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11/05/2020 | FRANCE | N°18BX01888

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 11 mai 2020, 18BX01888


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le maire de Thouars a refusé de lui accorder un congé de longue maladie.

Par un jugement n° 1502697 du 22 février 2018, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2018 et le 26 août 2019, la commune de Thouars, représentée par la SCP d'avocats Drouineau-Cosset-Bacle-

Le Lain, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le maire de Thouars a refusé de lui accorder un congé de longue maladie.

Par un jugement n° 1502697 du 22 février 2018, le tribunal administratif de Poitiers a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 mai 2018 et le 26 août 2019, la commune de Thouars, représentée par la SCP d'avocats Drouineau-Cosset-Bacle-Le Lain, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 22 février 2018 ;

2°) de rejeter la demande d'annulation présentée par M. F... devant le tribunal administratif de Poitiers ;

3°) de mettre à la charge de M. F... la somme de 1 500 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- le caractère contradictoire de l'instruction a été méconnu dès lors que le mémoire de M. F... enregistré au greffe du tribunal le 1er février 2018 lui a été communiqué le 2 février 2018 sans report de la date de clôture d'instruction qui intervenait le 3 février 2018 à minuit soit, en l'absence d'ordonnance de clôture, trois jours francs avant l'audience fixée au 7 février 2018.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en opérant un contrôle normal et en censurant la décision attaquée pour erreur d'appréciation alors que le contrôle devait être restreint ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision du 6 octobre 2015 portant refus de placement de M. F... en congé de longue maladie était entachée d'erreur d'appréciation ; les conditions d'octroi d'un congé de longue maladie n'étaient pas réunies dès lors que si M. F... présentait un état anxio-dépressif, celui-ci ne présentait pas les critères de gravité et d'invalidation requis ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. F... n'étaient pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, M. A... F..., représenté par la SCP d'avocats Pielberg-D..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la commune de Thouars d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 15 juillet 2019, la clôture d'instruction a été en dernier lieu fixée au 2 septembre 2019 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- l'arrêté du 14 mars 1986 relatif à la liste des maladies donnant droit à l'octroi de congés de longue maladie ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... B... ;

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;

- et les observations de Me E..., représentant la commune de Thouars et de Me D..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. Après avoir été mis à disposition, en qualité de directeur, de l'association " S'il vous plaît " chargée de la gestion du théâtre municipal, M. F..., attaché territorial, a été réintégré à sa demande par un arrêté du 30 janvier 2013 prenant effet au 1er janvier 2013 dans un emploi à temps plein de chargé de mission de la politique culturelle de la ville de Thouars (Deux-Sèvres). Il a été placé en congé de maladie ordinaire du 20 février 2013 au 18 février 2014 à l'exception de deux brèves périodes d'activité allant respectivement du 7 mars au 4 mai 2013 et du 1er décembre 2013 au 31 janvier 2014. Le 18 juin 2013 puis le 17 janvier 2014, il a sollicité la saisine du comité médical du centre de gestion des Deux-Sèvres en vue d'un placement en congé de longue maladie. A la suite d'un avis défavorable émis le 19 décembre 2013 par le comité médical qui préconisait une reprise à temps partiel thérapeutique pour une durée de trois mois, M. F... a été autorisé, par arrêté du 17 février 2014, à reprendre ses fonctions à temps partiel thérapeutique jusqu'au 18 mai 2014. Cette durée a été prolongée jusqu'au 19 février 2015, date à laquelle il a repris son activité à temps plein avant d'être en arrêt de travail dès le lendemain. Le 16 mars 2015, M. F... a une nouvelle fois demandé à être placé en congé de longue maladie. A la suite de l'avis défavorable émis par le comité médical le 3 septembre 2015, le maire de la commune de Thouars, par une décision du 6 octobre 2015, a refusé de faire droit à la demande de M. F.... Par un jugement du 22 février 2018, le tribunal administratif de Poitiers saisi par ce dernier a annulé la décision du 6 octobre 2015. La commune de Thouars relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...) / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux, en temps utile pour mettre les autres parties en mesure d'y répondre avant la clôture de l'instruction, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le mémoire en réplique présenté par M. F... et enregistré au greffe le 1er février 2018 a été communiqué à la commune de Thouars le 2 février 2018 soit la veille de la clôture automatique de l'instruction intervenue trois jours francs avant l'audience. Si ce mémoire, visé et analysé par les premiers juges, comportait un nouveau moyen de légalité externe tiré de l'irrégularité de la procédure suivie, les premiers juges ont entièrement fait droit à la demande d'annulation de M. F... en retenant un moyen de légalité interne tiré de l'erreur d'appréciation dont était entachée la décision attaquée. Dans ces conditions, la communication de ce mémoire n'a en tout état de cause pu préjudicier aux droits des parties et n'a, par suite, pas méconnu, le caractère contradictoire de l'instruction.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Les premiers juges ont annulé la décision du 6 octobre 2015 au motif qu'elle était entachée d'erreur d'appréciation.

