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08/06/2020 | FRANCE | N°18BX01899

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 08 juin 2020, 18BX01899


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 29 octobre 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de la 2ème section des Pyrénées-Atlantiques a autorisé la société Privilège sécurité à le licencier, ensemble la décision du 10 mai 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision portant rejet implicite du recours hiérarchique formé contre la décision du 29 octobre 2015 et a autorisé

la société Privilège sécurité à le licencier.

Par un jugement n° 1601304 du 13 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 29 octobre 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de la 2ème section des Pyrénées-Atlantiques a autorisé la société Privilège sécurité à le licencier, ensemble la décision du 10 mai 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision portant rejet implicite du recours hiérarchique formé contre la décision du 29 octobre 2015 et a autorisé la société Privilège sécurité à le licencier.

Par un jugement n° 1601304 du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2016, en tant qu'elle retire la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 29 octobre 2015 et autorise le licenciement de M. E... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de ce dernier.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mai 2018 et le 25 février 2019, la société Privilège sécurité, représentée par la société d'avocats Lamy Lexel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 13 mars 2018 en ce qu'il a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2016 ayant retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 29 octobre 2015, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 29 octobre 2015 et autorisé le licenciement de M. E... ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du ministre du 10 mai 2016 a été signée par une autorité bénéficiant d'une délégation de signature régulière ;

- elle est suffisamment motivée ;

- le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation dès lors qu'en méconnaissance des stipulations de son contrat de travail, M. E... ne l'a jamais informée qu'il effectuait des missions ponctuelles pour le compte d'un autre employeur développant une activité concurrente ; il a dépassé à deux reprises la durée maximale quotidienne de travail ainsi que la durée légale hebdomadaire de travail ;

- M. E... a gravement manqué à son obligation de fidélité et de loyauté en travaillant pour le compte d'une entreprise concurrente et a détourné la finalité des heures de délégation à des fins personnelles, ces manquements justifiant son licenciement ;

- il n'existe aucun lien entre le licenciement de M. E... et les mandats qu'il détenait au sein de la société.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 28 janvier et 23juillet 2019, M. D... E..., représenté par la SCP d'avocats Etcheverry-Etchegaray, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Privilège sécurité d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Privilège sécurité ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 25 juin 2019, le ministre du travail conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Pau du 13 mars 2018.

Il soutient que :

- s'il est exact que la décision du 10 mai 2016 est entachée d'inexactitude matérielle, elle n'en comporte pas moins des éléments de fait qui la fondent ;

- les faits reprochés au salarié, pris dans leur ensemble, sont constitutifs de manquements à des obligations légales et contractuelles ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, ils présentent un caractère suffisamment grave pour justifier le licenciement de l'intéressé.

Par une ordonnance du 26 juin 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juillet 2019 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... A... ;

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;

- et les observations de Me B..., représentant la société Privilège sécurité.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 29 octobre 2015, l'inspecteur du travail de la 2ème section des Pyrénées-Atlantiques a autorisé, à la demande de la société Privilège sécurité, le licenciement de M. E..., agent de prévention et de sécurité, investi des mandats de délégué syndical, délégué du personnel, membre titulaire du comité d'entreprise et secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le recours hiérarchique exercé par M. E... à l'encontre de la décision du 29 octobre 2015 a donné naissance le 23 avril 2016 à une décision implicite de rejet que, par une décision du 10 mai 2016, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retirée en même temps qu'il a annulé cette décision du 29 octobre 2015 et a autorisé le licenciement de M. E.... Par un jugement du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Pau, saisi par M. E..., a annulé la décision du 10 mai 2016 en tant qu'elle retire la décision implicite de rejet du recours hiérarchique exercé et autorise son licenciement. La société Privilège sécurité, qui relève appel de ce jugement, doit être regardée comme le contestant en ce qu'il a annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2016 ayant retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail du 29 octobre 2015 et autorisé le licenciement de M. E....

