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23/06/2020 | FRANCE | N°18BX01676

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 23 juin 2020, 18BX01676


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner

le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'intervention chirurgicale réalisée le 17 mars 2008 et à lui rembourser les frais et honoraires d'expertise à hauteur de 1 465 euros.

Par un jugement n° 1602955 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

P

rocédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 avril 2018, M. E..., représenté par l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner

le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'intervention chirurgicale réalisée le 17 mars 2008 et à lui rembourser les frais et honoraires d'expertise à hauteur de 1 465 euros.

Par un jugement n° 1602955 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 avril 2018, M. E..., représenté par la SCP Catala et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le CHU de Bordeaux à lui verser une indemnité d'un montant total

de 50 000 euros et à lui rembourser les frais et honoraires d'expertise à hauteur de 1 465 euros ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux une somme de 2 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il ressort du compte-rendu de consultation du 22 mars 2011 que l'anosmie dont il souffre ne peut s'expliquer que par la suppression de la concha bullosa du cornet moyen droit lors de l'intervention du 17 mars 2008, ce qui démontre l'existence d'une faute lors de la réalisation de l'intervention ;

- il n'est pas démontré qu'il aurait été informé de l'apparition quasiment systématique d'une anosmie temporaire dans les suites immédiates de l'intervention ;

- il sollicite les sommes de 10 000 euros au titre des souffrances endurées évaluées

à 3 sur 7 par l'expert, de 20 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 8 % pour une perte totale de l'odorat, de 5 000 euros au titre de troubles du sommeil persistants, de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément et de 10 000 euros au titre du préjudice sexuel.

Par un mémoire enregistré le 12 octobre 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot Ravaut et Associés, demande à la cour de le mettre

hors de cause.

Il fait valoir que les préjudices de M. E... n'atteignent pas le seuil de gravité conditionnant son intervention au titre de la solidarité nationale.

Par un mémoire enregistré le 19 décembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde informe la cour de ce qu'elle n'entend pas intervenir dans l'instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2019, le CHU de Bordeaux, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- aucune faute médicale n'a été commise ;

- dès lors que le remodelage de la concha bullosa fait partie du geste de la septoplastie, sa disparition ne peut être regardée comme fautive ;

- la fiche de consentement éclairé signée par M. E... a été produite devant le tribunal ;

- à titre subsidiaire, seule une fraction du préjudice pourrait être mise à sa charge, et les demandes indemnitaires sont excessives, et pour certaines mal fondées.

Par une ordonnance du 17 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée

au 9 juillet 2019 à 12 heures.

Vu :

- l'ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux n° 1602954 du

10 mars 2017 liquidant et taxant les frais et honoraires d'expertise ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public,

- les observations de M. E..., de Me Bergeron, avocat, représentant le CHU de Bordeaux et de Me Nicolas, avocat, représentant l'ONIAM.

Une note en délibéré présentée par M. E... dans l'instance n° 18BX01676 a été enregistrée le 27 mai 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... a été adressé en juin 2006 au CHU de Bordeaux pour un syndrome d'apnée du sommeil. Un scanner des sinus a mis en évidence une déviation septale importante, un pseudo kyste du bas fond du sinus maxillaire droit et une concha bullosa droite.

Une septoplastie a été réalisée le 17 mars 2008 afin d'améliorer la ventilation nasale. Dans les suites de cette intervention, M. E... a perdu l'odorat. Imputant cette anosmie à une faute du CHU de Bordeaux, il a présenté une demande indemnitaire, rejetée par une décision

du 11 mai 2016. Puis il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, lequel a ordonné une expertise dont le rapport, déposé le 10 mars 2017, conclut que l'intervention

du 17 mars 2008 a été réalisée dans les règles de l'art et que l'anosmie définitive constitue une complication exceptionnelle de la septoplastie. M. E... relève appel du jugement

du 27 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande

de condamnation du CHU de Bordeaux à l'indemniser de ses préjudices.

