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03/12/2019 | FRANCE | N°17BX04087

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 décembre 2019, 17BX04087


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier de Pau à lui verser une indemnité de 203 542,40 euros, ainsi qu'une rente viagère capitalisée à la somme de 2 274 295,22 euros, en réparation des préjudices qu'il attribue à sa prise en charge

par le service des urgences de cet établissement le 27 février 2013.

Par un jugement n° 1600173 du 26 octobre 2017, le tribunal administratif de Pau

a condamné le centre hospitalier de Pau à lui verser u

ne indemnité de 1 000 euros et rejeté

le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :
...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier de Pau à lui verser une indemnité de 203 542,40 euros, ainsi qu'une rente viagère capitalisée à la somme de 2 274 295,22 euros, en réparation des préjudices qu'il attribue à sa prise en charge

par le service des urgences de cet établissement le 27 février 2013.

Par un jugement n° 1600173 du 26 octobre 2017, le tribunal administratif de Pau

a condamné le centre hospitalier de Pau à lui verser une indemnité de 1 000 euros et rejeté

le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 décembre 2017, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Pau à lui verser une indemnité

de 203 542,40 euros, ainsi qu'une rente viagère capitalisée à la somme de 2 274 295,22 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Pau une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'expert retient un diagnostic fautif du neurologue et une faute dans l'organisation du service dès lors que l'urgence et les symptômes du patient auraient dû conduire à procéder avec le plus grand soin à l'élaboration du diagnostic et à l'orienter vers une IRM ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que le retard de diagnostic de l'accident vasculaire cérébral ne lui a pas fait perdre de chance d'éviter tout ou partie des séquelles dont il reste atteint, dès lors que la démence fronto-temporale dégénérative a été provoquée par le second accident vasculaire cérébral du 2 mars 2013, alors que celui-ci aurait pu être évité si le premier avait été diagnostiqué le 27 février 2013 ;

- compte tenu du comportement du médecin à son égard, qui a méprisé ses difficultés d'élocution en le qualifiant de patient peu coopératif, l'indemnisation du préjudice psychologique en lien avec l'erreur de diagnostic doit être portée à 10 000 euros ;

- dès lors que les séquelles dont il est atteint sont en lien avec l'erreur de diagnostic commise le 27 février 2013, il est fondé à solliciter 1 238,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 5 000 euros au titre des souffrances endurées du fait d'un syndrome anxio-dépressif, 30 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément, 5 000 euros au titre du préjudice sexuel, 35 072 euros au titre des pertes de revenus professionnels, 14 040 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne

jusqu'au 11 juillet 2013, puis au-delà de cette date une rente viagère capitalisée

de 2 274 295,22 euros, et 300 euros au titre des frais divers.

La CPAM de Pau-Pyrénées a déclaré les 5 février et 5 décembre 2018 ne pas vouloir intervenir dans cette instance.

Le BAJ a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. A... par décision

du 22 février 2018.

Par un mémoire en appel incident enregistré le 24 septembre 2018, le centre hospitalier de Pau, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'annuler le jugement en tant qu'il le condamne au versement d'une indemnité de 1 000 euros.

Il fait valoir que :

- si l'expert a relevé une analyse imparfaite de la situation clinique avec une prise en compte insuffisante du risque vasculaire et des signes neurologiques, il n'a pas expressément retenu l'existence d'une faute ; ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamné au versement d'une indemnité de 1 000 euros ;

- dès lors que l'erreur de diagnostic est sans lien avec la survenue du second accident vasculaire cérébral et avec l'évolution de la pathologie dégénérative à l'origine des troubles présentés par M. A..., elle ne lui a fait perdre aucune chance d'échapper à l'aggravation de son état.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., alors âgé de 50 ans, a présenté le 27 février 2013 vers 19 h 30 un malaise et des céphalées très intenses avec une photophobie. Il a été transporté au service des urgences du centre hospitalier de Pau où il a été examiné par un neurologue pour une suspicion d'accident vasculaire cérébral. Après réalisation d'un scanner cérébral qui n'a pas révélé de signe précoce d'ischémie cérébrale, ce diagnostic a été exclu au bénéfice de celui de " malaise vagal sur céphalées à explorer ", et le patient a été renvoyé à son domicile vers 23 h. Le lendemain matin, son médecin traitant, évoquant un accident vasculaire cérébral, lui a prescrit de l'aspirine pour la prévention d'une récidive. Le 2 mars 2013, M. A..., dont l'état s'était brusquement aggravé, a été admis dans le service de neurologie du centre hospitalier de Pau, où une imagerie par résonance magnétique a mis en évidence des lésions ischémiques du tronc cérébral correspondant à deux accidents vasculaires cérébraux survenus les 27 février et 2 mars.

