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20/05/2020 | FRANCE | N°18BX04096

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 7ème chambre (formation à 3), 20 mai 2020, 18BX04096


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat intercommunal du Bassin d'Arcachon (SIBA) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, de condamner solidairement les sociétés Degrémont, Razel Région Sud Ouest, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à lui verser la somme de 5 032 220,03 euros en réparation des désordres affectant les stations d'épuration de la Teste-de-Buch et de Biganos, d'autre part, d'ordonner un complément d'expertise sur la nature des fissures affectant les ouvrages et le coût de leur réparation.


Par un jugement n° 1603297 du 24 septembre 2018, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat intercommunal du Bassin d'Arcachon (SIBA) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, de condamner solidairement les sociétés Degrémont, Razel Région Sud Ouest, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à lui verser la somme de 5 032 220,03 euros en réparation des désordres affectant les stations d'épuration de la Teste-de-Buch et de Biganos, d'autre part, d'ordonner un complément d'expertise sur la nature des fissures affectant les ouvrages et le coût de leur réparation.

Par un jugement n° 1603297 du 24 septembre 2018, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné, solidairement et à titre principal, les sociétés Degrémont, Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à verser au SIBA la somme de 3 133 345,66 euros. Il a également condamné les sociétés Degrémont, Apave SudEurope et Razel-Bec à garantir les autres constructeurs, à hauteur, respectivement, de 40 %, de 5 % et de 55 % de cette condamnation.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2018 sous le n° 18BX03899, et des mémoires, enregistrés les 17 avril 2019 et 4 mars 2020, la société par actions simplifiée APAVE SudEurope, représentée par Me I..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a retenu sa responsabilité dans la survenue des dommages ;

2°) subsidiairement, de réformer ce jugement en tant qu'il n'a pas retenu la responsabilité du SIBA, n'a pas évalué le montant des préjudices la concernant à la somme de 1 840 798,75 euros, et n'a pas condamné les sociétés Razel et Degrémont à la garantir de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) très subsidiairement, de limiter la condamnation mise à sa charge à sa part de responsabilité en application des dispositions du 2ème alinéa de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation ;

4°) de mettre à la charge du SIBA ou de tout autre succombant la somme de 10 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- les conclusions d'appel en garantie de la société Chantiers d'Aquitaine sont tardives et par suite irrecevables ;

- eu égard aux missions qui étaient les siennes et aux rapports qu'elle a établis, sa responsabilité ne saurait être retenue en ce qui concerne les bâches à eaux sales et les décanteurs ;

- s'agissant de la cuve à hydrolyse et des bâches à boue, le tribunal l'a condamnée à garantir les autres constructeurs à concurrence de 5 % du montant des dommages alors qu'il n'a pas retenu sa responsabilité dans les désordres correspondants ;

- le SIBA avait parfaitement connaissance des questions relatives à la réhabilitation des ouvrages en béton soumis à des attaques acides mais a choisi une solution technique alternative visant à réaliser des économies budgétaires ;

- en application des dispositions du 2ème alinéa de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, elle ne peut être tenue vis à-vis des autres intervenants à l'opération de construction à supporter la réparation des dommages qu'à concurrence de sa propre part de responsabilité.

Par deux mémoires, enregistrés les 14 mars 2019 et 27 janvier 2020, la société par actions simplifiée à associé unique Degrémont, représentée par Me A... B..., conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué, à l'annulation de l'expertise judiciaire ou à son absence d'homologation et au rejet des demandes présentées à son encontre par le SIBA et par les autres constructeurs, subsidiairement, à ce que le montant des désordres indemnisables soit limité à la somme de 1 764 616 euros hors taxes et à ce que les autres constructeurs soient condamnés à la garantir intégralement de la condamnation prononcée à son encontre ; très subsidiairement, à ce que la cour ordonne une expertise et, en tout état de cause, à ce que à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge du SIBA ou de tout succombant au titre des frais qu'elle a exposés pour l'instance.

Elle soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation ou à l'absence d'homologation du rapport d'expertise, n'a pas suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne le lien de causalité entre les désordres concernés et les fautes qu'elle aurait commises, a commis, pour le même motif, une erreur de droit ou une erreur d'appréciation et doit, par suite, être annulé ;

- le jugement doit également être annulé dès lors qu'il a entériné des préjudices dont le coût n'est pas établi ou qui ne sont pas justifiés ;

- le rapport d'expertise doit être annulé ou ne doit pas être homologué dès lors qu'il a été mené selon un rythme ne permettant pas le respect du principe du contradictoire, que l'expert ne disposait pas des compétences requises, n'a pas sérieusement répondu à ses dires et n'a pas achevé la mission qui lui était confiée ;

- le béton utilisé est conforme aux règles de l'art, a été choisi par le maître de l'ouvrage sur proposition de la société Razel au vu du rapport d'analyse des eaux et du coût différentiel d'un béton de meilleur qualité et ne nécessitait pas de revêtement ;

