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21/02/2019 | FRANCE | N°17BX00607

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 21 février 2019, 17BX00607


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 2 décembre 2015 par laquelle le directeur des finances publiques de la Guyane a refusé de valider huit documents d'arpentage et d'enjoindre au dit directeur de lui délivrer ces documents validés, sous astreinte.

Par un jugement n° 1600056 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 février 2017, M.A..., représen

té par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 décembre 2016 ;

2°) d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. E...A...a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 2 décembre 2015 par laquelle le directeur des finances publiques de la Guyane a refusé de valider huit documents d'arpentage et d'enjoindre au dit directeur de lui délivrer ces documents validés, sous astreinte.

Par un jugement n° 1600056 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 février 2017, M.A..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 décembre 2016 ;

2°) d'annuler la décision du directeur des finances publiques de la Guyane du 2 décembre 2015 ;

3°) d'enjoindre au directeur des finances publiques de la Guyane de lui délivrer les huit documents d'arpentage sollicités dans un délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que le monopole des géomètres experts est inopposable aux travaux incombant aux services publics pour leurs besoins ;

- les articles 25 et 30 du décret n° 55-471 du 30 avril 1955 ne sont pas applicables en Guyane, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;

- les documents sollicités n'avaient pas pour but ou pour fonction, à la date de leur rédaction, de définir la limite entre deux fonds appartenant à des propriétaires différents ; ils entraient donc dans le champ de son agrément et ne nécessitaient pas l'intervention d'un géomètre-expert ;

- la décision contestée retire une autorisation administrative créatrice de droits et ne pouvait donc intervenir sans qu'il soit mis en mesure de présenter des observations, en application de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

- l'arrêté du 30 juillet 2010 pris en application de l'article 6 du décret du 30 avril 1955 n'est pas applicable en Guyane ; le § 120 de l'instruction CAD-MAJ-10-10 ne l'est pas davantage ; les règles applicables sont exclusivement celles du décret n° 75-605 du 21 avril 1975 ; il en ressort que les personnes agréées par le préfet disposent de fonctions et pouvoirs identiques aux agents du cadastre ;

- en l'espèce, les documents ne confiaient que le réagencement de la propriété publique ; ils ne sont pas annexés à l'acte administratif de cession ; ils ne se réfèrent à aucun document d'arpentage qui pourrait être assimilé à une définition de limites entre les parties ; en conséquence, ils n'entrent pas, en tout état de cause, dans la catégorie des documents d'arpentage portant changement de limites de propriété et accompagnant ou destinés à accompagner un acte notarié ou administratif ;

- la décision viole également la loi du 7 mai 1946, d'une part en étendant le domaine du monopole qu'elle institue, d'autre part en méconnaissant les exceptions légales à ce monopole.

Par un mémoire enregistré le 19 mai 2017, le ministre de l'action et des comptes publics (direction générale des finances publiques), conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le moyen sur lequel le tribunal s'est abstenu de statuer est inopérant, et il n'en résulte donc aucune irrégularité du jugement ;

- si le décret de 1955 et l'arrêté de 2010 ne sont pas applicables, il en va différemment de la loi de 1946, qui fonde également la décision du tribunal ;

- les documents d'arpentage ont été réalisés pour diviser des parcelles en vue de rédiger des actes fonciers translatifs ou déclaratifs de propriété ; ils ont dès lors pour objet de fixer les limites de biens fonciers et ont vocation à être annexés aux actes reçus par le préfet ; ils relèvent par suite du monopole des géomètres-experts ; la jurisprudence de la Cour de cassation va dans ce sens.

Par une ordonnance du 5 septembre 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 octobre 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 98-774 du 2 septembre 1998 ;

- la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 75-605 du 21 avril 1975 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,

- et les conclusions de MeB..., représentant M.A....