Lors d'un séjour en centre de rééducation fonctionnelle à partir du 21 mars, la régression de l'hémiparésie droite et de l'aphasie consécutives à ces accidents s'est accompagnée de l'aggravation de troubles cognitifs, discernables dès le 27 février, à type de syndrome frontal avec une atteinte mnésique, des comportements de persévération, une rigidité mentale et une perturbation du comportement et de la personnalité. En septembre 2014, l'expert missionné par le juge des référés du tribunal administratif de Pau a conclu que M. A... présentait un tableau de démence fronto-temporale sévère en lien avec des lésions corticales diffuses, sans rapport avec les deux infarctus du tronc cérébral des 27 février et 2 mars 2013. M. A... relève appel du jugement du 26 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Pau, rejetant ses conclusions à fin de réparation des préjudices en lien avec la pathologie fronto-temporale dégénérative, a seulement condamné le centre hospitalier de Pau à lui verser une indemnité de 1 000 euros en réparation du préjudice psychologique résultant de l'absence de diagnostic de l'accident vasculaire cérébral du 27 février 2013. Par son appel incident, le centre hospitalier conteste la faute ainsi retenue.

2. Aux termes de l'article L.1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). " Aux termes de l'article R. 4127-33 du même

code : " Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés. ".

3. Il résulte de l'instruction qu'à son arrivée au service des urgences du centre hospitalier de Pau le 27 février 2013 pour suspicion d'accident vasculaire cérébral indiquée par les services du 15 aux filles de l'intéressé lors de leur appel en urgence, M. A... présentait, après un malaise, des céphalées, des troubles de la vigilance et de la parole, un déficit moteur minime et une hypertension artérielle, dans un contexte de tabagisme. L'expert relève que ces arguments cliniques étaient suffisants, alors même qu'aucune possibilité d'imagerie par résonnance magnétique n'était alors disponible à l'hôpital de Pau, pour évoquer un accident vasculaire cérébral, et qu'un malaise vagal ne présente pas habituellement de signes neurologiques en foyer, ce qui n'est pas contesté. Alors même que l'expert n'a pas retenu expressément l'existence d'une faute et reconnu qu'il n'y avait pas de préconisation pour réaliser une thrombolyse, il a relevé une " analyse imparfaite de la situation clinique, avec une prise en compte insuffisante des facteurs de risque vasculaire et des signes neurologiques ". Dans ces conditions, le diagnostic de malaise vagal avec préconisation de retour au domicile présente bien un caractère fautif, comme l'ont reconnu les premiers juges, et engage la responsabilité du centre hospitalier de Pau.

4. Dès lors que le médecin traitant de M. A... lui a prescrit de l'aspirine dès

le 28 février 2013 au matin, l'accident vasculaire cérébral survenu le 2 mars suivant ne peut être imputé à la faute mentionnée au point précédent, dont le seul effet a été de retarder

d'une demi-journée un traitement qui n'a pas empêché la récidive. La faute n'a pas davantage eu d'incidence sur la récupération des fonctions altérées par les seuls accidents vasculaires cérébraux, qui a été rapide. Le fait d'avoir été renvoyé à son domicile avec un diagnostic erroné, alors que sa pathologie nécessitait une prise en charge rapide, a néanmoins causé à M. A... un préjudice moral dont le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation en fixant son indemnisation à la somme de 1 000 euros.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise déposée en septembre 2014, que la démence fronto-temporale, dont le début est insidieux et l'évolution progressive, se caractérise par des troubles de la mémoire, des conduites sociales et interpersonnelles inappropriées et de l'autorégulation des conduites, un émoussement affectif, une anosognosie et un faible niveau d'élaboration. Ce tableau correspond à celui présenté par M. A.... Le diagnostic

de " syndrome frontal ", évoqué dès le 21 mars 2013 au centre de rééducation fonctionnelle de Salies de Béarn, a ultérieurement été confirmé par des neurologues du centre hospitalier

de Pau et du centre hospitalier de Dax. Les troubles caractéristiques de ce syndrome, distincts de ceux imputables aux séquelles d'un accident vasculaire cérébral, ont une origine neurologique, confirmée en l'espèce par l'atteinte corticale diffuse à prédominance frontale révélée par un électroencéphalogramme et une scintigraphie de perfusion cérébrale. Aucun élément n'est produit pour contester les appréciations concordantes des neurologues et de l'expert selon lesquelles l'apparition et l'aggravation de la démence fronto-temporale, qui est à l'origine des préjudices dont M. A... demande réparation, notamment de la dépendance complète de l'intéressé vis-à-vis de sa famille et de l'impossibilité de retrouver un emploi après son licenciement intervenu pour inaptitude physique (lombalgies) deux jours avant le premier accident vasculaire, est sans lien avec les accidents vasculaires cérébraux, et, par voie de conséquence avec l'erreur de diagnostic commise le 27 février 2013 au centre hospitalier de Pau. Par suite, les conséquences des troubles imputables à la pathologie fronto-temporale dégénérative n'engagent pas la responsabilité de cet établissement.

6. Il résulte de ce qui précède que M. A... et le centre hospitalier de Pau ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement attaqué. Par suite, les conclusions présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... et l'appel incident du centre hospitalier de Pau sont rejetés.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., au centre hospitalier de Pau, et à la CPAM de Pau-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme B... C..., présidente-assesseure,

M. Thierry Sorin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.

La rapporteure,

Anne C...

Le président,

Catherine GiraultLa greffière,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 17BX04087


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17BX04087
Date de la décision : 03/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. Diagnostic.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : ARCAUTE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-12-03;17bx04087 ?
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