- il appartenait au maître de l'ouvrage ou à son exploitant de maîtriser les émanations d'hydrogène sulfuré dans le cadre de l'exploitation des stations ;

- le taux d'hydrogène sulfuré constaté en 2010 est dix fois plus élevé que celui constaté antérieurement et sur la base duquel a été établi la conception des stations et ne peut s'expliquer que par un défaut de traitement des boues ;

- la station a été conçue dans les règles de l'art ;

- l'exploitant n'a pas traité au lait de chaux les boues fraîches en sortie de Densadeg(r), traitement pourtant fondamental pour maintenir le pouvoir oxydoréducteur (rH) au-dessus de 18 ainsi que le prévoient les règles de l'art et la notice d'exploitation ;

- les désordres affectant les Densadeg(r) des deux stations d'épuration ainsi que la cuve à hydrolyse de la station d'épuration de Biganos ne présentent pas un caractère décennal ;

- le SIBA ne justifie pas des motifs pour lesquels le coût des travaux de reprise est très sensiblement plus élevé que les devis retenus par l'expert ;

- la mise en oeuvre des bétons et l'application de revêtement époxydique étaient de la responsabilité de la société Razel ;

- les sociétés Razel et Chantiers d'Aquitaine avaient à leur charge les études d'exécution et de réalisation des Densadeg(r) et de la cuve à hydrolyse ;

- l'APAVE n'a pas assuré son rôle de contrôleur technique ;

- le rapport de l'expert étant inexploitable, une nouvelle expertise s'impose.

Par des mémoires, enregistrés les 15 et 30 avril 2019, la société par actions simplifiée Chantiers d'Aquitaine, représentée par Me H..., demande à la cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a retenu la responsabilité décennale des constructeurs à raison des dégradations affectant le béton des Densadeg(r) et les fissures affectant les autres bâtiments et terrasses, subsidiairement de condamner les autres constructeurs à la garantie des condamnations prononcées à son encontre et, en tout état de cause, de mettre à la charge de tout succombant le versement à la société Chantiers d'Aquitaine de la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que son appel incident est recevable dès lors qu'il ne soulève pas de litige distinct ; que les dégradations affectant le béton des Densadeg(r) et les fissures affectant les autres bâtiments et terrasses ne caractérisent pas des désordres de nature décennale ; que le SIBA récupère la TVA ; qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses prestations.

Par un mémoire, enregistré le 5 août 2019, le SIBA, représenté par le cabinet Noyer-Cazcarra, demande à la cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il n'a pas condamné les constructeurs à lui verser la somme totale de 4 126 818,30 euros en réparation des désordres affectant les stations d'épuration de la Teste-de-Buch et de Biganos et de mettre à la charge solidaire des sociétés Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Apave Sudeurope une somme de 6 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Il soutient que les désordres affectant la cuve à hydrolyse et les Densadeg(r), notamment ceux relevés postérieurement aux opérations d'expertise, présentent un caractère décennal ; qu'il justifie du coût des travaux de reprise et de l'imputabilité du nettoyage des bâches de servitude, de la préparation des bâches en juin 2014, de la reprise des bétons des bâches de servitude ainsi que de la conduite de désodorisation, du traitement des fissures supplémentaires découvertes après hydrodécapage et du coût généré par la publication au BOAMP des avis d'appel public à la concurrence relatifs à la procédure de passation qui a été déclarée infructueuse au mois de mars 2014 ; que la responsabilité des sociétés Razel-Bec, Degrémont et Apave Sudeurope est engagée à raison des désordres constatés ; que le jugement attaqué est régulier dans la forme ; que les critiques dirigées contre le rapport d'expertise sont infondées ; que l'exploitation des stations d'épuration n'est pas fautive et qu'aucune responsabilité ne lui incombe dans la survenue des désordres.

Par un mémoire, enregistré le 24 janvier 2020, la société Razel-Bec, représentée par Me C..., demande à la cour de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 septembre 2018 en tant qu'il l'a condamnée à indemniser le syndicat intercommunal du Bassin d'Arcachon de son préjudice, subsidiairement, de réformer ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à garantir les autres constructeurs à hauteur de 55 % de la condamnation prononcée à leur encontre, en tant qu'il n'a pas condamné les sociétés Degrémont et Apave SudEurope ainsi que le SIBA à la garantir intégralement de cette condamnation et en tant qu'il n'en a pas limité le montant à la somme de 1 764 616 euros hors taxes et de de lui allouer, en tout état de cause, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ...

Elle entend se prévaloir des mêmes moyens que dans la requête n°18BX04096 ci-dessous.

II. Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2018 sous le n° 18BX04096, et des mémoires enregistrés les 24 février et 6 mars 2020, la société par actions simplifiée unipersonnelle Razel-Bec, représentée par Me C... demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 septembre 2018 en tant qu'il l'a condamnée à indemniser le syndicat intercommunal du Bassin d'Arcachon (SIBA) de son préjudice ;

2°) subsidiairement, de réformer ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à garantir les autres constructeurs à hauteur de 55 % de la condamnation prononcée à leur encontre, en tant qu'il n'a pas condamné les sociétés Degrémont et Apave SudEurope ainsi que le SIBA à la garantir intégralement de cette condamnation et en tant qu'il n'en a pas limité le montant à la somme de 1 764 616 euros hors taxes ;

3°) de lui allouer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la dégradation du béton des bâches à eau sale et des décanteurs Densadeg(r) résulte exclusivement d'un défaut de conception imputable à la société Degrémont ainsi, le cas échéant et s'agissant des seuls décanteurs précités, que d'un choix économique du SIBA ;

- concernant la dégradation du béton des bâches à boue et les désordres affectant la cuve à hydrolyse de la station de Biganos, sa responsabilité ne saurait être engagée s'agissant du contrôle des travaux de son sous-traitant dès lors que l'ensemble des missions de maîtrise d'oeuvre ont été attribuées à la seule société Degrémont ;

- il résulte de ce qui précède que sa responsabilité, à la supposer engagée à l'égard des autres constructeurs pour tous les désordres, ne l'est pas de manière similaire pour chacun des désordres constatés ;

- l'expert n'ayant pas exclu une responsabilité du SIBA dans la survenance de ces désordres, elle est fondée à demander à être garantie par ce syndicat ;

- il résulte de ce qui précède qu'elle est également fondée à demander à être intégralement garantie par la société Degrémont ;

- il n'est pas établi que le coût des travaux supporté par le SIBA, dont le montant est plus de deux fois plus élevé que celui retenu par l'expert judiciaire, corresponde à celui des seuls travaux de reprise indemnisables.

Par un mémoire, enregistré le 27 mars 2019, la société par actions simplifiée à associé unique Degrémont, représentée par Me A... B..., conclut aux même fins que dans la requête n° 18BX03899 et par les mêmes moyens.

Par des mémoires, enregistrés les 29 mars et 17 avril 2019 et le 4 mars 2020, la société par actions simplifiée Apave Sudeurope, représentée par Me I..., conclut aux mêmes fins que dans la requête n° 18BX03899 et par les mêmes moyens.

Par des mémoires, enregistrés les 15 et 30 avril 2019, la société par actions simplifiée Chantiers d'Aquitaine, représentée par Me H..., conclut aux mêmes fins que dans la requête n° 18BX03899 et par les mêmes moyens.

Par des mémoires, enregistrés les 24 juillet 2019 et 5 mars 2020, le SIBA, représenté par le cabinet Noyer-Cazcarra, conclut aux mêmes fins que dans la requête n° 18BX03899 et par les mêmes moyens.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 mars 2020, la société par actions simplifiée Entreprise Philippe Lassarat, représentée par Me D..., demande à la cour de faire droit aux conclusions présentées à titre subsidiaire par la société Razel-Bec et tendant à ce qu'une nouvelle expertise judiciaire soit ordonnée avant dire droit.

Elle soutient que le rapport établi par l'expert judiciaire est techniquement erroné.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code civil ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F... J...,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public,

- et les observations de Me I..., représentant la société par actions simplifiée APAVE SudEurope , de Me E..., représentant le SIBA, de Me C..., représentant la société par actions simplifiée unipersonnelle Razel-Bec, et de Me G..., représentant la société par actions simplifiée Chantiers d'Aquitaine.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes °18BX03899 et n° 18BX04096 concernent un même jugement, donnent à juger des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de statuer sur ces requêtes par un même arrêt.