Considérant ce qui suit :

1. Le directeur des finances publiques de la Guyane, par une décision du 2 décembre 2015, a rejeté huit documents d'arpentage déposés pour validation par M.A..., géomètre agréé, au motif que ce dernier n'était pas habilité à exécuter les travaux d'arpentage considérés dès lors qu'ils relèvent du monopole de l'ordre des géomètres-experts. M. A...relève appel du jugement du 15 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit enjoint au directeur des finances publiques de la Guyane de valider les documents d'arpentage qui lui ont été présentés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte de l'instruction que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen soulevé devant lui par M. A...et tiré de la méconnaissance par le directeur des finances publiques de la Guyane du 2ème alinéa de l'article 2 de la loi n° 46-943 du 7 mai 1946, en vertu duquel le monopole des géomètre-expert n'est pas opposable aux travaux réalisés dans le cadre d'une mission de service public, lequel n'était pas inopérant.

3. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 15 décembre 2016 et de statuer par la voie de l'évocation sur la demande de M.A....

Sur la légalité de la décision du 2 décembre 2015 :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 susvisé : " Le préfet de département peut donner délégation de signature : 1° En toutes matières et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs des services des administrations civiles de l'État dans le département, au secrétaire général et aux chargés de mission ; 2° Pour les matières relevant de leurs attributions, aux chefs des services des administrations civiles de l'État dans le département ou à leurs subordonnés ". Aux termes de l'article 44 du même décret : " I. Les chefs des services déconcentrés des administrations civiles de l'Etat dans le département (...) peuvent donner délégation pour signer les actes relatifs aux affaires pour lesquelles ils ont eux-mêmes reçu délégation aux agents placés sous leur autorité. (...) ".

5. Il résulte des pièces du dossier que, par un arrêté du 1er juillet 2013 pris en application des dispositions précitées de l'article 43 du décret du 29 avril 2004, le préfet de la Guyane a donné compétence à M.C..., directeur des finances publiques de la Guyane, a l'effet, notamment, de signer tous actes de gestion des biens domaniaux. Ce dernier a subdélégué sa signature à M.D..., responsable du service de France Domaine, par un arrêté du 31 mars 2015 pris en application de l'article 44 du même décret. Par suite, le moyen tiré par M. A... de ce que l'arrêté contesté aurait été pris par une autorité incompétente manque en fait.

6. En deuxième lieu, la décision attaquée, qui se borne à refuser la validation de documents d'arpentage, n'a pas pour objet de restreindre la portée de l'agrément préfectoral pour l'exercice de la profession de géomètre délivré à M.A.... Ce dernier n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que ni le directeur des finances publiques de la Guyane ni le signataire de la décision contestée n'avaient compétence pour prendre une décision portant atteinte au champ de son agrément.

7. En troisième lieu, les documents d'arpentage dont la décision du 2 décembre 2015 refuse la validation ne concernent pas M. A...lui-même et ne lui refusent pas un avantage dont l'attribution constitue un droit. Par conséquent, cette décision n'entre pas dans le champ d'application de l'article 24 de la loi susvisée du 12 avril 2000 et c'est sans entacher sa décision d'un vice de procédure que le directeur des finances publiques de la Guyane s'est abstenu, avant son édiction, de mettre le géomètre à même de présenter des observations écrites ou orales.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 7 mai 1946 : " Le géomètre-expert est un technicien exerçant une profession libérale qui, en son propre nom et sous sa responsabilité personnelle : 1° Réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d'échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière ; 2° Réalise les études, les documents topographiques, techniques et d'information géographique dans le cadre des missions publiques ou privées d'aménagement du territoire, procède à toutes opérations techniques ou études sur l'évaluation, la gestion ou l'aménagement des biens fonciers ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " Peuvent seuls effectuer les travaux prévus au 1° de l'article 1er les géomètres-experts inscrits à l'ordre conformément aux articles 3 et 26. / Toutefois, ces dispositions ne sont pas opposables aux services publics pour l'exécution des travaux qui leur incombent ". Et selon l'article 2-1 de la loi : " Par dérogation au premier alinéa de l'article 2, les professionnels ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen peuvent, sans être inscrits à l'ordre, effectuer de façon temporaire et occasionnelle sur le territoire national les travaux prévus au 1° de l'article 1er, sous réserve : 1° D'être légalement établis dans un de ces Etats pour y exercer la profession de géomètre expert ; 2° Lorsque ni la profession de géomètre expert ni la formation y conduisant ne sont réglementées dans l'Etat d'établissement, d'avoir exercé cette profession dans un ou plusieurs Etats pendant au moins un an, à temps plein ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente, au cours des dix années qui précèdent la prestation ; 3° D'être assurés conformément à l'article 9-1 et d'en faire la déclaration dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat ; 4° De satisfaire à des obligations déclaratives, avant la réalisation de la première prestation en France, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. La prestation est effectuée sous le titre professionnel porté dans l'Etat d'établissement ou sous le titre de formation du prestataire. Le professionnel est tenu au respect de règles de conduite déterminées par décret en Conseil d'Etat, et notamment au secret professionnel et à l'obligation d'assurance, dans les conditions de l'article 6. Il est soumis, pour l'application de ces règles, au contrôle disciplinaire du conseil régional de l'ordre dans la circonscription duquel la prestation est réalisée ". Enfin, selon l'article 30 de cette loi dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 98-774 du 2 septembre 1998 : " I. La présente loi s'applique dans les départements d'outre-mer ".

