 1801347 du 19 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant

la cour :

Par une requête, des pièces et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 et 18 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 6 juin 2018 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a décidé son transfert aux autorités espagnoles, en vue de l'examen de sa demande d'asile, et la décision du même jour par laquelle il l'a assigné à résidence pour une période de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 1801347 du 19 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, des pièces et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 et 18 juillet et le 7 août 2018, M.A..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 19 juin 2018 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 6 juin 2018 du préfet des Pyrénées-Atlantiques ;

3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques d'examiner sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) d'organiser son retour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, afin que sa demande d'asile soit traitée en France ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert a été prise en méconnaissance de l'article 29 du règlement n° 603/2013 UE du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 dès lors que si le guide du demandeur d'asile édité en langue anglaise lui a été remis, son entretien individuel s'est déroulé par le truchement d'un interprète en langue anglaise qui n'était pas présent, et les informations mentionnées sur le document que l'agent de la préfecture de Gironde lui a fait signer ne lui ont pas été traduites ; contrairement à ce qui y est mentionné, il n'a jamais indiqué qu'il avait compris qu'il pouvait être assigné à résidence, placé en rétention et même transféré en Espagne suite à une présentation au guichet de la préfecture ;

- compte tenu de l'incapacité des autorités espagnoles à garantir le respect de la procédure d'asile, lesquelles ont été sanctionnées par la Cour européenne des droits de l'homme dans un arrêt du 22 avril 2014 et par le tribunal suprême espagnol, le préfet aurait dû faire application des dérogations prévues aux articles 3-2 et 17 du règlement communautaire n° 604/2013 du 26 juin 2013 aux fins que sa demande d'asile soit examinée par la France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2018, le préfet des Pyrénées-Atlantiques conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 août 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 octobre 2018 à 12 heures.

Par décision n°2018/015733 du 11 octobre 2018, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis M. A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné M. E...pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C...a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.A..., ressortissant sierra-léonais, né le 25 janvier 1999, est, selon ses déclarations, entré en France le 10 mars 2018 via l'Espagne et a déposé une demande d'asile auprès du préfet des Pyrénées-Atlantiques le 10 avril suivant. Après avoir constaté par la consultation du fichier Eurodac que les empreintes de M. A...avaient déjà été relevées par les autorités espagnoles, et obtenu, en réponse à sa demande de prise en charge formulée en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil susvisé, l'accord de l'Espagne en date du 11 mai 2018, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a décidé, par deux arrêtés du 6 juin 2018, d'une part, de remettre M. A...aux autorités espagnoles, et d'autre part, de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A...relève appel du jugement du 19 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. ".

3. L'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/213 prévoient que la personne dont les empreintes digitales sont relevées doit être immédiatement informée, par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend, de l'identité du responsable du traitement informatique, de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par le fichier Eurodac, y compris d'une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013 précité. A la différence de l'obligation d'information instituée par ce dernier règlement, lequel prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise, d'ailleurs non contestée par M .A..., doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Par suite, M. A...ne peut utilement invoquer la méconnaissance de cette obligation d'information ou des modalités de celle-ci à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.

4. En second lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

5. L'Espagne étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités espagnoles répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

6. Si M. A...soutient qu'il existe une incapacité des institutions espagnoles à traiter les demandeurs d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le droit d'asile, il n'établit pas que la situation générale dans ce pays, vers lequel la Commission européenne n'a pas suspendu les transferts des demandeurs d'une protection internationale dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne permettrait pas d'assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile. Il n'a par ailleurs produit aucun élément de preuve au soutien de ses allégations, susceptible d'établir l'existence d'un risque sérieux que sa demande ne soit pas traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ni que ce pays l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. A cet égard, et comme l'a indiqué à juste titre le premier juge, M. A...ne peut utilement invoquer à l'appui de ce moyen un arrêt rendu le 22 avril 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme dès lors que les actes contestés devant cette instance concernaient des mesures d'éloignement vers le Maroc prises par les autorités espagnoles entre janvier 2011 et septembre 2012, pour lesquelles la méconnaissance des articles 2, 3 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été retenu, " eu égard aux circonstances particulières de l'affaire " au motif non de l'absence de caractère suspensif du recours comme le soutient l'appelant, mais au regard du " caractère accéléré de la procédure (...)". Enfin, si M. A...se prévaut nouvellement en appel d'une décision du 9 juillet 2018 par laquelle la Cour suprême espagnole (Tribunal Supremo) aurait " condamné " le gouvernement espagnol pour n'avoir pas respecté ses engagements européens en matière de quotas de relocalisations des demandeurs d'asile en provenance d'Italie et de Grèce, et lui a d'ailleurs ordonné d'accueillir 17 000 migrants de plus pour remplir son quota européen, cette décision ne saurait en elle-même et pas davantage révéler l'existence de défaillances systémiques, au sens du règlement n° 604/2013 précité, dans la procédure d'asile ou l'accueil des demandeurs d'asile en Espagne. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige aurait été prise en méconnaissance des dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...A...et au ministre de l'Intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

Marianne Pouget, président,

FlorenceC..., premier conseiller.

Paul-André Braud, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 février 2019.

Le premier conseiller,

Florence C...Le président-rapporteur,

Marianne Pouget

Le greffier,

Florence Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX02732


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre bis - (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 18BX02732
Date de la décision : 20/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

.

Étrangers - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme POUGET M.
Rapporteur ?: Mme Florence MADELAIGUE
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : LARREA ALAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-20;18bx02732 ?
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