2. Par acte d'engagement du 24 mars 2005, le syndicat intercommunal du Bassin d'Arcachon (SIBA) a confié à un groupement conjoint composé des sociétés Degrémont, mandataire, Razel Région Sud-Ouest, devenue Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine, AMEC Spie Sud Ouest et des cabinets d'architecture Thierry Sauvée et André Morier, un marché de conception-réalisation concernant la réalisation des travaux d'extension, de mise aux normes et d'amélioration des stations d'épuration de la Teste-de-Buch et de Biganos, lesquelles étaient exploitées depuis le 1er janvier 1999 par la société d'assainissement du Bassin d'Arcachon (SABARC). L'intervention des cabinets d'architecture Sauvée et Morier a été limitée à l'établissement des pièces nécessaires au dépôt des permis de construire et le surplus du marché a été divisé en trois " lots techniques " : le lot technique n° 1, intitulé " process / équipements / gestion technique centralisée ", a ainsi été confié à la société Degrémont, le lot technique n° 2, " génie civil ", a été solidairement confié aux sociétés Razel-Bec et Chantiers d'Aquitaine, enfin, le lot technique n° 3, " électricité / automatismes ", a été confié à la société AMEC Spie Sud ouest. Aux termes de l'avenant n°3 à ce marché les faces émergées des décanteurs Densadeg(r) ont été partiellement protégées par des plaques de polyéthylène haute densité. Les travaux ont été réceptionnés à effet du 27 mars 2008 après que les réserves dont étaient assorties cette réception ont été levées le 19 mars 2010. Des désordres affectant les bétons des décanteurs Densadeg(r) des deux stations ont été constatés dès les mois, respectivement, de juillet et d'août 2008 puis, près de deux ans plus tard, la dégradation et la fissuration des bétons des bâches à boue et à eau sale ont été également constatées. L'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a déposé son rapport le 28 mai 2013. La société Razel-Bec demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 septembre 2018, à titre principal, en tant qu'il l'a condamnée, solidairement avec les sociétés Degrémont, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope, à verser au SIBA la somme de 3 133 345,66 euros et, à titre subsidiaire en tant qu'il l'a condamnée à garantir à hauteur de 55 % les autres constructeurs de cette condamnation. Par la voie de l'appel incident, la société Degrémont demande à la cour, à titre principal, d'annuler le jugement attaqué, d'annuler ou de ne pas homologuer l'expertise judiciaire et de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif par le SIBA, subsidiairement, de ramener le montant des désordres indemnisables à la somme de 1 764 616 euros hors taxes et de condamner les autres constructeurs à la garantir intégralement de la condamnation prononcée à son encontre. La société Apave Sudeurope, contrôleur technique, demande à la cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a retenu sa responsabilité dans la survenue des dommages et, subsidiairement, de le réformer en tant qu'il n'a pas limité à la somme de 1 840 798,75 euros le montant des préjudices la concernant, n'a pas retenu la responsabilité du SIBA et n'a pas condamné les sociétés Razel et Degrémont à la garantir de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre. La société Chantiers d'Aquitaine demande à la cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a retenu la responsabilité décennale des constructeurs à raison des dégradations affectant le béton des décanteurs Densadeg(r) et les fissures affectant les autres bâtiments et terrasses. Enfin, le SIBA relève appel du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fixé à un montant de 5 032 220,03 euros la somme que les constructeurs ont été solidairement condamnés à lui verser.

Sur l'intervention de la société Entreprise Philippe Lassarat :

3. La société Entreprise Philippe Lassarat, qui est intervenue comme sous-traitant de la société Razel-Bec pour la mise en oeuvre du revêtement époxydique de protection sur les bâches à boue et a été assignée par son donneur d'ordre devant le tribunal de grande instance de Bordeaux à raison de ces travaux, justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance. Par suite, son intervention doit être admise.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Il résulte de l'instruction que les premiers juges ont omis de répondre au moyen soulevé par la société Degrémont et tiré de ce que les opérations d'expertise judiciaire ont été irrégulièrement menées. Par suite, dès lors que le moyen tiré de la nullité de l'expertise judiciaire n'était pas inopérant et que le jugement attaqué se fonde sur cette expertise, la société Degrémont est fondée à soutenir que ce jugement est irrégulier et, par voie de conséquence, à en demander l'annulation sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à sa régularité.

5. Il appartient à la cour de statuer, par voie d'évocation, sur les conclusions présentées en premier instance et en appel par les parties.

Sur la régularité des opérations d'expertise :

6. En premier lieu, s'il n'appartient pas aux juridictions administratives de prononcer la nullité ou de refuser d'homologuer une expertise judiciaire, les conclusions et moyens dirigés par la société Degrémont à l'encontre de l'expertise judiciaire doivent être regardées comme tendant à ce que le juge du contrat constate la nullité des opérations d'expertise.

7. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient la société Degrémont, l'expertise judiciaire, d'une durée de dix-huit mois, n'a pas été menée à un rythme trop rapide qui aurait fait obstacle au respect du principe du contradictoire tandis que l'expert a répondu à l'ensemble des dires qui qui ont été adressés et, en particulier, aux dires présentés par la société Degrémont. En outre, il n'est aucunement établi que cet expert, qui s'est adjoint les services d'un bureau d'étude en qualité de sapiteur pour certains aspects des opérations d'expertise, n'aurait pas disposé des compétences techniques requises pour mener ces opérations. Enfin, si l'expert n'a pas chiffré le coût de reprise des fissures affectant les bétons, le caractère éventuellement lacunaire des opérations d'expertise n'est pas de nature à entraîner la nullité de ces opérations alors, au demeurant, qu'il ressort de l'expertise que l'expert a considéré que ces désordres étaient bénins et insusceptibles de mettre en cause la garantie décennale des constructeurs. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité des opérations d'expertise doit être écarté.