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Les premiers juges ont annulé la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2016 en tant qu'elle retire la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Privilège sécurité et autorise le licenciement de M. E... au motif que les faits commis par ce dernier ne revêtaient pas un degré de gravité suffisant pour justifier son licenciement.

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail, et notamment durant ses heures de délégation, ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

4. Il est constant que M. E..., dont le contrat de travail lui imposait de ne pas dépasser les durées maximales légales hebdomadaires applicables en cas de cumul d'emplois et d'aviser l'employeur de tout nouvel engagement, a exercé sans en avoir informé son employeur des missions de surveillance pour le compte d'une société concurrente, d'une part, le 12 juin 2015 de 18 h à minuit et, d'autre part, le 20 juin 2015 de 21 h à 9 h alors qu'il avait posé 7 heures 30 de délégation pour chacune de ces deux journées.

5. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'une réunion du conseil syndical du syndicat des services CFDT du Pays basque, au cours de laquelle la société Privilège sécurité était représentée, s'est tenue le 12 juin 2015. Une attestation sur l'honneur du secrétaire général de ce syndicat, dont la teneur n'est pas contestée, précise que cette réunion s'est déroulée de 9 h à 17 h en présence de M. E.... C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que le motif de la décision contestée tiré de ce que l'intéressé avait effectué une vacation chez un autre employeur pendant ses heures de délégation était entaché d'inexactitude matérielle.

6. Toutefois l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social peut être regardé comme sollicitant, de manière implicite, une substitution de motifs à la décision litigieuse, dès lors qu'il soutient dans ses écritures communiquées au salarié " qu'il convenait d'écrire dans la décision du 10 mai 2016 (...) que : M. E... (...) a effectué une vacation chez un autre employeur pendant ses heures de travail (18h à 20h30) ".

8. Il est constant que, le 12 juin 2015, M. E... a été remplacé par son employeur, la société Privilège sécurité, pour les vacations qu'il devait effectuer de 9 h à 13 h puis de 17 h à 20h. La vacation qu'il a assurée pour le compte d'un autre employeur, la société APRS, entre 18h et 20h30 ne peut, dès lors, être regardée comme l'ayant été pendant ses heures de travail. Dans ces conditions, le ministre n'est pas fondé à soutenir que sa décision était justifiée par l'existence d'une vacation accomplie par le salarié chez un autre employeur pendant ses heures de travail. Il n'y a dès lors pas lieu de procéder à la substitution demandée.

9. D'autre part, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, il n'est pas contesté par M. E... qu'en raison des vacations effectuées pour le compte de la société APRS il a dépassé à deux reprises, tant le 12 juin 2015 que le 20 juin 2015, la durée maximale quotidienne de travail en vigueur dans la profession fixée à 12 heures et, qu'en méconnaissance de ses obligations contractuelles, il n'a pas informé son employeur des vacations effectuées au profit de cette société concurrente. Toutefois, même pris dans leur ensemble, ces faits, dont le caractère répété n'est ni établi ni même allégué, ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé qui, présent dans la société depuis 2011, a seulement fait l'objet en 2013 d'un avertissement pour avoir omis de fermer les portes du supermarché où il exerçait ses fonctions.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Privilège sécurité n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé la décision de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 10 mai 2016 retirant sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, intervenue le 23 avril 2016, et autorisant le licenciement de M. E....

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que la société Privilège sécurité demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Privilège sécurité une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête présentée par la société Privilège sécurité est rejetée.

Article 2 : La société Privilège sécurité versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Privilège sécurité, à M. D... E... et au ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2020 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

Mme C... A..., présidente-assesseure,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 juin 2020.

Le président,

Pierre Larroumec

La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 18BX01899 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01899
Date de la décision : 08/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Bénéfice de la protection - Cumul de dispositions protectrices.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour faute - Absence de faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : LAMY-LEXEL AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-08;18bx01899 ?
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