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10/02/2020 | FRANCE | N°19BX01709

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 10 février 2020, 19BX01709


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés en date du 6 mars 2019 par lesquels le préfet de Lot-et-Garonne a décidé de son transfert vers l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 1901322 du 25 mars 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.>
Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2019, Mme C... F...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés en date du 6 mars 2019 par lesquels le préfet de Lot-et-Garonne a décidé de son transfert vers l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable trois fois.

Par un jugement n° 1901322 du 25 mars 2019 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2019, Mme C... F..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement en date du 25 mars 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;

3°) d'annuler les arrêtés du préfet de Lot-et-Garonne en date du 6 mars 2019 ;

4°) d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêté à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jours de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de transfert a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la lettre d'information lui la procédure susceptible d'être mise en oeuvre ne lui a pas été notifiée dans une langue qu'elle comprend ;

- la décision de transfert a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en l'absence d'entretien individualisé ;

- cette décision est insuffisamment motivée en droit dès lors qu'il ne précise pas sur quel point de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 il se fonde ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet n'établit pas avoir saisi les autorités italiennes d'une demande reprise en charge dans un délai de deux mois ;

- cette décision est entachée d'erreur de droit relative à l'incertitude de la nature juridique de son renvoi qui ne précise pas s'il s'agit d'une prise en charge ou d'une reprise en charge ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle réside en France avec son fils où celui-ci poursuit sa scolarité.

Par un mémoire en défense, enregistré les 18 juin 2019 et des pièces enregistrées le 16 septembre 2019, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête de Mme F....

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 22 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 16 octobre 2019 à midi.

Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., ressortissante azerbaïdjanaise, née le 12 avril 1985 à Aghdash, entrée en France, selon ses déclarations, le 7 novembre 2018, relève appel du jugement en date du 25 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés en date du 6 mars 2019 par lesquels le préfet de Lot-et-Garonne a décidé de son transfert vers l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelable trois fois.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Mme F... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 18 juillet 2019. Dès lors, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet.

Sur la légalité des arrêtés du 6 mars 2019 :

3. En premier lieu, l'arrêté contesté portant transfert aux autorités italiennes vise les articles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il fait application. Cet arrêté mentionne les éléments de fait propres à la situation personnelle de Mme F... sur lesquels il se fonde. Par suite le préfet a suffisamment motivé sa décision en droit comme en fait.

4. En deuxième lieu, Mme F..., dont il ressort, au demeurant, des pièces du dossier qu'elle s'est vu remettre l'ensemble des informations mentionnées au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'elle comprend et qu'elle s'est vu notifier les arrêtés contestés avec mention des voies et délais de recours par le biais d'un interprète, n'invoque aucune disposition au soutient du moyen tiré de ce que la lettre d'information en date du 20 février 2019 ne lui a pas été notifiée dans une langue qu'elle comprend. Par ailleurs, aucune disposition ne fait obligation au préfet de faire parvenir une telle lettre au demandeur, alors que Mme F... avait été informée lors de son entretien du 13 novembre 2018 de ce que les autorités italiennes allaient être saisies d'une demande de reprise en charge, et qu'elle pouvait présenter toutes les observations qu'elle estimerait utile. Par suite, un tel moyen ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, et contrairement à ce que soutient Mme F..., il ressort des pièces du dossier qu'elle a effectivement bénéficié d'un entretien individuel en préfecture mené par un agent qualifié, assisté par interprète en azéri identifié, le 13 novembre 2018.

6. En quatrième lieu, Mme F... à l'appui de son moyen tiré de d'erreur de droit relative " à l'incertitude de la nature juridique de son renvoi qui ne précise pas s'il s'agit d'une prise en charge ou d'une reprise en charge " évoque dans sa requête que le préfet aurait indiqué dans le corps de son arrêté " que les autorités allemandes ont été saisie le 3 décembre 2018 d'une demande de reprise en charge " et soutient que " la décision des autorités espagnoles serait intervenue 15 jours après le 28 décembre, date de la saisine de ces autorités ", de tels éléments ne correspondent pas à la décision contestée du 6 mars 2019 portant transfert auprès des autorités italiennes, sollicitées comme l'indique le préfet dans le corps de sa décision le 16 novembre 2018. Dans ces conditions ce moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit ainsi être écarté.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Mme F... est entrée en France selon ses propres déclarations, le 7novembre 2018, soit moins de cinq mois avant l'intervention de l'arrêté contesté. Elle justifie ainsi d'une durée de séjour très brève en France où elle n'a développé aucun lien de nature privée ou familiale particulier. En outre, contrairement à ce que soutient Mme F..., la décision contestée de transfert n'a ni pour objet ni pour effet de la séparer de son enfant. Par suite, la décision contestée portant transfert aux autorités italiennes n'a pas porté au droit de Mme F... au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs cette décision n'est pas entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". Il résulte de ces dispositions que si le préfet peut refuser l'admission au séjour d'un demandeur d'asile au motif que la responsabilité de l'examen de cette demande relève de la compétence d'un autre Etat membre, il n'est pas tenu de le faire et peut autoriser une telle admission au séjour en vue de permettre l'examen d'une demande d'asile présentée en France.

10. Mme F... soutient que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants sans précédent entraînant de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles correspondantes et qui allongerait considérablement les délais de traitement, précariserait les conditions d'accueil et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Mme F... n'établit pas l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le préfet de Lot-et-Garonne n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 mars 2019 par lesquels le préfet de Lot-et-Garonne a décidé de son transfert auprès des autorités italiennes et de son assignation à résidence. Par voie de conséquence il y a lieu de rejeter ses conclusions à fins d'injonction, ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme F... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : Le surplus de la requête de Mme F... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pierre E..., président,

Mme B... A..., présidente assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 février 2020.

La présidente assesseure,

Karine A...

Le président,

Pierre E...

Le greffier,

Cindy Virin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX01709


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX01709
Date de la décision : 10/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: M. Pierre LARROUMEC
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : POUDAMPA

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-02-10;19bx01709 ?
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