Sur la garantie décennale :

7. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale peut être recherchée pour des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

En ce qui concerne les bâches à boue et à eau sale ainsi que la cuve à hydrolyse :

8. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la dégradation du béton des bâches à boue et à eau sale des deux stations d'épuration ainsi que de la cuve à hydrolyse de la station de Biganos a été causée par leur exposition à l'action corrosive de l'hydrogène sulfuré (H2S) dégagé par les effluents arrivant dans les cuves. En outre, il n'est pas utilement contesté que cette dégradation compromet la solidité de ces bâches et de cette cuve, de sorte qu'elle est de nature à engager la responsabilité des constructeurs en charge des lots techniques n° 1 et n° 2 au titre de la garantie décennale, quand bien même elle serait due à une erreur de conception ainsi que le soutient la société Razel-Bec ou, au contraire, à une application défectueuse du revêtement époxydique sur les bâches à boues ainsi que le soutient la société Degrémont.

9. En premier lieu, la société Degrémont soutient que ce dégagement régulier d'hydrogène sulfuré serait dû à la fermentation des effluents et que celle-ci n'a été rendue possible que par la négligence de l'exploitant des stations concernées, la SABARC, qui aurait omis d'injecter régulièrement du lait de chaux dans ces effluents, Toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, que la société Degrémont n'a ni indiqué au maître de l'ouvrage les quantités de lait de chaux à injecter en cas de stockage des boues ni ne l'a mis en mesure de déterminer lui-même ces quantités en s'abstenant, en particulier et en méconnaissance de ses obligations contractuelles, de mettre en place les sondes et analyseurs prévus, d'autre part, qu'elle a elle-même indiqué, dans le cadre de son offre, que seule " une injection occasionnelle de lait de chaux " était prévue et que celle-ci était destinée à éviter la survenue, " de temps à autre, des fermentations, sources de mauvaises odeurs " en maintenant un pH voisin de 9 et que l'injection de péroxyde d'hydrogène (H202) " assure une minimisation de la consommation de réactif, tout en garantissant la protection des bétons " et garantit que " la teneur en H2S dans les différents espaces confinés ne serait pas supérieure aux valeurs rencontrées couramment sur les stations d'épuration " tandis qu'il ressort de la notice d'exploitation qu'elle a elle-même rédigée que " lors de ce stockage, le pH des boues diminue et peut entraîner des fermentations " et que, " pour éviter cela, on peut être amené à injecter du lait de chaux dans la bâche à boues ". Enfin, la société Degrémont n'établit ni que la SABARC n'aurait procédé à aucune injection de lait de chaux avant la survenue des désordres ni que le taux d'hydrogène sulfuré constaté en 2010, inférieur à 100 ppm, serait dix fois plus élevé que celui constaté en 2004 dès lors que le sapiteur de l'expert a, au contraire, relevé qu'eu égard à leur extrême variabilité et au caractère très ponctuel des relevés opérés, aucune conclusion ne pouvait être tirée des taux constatés, et que les notices d'exploitation qu'elle a elle-même établies exposent que les stations d'épurations ont été conçues par ses soins pour résister à des taux de 5 à 40 ppm en entrée de traitement avec des pics pouvant aller jusqu'à 100 ppm. Dans ces conditions, la société Degrémont, qui, au demeurant, avait prévu, dès le stade de l'appel d'offre, l'application d'enduits précisément destinés à protéger les bétons émergés de la bâche à boue contre la corrosion, n'est pas fondée à soutenir que les désordres affectant les bétons sont dus à une exploitation défaillante des ouvrages.

10. En second lieu, si, eu égard notamment aux missions qui sont les siennes, le SIBA ne pouvait ignorer le risque corrosif que présente le dégagement d'hydrogène sulfuré dans toutes les stations d'épuration, il résulte de l'instruction que le maître de l'ouvrage n'a eu de cesse, tant au stade de l'appel d'offre qu'au cours de l'élaboration des plans d'exécution d'attirer l'attention des candidats puis des sociétés titulaires du marché sur la prévention des risques de corrosion et d'émettre des réserves sur les solutions proposées. Il ressort ainsi, d'une part, du compte rendu de la réunion n° 10 du 4 octobre 2005 que le SIBA, après s'être une nouvelle fois inquiété de " la sensibilité des ouvrages aux attaques acides (formation de H2 S04) ", a exigé que des protections fussent apposées sur les bétons au moins en ce qui concerne " la partie dénoyée des Densadeg(r) " au titre de travaux supplémentaires, d'autre part, du compte-rendu de la réunion n° 26 du 21 février 2006 qu'il a également demandé que des bandes d'accroches destinées, le cas échéant, à recevoir un revêtement de protection fussent insérées dans les autres ouvrages avant de rappeler que la qualité du béton ne lui paraissait pas adaptée à un environnement acide et, enfin, des termes de la délibération du comité du SIBA du 23 mars 2006, préalable à la signature d'un avenant en ce sens, qu'il n'a renoncé à la pose de ce revêtement sur l'ensemble des installations concernées qu'à raison " des garanties apportées par le concepteur-réalisateur quant à la teneur en hydrogène sulfuré à l'intérieur des ouvrages, liée à l'efficacité de son traitement avec de l'eau oxygénée et à la qualité des bétons ". Dans ces conditions, les constructeurs ne sont pas fondés à soutenir que le SIBA aurait refusé, par souci d'économie, de prendre les mesures nécessaires pour éviter une dégradation des bétons ou qu'il aurait volontairement choisi de privilégier une option risquée mais plus économique.