9. Il résulte de ces dispositions, auxquelles se conforme en tous points le paragraphe 120 de l'instruction fiscale BOI-CAD-MAJ-10-10-20150902 publiée le 2 septembre 2015, que le monopole institué par le législateur au profit des géomètres-experts concerne exclusivement les travaux ayant directement pour objet la délimitation des biens fonciers. Ainsi, les documents d'arpentage cadastral ne relèvent de ce monopole que s'ils ont pour objet ou pour effet de fixer les limites des biens fonciers et les droits qui y sont attachés, notamment lorsqu'ils participent à la rédaction d'actes translatifs ou déclaratifs de propriété.

10. Il ressort des pièces du dossier que les huit documents d'arpentage déposés pour validation par M. A...auprès du directeur des finances publiques de la Guyane ont été réalisés dans le cadre du réaménagement, par division, de parcelles appartenant à l'Etat. Ce réaménagement relevant de la gestion foncière du domaine privé de l'Etat et non des missions dévolues aux services du cadastre, le moyen tiré de ce que ces documents auraient été établis dans le cadre de l'exécution d'une mission de service public et entreraient ainsi dans le champ du 2ème alinéa de l'article 2 précité de la loi du 7 mai 1946 doit être écarté.

11. Il ressort également des pièces du dossier, notamment de ce que le requérant a lui-même a indiqué devant les premiers juges, que les documents litigieux devaient permettre la réalisation de ventes domaniales à des particuliers. Ayant pour objet de modifier le parcellaire et de fixer les limites de biens fonciers dans la perspective de cessions ultérieures, ces documents d'arpentage constituent, quand bien même ils ne délimitent pas des fonds voisins appartenant à différents propriétaires et ne seraient pas immédiatement annexés à un acte translatif ou déclaratif de propriété, des documents dont l'établissement est réservé, par les dispositions précitées du 1er alinéa de l'article 2 de la loi, aux techniciens inscrits à l'ordre des géomètres-experts dans les conditions fixées à ses articles 3 et suivants. Par suite, et dès lors qu'il est constant que M.A..., dont les autres moyens sont inopérants, n'est pas inscrit à l'ordre des géomètres-experts, le directeur des finances publiques de la Guyane a pu légalement, par la décision contestée, refuser de valider les documents d'arpentage établis par ses soins.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Dès lors que le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M.A..., ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être également rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les conclusions de M. A...tendant à ce que soient mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés, doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1600056 du tribunal administratif de la Guyane en date du 15 décembre 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif par M.A..., ainsi que ses conclusions devant la cour à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. E...A...et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au ministre des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique le 21 février 2019.

Le rapporteur,

Laurent POUGET Le président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 17BX00607


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00607
Date de la décision : 21/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-02-03 Domaine. Domaine privé. Contentieux.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : BENESTY

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-21;17bx00607 ?
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