Sur la responsabilité du CHU de Bordeaux :

En ce qui concerne la faute médicale :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...). "

3. Il résulte de l'instruction que l'intervention de septoplastie avait pour objet de corriger la déviation septale avec concha bullosa (pneumatisation du cornet nasal), ce qui a été fait avec succès dès lors qu'un scanner d'avril 2009 a retrouvé une cloison nasale parfaitement droite, des gouttières olfactives libres et la disparition de la concha bullosa. L'expert conclut que l'anosmie est imputable de façon directe, certaine et exclusive à l'intervention du 17 mars 2008, dont elle constitue un aléa thérapeutique sans aucune explication possible. Le compte-rendu

de consultation d'un chirurgien spécialisé en oto-rhino-laryngologie dont se prévaut

M. E... se borne à constater que la concha bullosa a été prise en charge lors du geste chirurgical de septoplastie, sans formuler aucune critique à l'encontre de ce geste, ni établir aucun lien entre la disparition de la concha bullosa, qui résulte de l'objet même de l'opération de rectification de la déviation de la cloison nasale, et l'anosmie définitive restée inexpliquée. Ainsi, cette pièce n'est pas de nature à démontrer l'existence d'une faute à l'origine du préjudice.

En ce qui concerne le défaut d'information :

4. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) "

5. L'expert a fait état de la consultation d'un document relatif au consentement éclairé du patient. Le CHU n'a produit devant les premiers juges qu'un document indiquant que le patient avait été éclairé sur sa maladie, ses risques, les bénéfices qu'il pouvait attendre

d'une intervention, les alternatives possibles et leur risque propre, sans expliciter aucunement

le contenu de ces informations, ce qui ne permet pas d'en affirmer la pertinence. Toutefois, l'expert relève que si l'anosmie est quasi systématique dans les suites immédiates

d'une septoplastie du fait du méchage et de l'inflammation post-opératoire, elle persiste rarement au-delà d'un mois. M. E... ne peut utilement faire valoir qu'il n'a pas été informé

du risque fréquent d'anosmie temporaire dès lors que le préjudice dont il demande l'indemnisation est une anosmie définitive, laquelle présente un caractère exceptionnel, et, malgré l'importance de la gêne qu'elle occasionne, ne peut être regardée comme grave au sens de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. Par suite, le défaut d'information n'engage pas la responsabilité du centre hospitalier.

Sur les conclusions de l'ONIAM tendant à sa mise hors de cause :

6. Le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit notamment que, lorsque la responsabilité d'un établissement de santé n'est pas engagée, un accident médical non fautif peut ouvrir droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, à la triple condition que ceux-ci soient directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins, qu'ils aient eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et qu'ils aient présenté un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire, ces conditions étant cumulatives. En vertu de l'article D. 1142-1 pris pour l'application de ces dispositions, ouvrent droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 24 % ou un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50 % pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de douze mois, en lien direct avec l'accident médical non fautif. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'anosmie, à l'origine d'un déficit fonctionnel temporaire de 10 % durant douze mois, puis permanent de 8 %, n'atteint pas ce seuil de gravité. Par suite, l'ONIAM est fondé à demander sa mise hors de cause.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'indemnisation.

Sur les frais d'expertise :

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / (...). " Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, liquidés et taxés à la somme

de 1 465 euros par une ordonnance du 10 mars 2017, à la charge définitive du CHU de Bordeaux.

Sur les frais liés au litige :

9. M. E..., qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander qu'une somme soit mise à la charge du CHU de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif

de Bordeaux, liquidés et taxés à la somme de 1 465 euros, sont mis à la charge définitive du CHU de Bordeaux.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1602955 du 27 février 2018

est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 26 mai 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme A... B..., présidente-assesseure,

M. Thierry Sorin, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 juin 2020.

Le président de la 2ème chambre,

Catherine Girault

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 18BX01676


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX01676
Date de la décision : 23/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Absence de faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme CHAUVIN
Avocat(s) : SCP CATALA et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-06-23;18bx01676 ?
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