En ce qui concerne les autres ouvrages :

11. En premier lieu, si la société Chantiers d'Aquitaine soutient que la dégradation des bétons au niveau et au-dessus de la zone de marnage des Densadeg(r) (unités de traitement destinées à séparer les matières en suspension de l'eau brute) est de faible ampleur et qu'il n'est pas établi que son évolution est de nature à compromettre leur solidité, il résulte au contraire de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que cette dégradation est évolutive et " se poursuivra au-delà de l'expiration du délai de la garantie décennale ", de sorte qu'elle compromettra nécessairement à terme la solidité de l'ouvrage.

12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'occasion des travaux de reprise des bâches à boues et à eaux sales et à la suite du décapage des plafonds de ces bâches, des écoulements d'eau sale, compliquant les travaux de reprise, ont été constatés et proviennent de fissures affectant la dalle support des Densadeg(r) situés immédiatement au-dessus de ces bâches. Toutefois, il n'est pas établi que ces fissures, qui, selon le SIBA, étaient déjà présentes lors des opérations d'expertise, présenteraient un caractère évolutif ou menaceraient la tenue des travaux de reprise, alors, du reste, que le marché de reprise des bétons et son avenant n° 1 prévoient déjà un traitement des fissures des plafonds des bâches. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, les conclusions du SIBA tendant à ce que la responsabilité décennale des constructeurs soit engagée à ce titre doivent être rejetées.

13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le SIBA ne sollicite plus, dans le dernier état de ses écritures, la condamnation des constructeurs à l'indemniser au titre des fissures affectant les autres ouvrages et causées, selon l'expert, par un phénomène dit de " retrait du béton ".

En ce qui concerne la responsabilité du contrôleur technique :

14. En application de l'article L. 111-24 du code de la construction, la responsabilité décennale du contrôleur technique n'est engagée que dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage.

15. La société APAVE SudEurope soutient qu'en application de la norme Afnor NFP 03-100, il n'entrait pas dans ses missions d'examiner les dispositions relatives aux aménagements spécifiques des activités professionnelles et " tout ce qui relève du process ". Il est constant, néanmoins, qu'elle était chargée d'une mission de contrôle technique portant, notamment, sur la prévention des aléas techniques " susceptibles de compromettre la solidité de la construction achevée ou celle des ouvrages et éléments d'équipement indissociables qui la constituent " (mission L) et qu'au demeurant, elle a, dans le cadre de cette mission, émis un avis suspendu au titre du poste " nature et qualité des matériaux " s'agissant de la qualité des bétons en l'absence de précisions sur l'agressivité des effluents, par type ouvrage, et sur la composition du béton correspondant à chacun de ces types d'ouvrage. Dans ces conditions, l'APAVE n'est pas fondée à soutenir que les désordres affectant ces bétons, qui ne participent pas directement du " process ", mais concernent la solidité des ouvrages, n'engageraient pas sa responsabilité décennale.

16. Il résulte de ce qui précède que le SIBA n'est fondé à rechercher la responsabilité des sociétés Degrémont, Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope au titre de la garantie décennale qu'en ce qui concerne les désordres affectant les parties émergées des bétons des bacs à boues et eaux sales ainsi que des Densadeg(r), et de la cuve à hydrolyse.

Sur le montant du préjudice :

17. En premier lieu, la dégradation des bétons et ses conséquences sur la solidité de l'ouvrage ont nécessité, sur prescription de l'expert, l'étayage des bâches à boues et à eaux sales des deux stations d'épuration pour un coût de 260 000 euros auquel il convient d'ajouter les frais de nettoyage, au mois de juin 2013, qui y étaient associés et dont le montant s'élève à la somme globale de 41 595 euros.

18. En deuxième lieu, la création d'une bâche de stockage provisoire assortie de bipasses a dû être réalisée pour assurer la continuité du fonctionnement des deux stations d'épuration pendant les travaux de reprise des bétons. Le montant de ces travaux s'est élevé à la somme de 711 883 euros, inférieure au montant estimatif retenu par l'expert judiciaire, à laquelle il convient d'ajouter une somme de 720 euros correspondant au coût de la publication au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) de l'avis public d'appel à la concurrence correspondant à ces travaux.

19. En revanche, le SIBA ne justifie pas de l'existence d'un lien de causalité certain entre la réalisation de ces travaux et un second nettoyage des bâches, intervenu entre les mois de septembre et décembre 2013. Par suite, il n'est pas fondé à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice.