5. En premier lieu, la décision du maire de la commune de Thouars du 6 octobre 2015 porte refus de placement de M. F... en congé de longue maladie. Lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, le juge de l'excès de pouvoir opère sur ce type de décisions un contrôle normal de la qualification juridique des faits. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges, qui ont procédé à un contrôle normal, auraient méconnu leur office en ne procédant pas à un contrôle restreint doit être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) 3° A des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent (...) ". Aux termes de l'article 18 du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi du 26 janvier 1984 : " Le fonctionnaire qui est dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions par suite d'une maladie grave et invalidante nécessitant un traitement et des soins prolongés est mis en congé de longue maladie (...) ". L'article 19 du même décret énonce que : " Le ministre chargé de la santé détermine, par arrêté après avis du comité médical supérieur, une liste indicative de maladies qui, si elles répondent en outre aux caractéristiques définies à l'article 57 (3°) de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 susvisée peuvent ouvrir droit à un congé de longue maladie. Toutefois, le bénéfice d'un congé de longue maladie demandé pour une affection qui n'est pas inscrite sur la liste prévue à la phrase précédente peut être accordé après l'avis du comité médical compétent ". L'article 1er de l'arrêté du 14 mars 1986 relatif à la liste des maladies donnant droit à l'octroi de congés de longue maladie établit la liste des affections au titre desquelles un fonctionnaire est mis en congé de longue maladie lorsqu'il est dûment constaté qu'il est dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions au cours de l'une de ces affections lorsqu'elle est devenue invalidante. Aux termes de l'article 2 du même arrêté : " Les affections suivantes peuvent donner droit à un congé de longue maladie dans les conditions prévues aux articles 29 et 30 des décrets susvisés (...) : - maladies mentales (...) ". Aux termes de l'article 3 dudit arrêté : " Un congé de longue maladie peut être attribué, à titre exceptionnel, pour une maladie non énumérée aux article 1er et 2 du présent arrêté, après proposition du Comité médical compétent à l'égard de l'agent et avis du Comité médical supérieur. Dans ce cas, il doit être constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. ".

7. En l'espèce, sur la base d'un rapport du 6 juin 2015 du médecin généraliste agréé, qui n'a été produit ni en première instance ni en appel, le comité médical départemental, dans son avis du 3 septembre 2015, a estimé qu'en l'absence de caractère invalidant et de gravité, la pathologie dont souffre M. F... ne relevait pas du congé de longue maladie mais du congé de maladie ordinaire.

8. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment du rapport d'expertise psychiatrique établi le 12 mars 2015 par le docteur Babillot, psychiatre, que M. F... présente depuis le mois de novembre 2013 un état dépressif avéré dont l'intensité reste invalidante et nécessite " une prise en charge psychiatrique étroite et ce pendant encore de nombreux mois ". Cet expert ayant également relevé que cette pathologie étant en lien direct avec son activité professionnelle, il a indiqué que " la mise en situation professionnelle actuelle de Monsieur F... même s'il s'agit d'un mi-temps représente encore un danger dans le sens qu'un nouvel effondrement dépressif peut exister et un passage à l'acte agressif vis-à-vis d'un collègue n'est pas impossible ". Ce rapport d'expertise est corroboré par celui établi le 10 août 2015 par le docteur Lévy-Chatagnat, psychiatre, qui, après avoir examiné M. F... à la demande du comité médical des Deux-Sèvres, a confirmé, ainsi qu'il l'avait déjà mentionné dans un précédent rapport d'expertise du 21 octobre 2013, que le syndrome dépressif majeur dont l'intéressé est atteint est incompatible avec une reprise du travail. Il ressort en outre des divers certificats médicaux établis par le docteur Bureste, psychiatre, les 24 juin 2013 et 23 décembre 2013 ainsi que par le docteur Fillon, généraliste, le 17 janvier 2014, que l'état dépressif de M. F... est incompatible avec une reprise du travail. Si la commune de Thouars fait valoir que l'état anxio-dépressif de M. F..., passé de sévère à moyen, s'est amélioré et que les troubles du sommeil et de la mémoire ainsi que les difficultés de concentration rencontrées par l'intéressé ont diminué, cette évolution récente n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions des experts psychiatres qui se sont prononcés en 2015. Dans ces conditions, même si le comité médical dont la position ne lie pas l'administration a rendu le 3 septembre 2015 un avis défavorable à l'attribution à M. F... d'un congé de longue maladie et que cette instance avait précédemment rendu deux autres avis défavorables les 19 novembre 2013 et 5 février 2014, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, l'état de santé psychiatrique de M. F... était de nature à lui donner droit à un congé de longue maladie. Ainsi, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, en refusant par l'arrêté du 6 octobre 2015 d'accorder à M. F... un congé de longue maladie, le maire de Thouars a commis une erreur d'appréciation de la situation de ce dernier au regard des dispositions citées au point 6.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Thouars n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 6 octobre 2015.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Thouars au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Thouars la somme de 1 500 euros au bénéfice de M. F... sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par la commune de Thouars est rejetée.

Article 2 : La commune de Thouars versera à M. F... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Thouars et à M. A... F....

Délibéré après l'audience du 24 février 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme C... B..., présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 mai 2020.

Le président,

Pierre Larroumec

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 18BX01888 2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01888
Date de la décision : 11/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-05-04-01-02 Fonctionnaires et agents publics. Positions. Congés. Congés de maladie. Congés de longue maladie.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : SCP DROUINEAU COSSET BACLE LE LAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-11;18bx01888 ?
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