20. En troisième lieu, le coût des travaux nécessaires à la réfection des bétons des bâches des deux stations d'épuration comprend la reprise des bétons, pour un montant de 1 357 498,16 euros avenant inclus, le remplacement des pièges à biolithe, pour un montant de 13 523,20 euros, le renouvellement des trappes d'accès aux ouvrages et de leurs équipements de sécurité, pour un montant de 88 363,70 euros, la reprise de la conduite de désodorisation, pour un montant de 1 612 euros, et celle du câblage des bipasses provisoires des bâches, pour un montant de 4 731,58 euros. En outre, ces travaux ont nécessité un diagnostic préalable, réalisé par la société Ginger BTP, pour un coût de 11 500 euros, un nettoyage des bâches, destiné à permettre le diagnostic, pour une somme de 2 438,50 euros en sus du nettoyage des bâches des bâches à boue des deux sites et de la bâche à eaux sales de Biganos effectué préalablement à la réalisation des travaux, en décembre 2014 et en avril 2015 pour une somme de 22 880 euros, et ont entraîné un coût de remise en service des automatismes des bâches dont le montant s'élève à la somme de 1 504,13 euros. Enfin, il convient d'ajouter le coût de publication des deux appels d'offres successifs, fixé à la somme globale de 1 440 euros HT. Le coût total des travaux de réfection des bâches s'élève ainsi à la somme de 1 505 491,27 euros.

21. En revanche, le SIBA n'établit pas que le coût de la préparation des bâches à eaux sales de la station d'épuration de la Teste-de-Buch, au mois de juin 2014, était indispensable à la réalisation des travaux de reprise, alors qu'il ressort de ses propres écritures que cette préparation avait déjà été effectuée au mois de mai précédent.

22. Enfin, si les constructeurs font valoir que le coût réel des travaux de reprise est sensiblement supérieur à celui évalué par l'expert sur la base des deux devis qui lui ont été transmis, cette seule circonstance ne permet pas de considérer que les travaux réalisés ne présenteraient pas uniquement le caractère de travaux de reprise mais s'analyseraient aussi en des travaux d'amélioration. Il résulte, de plus, de l'instruction qu'un premier appel d'offre relatif à la reprise des bétons a dû être déclaré infructueux compte tenu, non, comme le soutient la société Apave SudEurope, des carences du maître de l'ouvrage dans l'élaboration de cet appel d'offre mais du manque de rigueur affectant les deux offres reçues.

23. En troisième lieu, s'agissant des Densadeg(r), le SIBA a produit un acte d'engagement qui ne concerne pas la reprise des bétons et leur protection mais uniquement l'étanchéité du Densadeg(r) de Biganos et ne précise au demeurant pas le détail des prestations réalisées. Or, ainsi qu'il a été dit au point 12 du présent arrêt, les fissures justifiant cette étanchéisation ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination et ne peuvent dès lors donner lieu à une indemnisation sur le fondement de la garantie décennale. Dans ces conditions, le SIBA ne justifiant pas avoir exposé des frais plus importants, il y a lieu de retenir l'évaluation du coût de la reprise et de la protection des bétons des Densadeg(r) retenue par l'expert, soit 345 144 euros HT pour les deux stations.

24. En quatrième lieu, les travaux de réfection de la cuve à hydrolyse nécessitent de reprendre les parois et le plafond sur une surface de 77 m² pour un montant non contesté de 43 760,50 euros.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Degrémont, Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope doivent être condamnées solidairement à verser au SIBA la somme de 2 908 593,77 euros HT au titre de l'ensemble des préjudices résultant des désordres de nature décennale affectant les stations d'épuration de la Teste-de-Buch et de Biganos, le SIBA ayant renoncé, dans le dernier état de ses écritures, à demander que cette condamnation soit assortie de la TVA.

26. En outre, le SIBA a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 2 908 593,77 euros à compter de la date d'introduction de sa requête, soit le 28 juillet 2016. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 28 juillet 2017 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les appels en garanties :

27. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ainsi que de l'acte d'engagement du marché de réalisation-conception, que la société Degrémont était, au sein du groupement conjoint d'entreprise, en charge du lot technique n°1 " process / équipements / gestion technique centralisée de la conception des stations " et qu'à ce titre, elle avait indiqué, au stade de l'appel d'offre et des études d'exécution, que la concentration des émanations d'hydrogène sulfuré serait parfaitement contrôlée par l'injection d'eau oxygénée en entrée de traitement ainsi que par la mise en dépression des ouvrages concernés et n'avait prévu de ne protéger que les seuls bétons de la bâche à boue, au moyen d'un revêtement époxydique, alors qu'il existe un ciel gazeux commun entre cette bâche et la bâche à eaux sales et qu'il ressort de ses propres écritures que le trop-plein de la bâche à boues peut être amené à se déverser dans la bâche à eaux sales. En outre, elle n'avait pas davantage prévu de protection pour les faces émergées des Densadeg(r) avant que, à l'insistance du maître de l'ouvrage, elle propose, à titre de travaux supplémentaires, la pose de plaques de polyéthylène haute densité - sur une hauteur au demeurant insuffisante - et n'a pas doté l'exploitant des outils de mesure lui permettant de contrôler les taux d'hydrogène sulfuré dans les eaux à l'arrivée ou en cours de traitement ainsi que dans le ciel gazeux en méconnaissance de ses obligations contractuelles.

28. En deuxième lieu, il résulte également de l'instruction que la société Razel-Bec était en charge, notamment, de la pose du revêtement époxydique et que celui-ci s'est avéré être d'une épaisseur insuffisante par rapport aux préconisations d'emploi de sorte qu'il s'est, par endroit, désagrégé ou désolidarisé de son support alors qu'il est constant que le béton n'a pas été attaqué là où ce revêtement est demeuré en place.

29. En troisième lieu, dès lors qu'il n'est ni établi ni même soutenu que l'APAVE aurait été mise en possession des documents qu'elle avait demandés pour pouvoir se prononcer sur la solidité des bétons en fonction de l'agressivité de l'effluent de sorte qu'elle n'a pu émettre qu'un avis suspendu sur cette question, le SIBA et les sociétés Chantiers d'Aquitaine, Degrémont et Razel-Bec n'établissent pas que, comme ils le soutiennent, l'APAVE aurait commis une faute dans l'exécution de ses missions.

30. Dans ces conditions, il y a lieu, d'une part, de condamner la société Degrémont à garantir les sociétés Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à hauteur de 65 % de la condamnation prononcée à leur encontre, d'autre part de condamner la société Razel Bec à garantir les société Degrémont, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à leur encontre, enfin, de rejeter le surplus des conclusions d'appels en garantie.

Sur les dépens :

31. Les frais et honoraires de l'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 35 667,11 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux du 9 juillet 2013. Le coût des investigations menées par la société Ginger CEBTP à la demande de l'expert s'élève à la somme de 102 960,96 euros. Enfin, il résulte de l'instruction que le SIBA a fait procéder au nettoyage des bâches à boues et à eaux sales pour permettre les constatations des désordres dans le cadre des opérations d'expertise au mois de novembre 2011 pour un montant de 12 730,32 euros et au mois d'avril 2012 pour un montant de 21 528 euros. Ces frais, qui constituent des dépens, s'élèvent à la somme globale de 172 886,39 euros. Il y a lieu de les mettre à la charge définitive de la société Degrémont à hauteur de 65 % et de la société Razel-Bec à hauteur de 35 %.

Sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

32. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire des sociétés Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Degrémont une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel par le SIBA, de mettre à la charge solidaire des sociétés Degrémont et Razel-Bec deux sommes de 2 500 euros au titre des frais exposés en première instance et en appel, respectivement, par la société APAVE Sud Europe et par la société Chantiers d'Aquitaine. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les mêmes circonstances, de fait droit aux conclusions présentées aux mêmes fins par le SIBA à l'encontre de la société Apave SudEurope ainsi que par la société Razel-Bec tandis que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais exposés pour l'instance par la société Degrémont soient mis à la charge du SIBA ou de tout succombant ainsi que cette société le demande.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la société Entreprise Philippe Lassarat est admise.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 septembre 2018 est annulé.

Article 3 : Les sociétés Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine, Apave SudEurope et Degrémont sont solidairement condamnées à verser au SIBA la somme de 2 908 593,77 euros assortie des intérêts légaux à compter du 28 juillet 2016. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 28 juillet 2017, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 4 : Les dépens, d'un montant de 172 886,39 euros, sont mis à la charge définitive des sociétés Degrémont, à hauteur de 65 %, et Razel-Bec, à hauteur de 35 %.

Article 5 : Les sociétés Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Degrémont verseront au SIBA une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Article 6 : Les sociétés Degrémont et Razel-Bec verseront la somme de 2 500 euros tant à la société APAVE Sud Europe qu'à la société Chantiers d'Aquitaine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : La société Degrémont est condamnée à garantir les sociétés Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à hauteur de 65 % de la condamnation prononcée à leur encontre à l'article 3.

Article 8 : La société Razel Bec est condamnée à garantir les sociétés Degrémont, Chantiers d'Aquitaine et Apave SudEurope à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à leur encontre à l'article 3.

Article 9 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat intercommunal du bassin d'Arcachon et aux sociétés Degrémont, Razel-Bec, Chantiers d'Aquitaine, la société Entreprise Philippe Lassarat et Apave SudEurope.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2020 à laquelle siégeaient :

M. Éric Rey-Bèthbéder, président,

Mme K..., présidente-assesseure,

M. F... J..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 mai 2020.

Le président,

Éric Rey-Bèthbéder

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°18BX03899-18BX04096


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 7ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 18BX04096
Date de la décision : 20/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. REY-BETHBEDER
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SCP MAXWELL -BERTIN-BARTHELEMY-MAXWELL ; SCP MAXWELL -BERTIN-BARTHELEMY-MAXWELL ; SELARL BERTHIAUD et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-05-20;18bx04096 ?
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