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08/10/2020 | FRANCE | N°20BX01338

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 08 octobre 2020, 20BX01338


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 février 2019 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1902581 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enreg

istrée le 9 avril 2020, Mme D... épouse E..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 février 2019 par lequel le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 1902581 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 avril 2020, Mme D... épouse E..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 7 novembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 février 2019 du préfet du Tarn en tant qu'il a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;

3°) d'enjoindre au préfet du Tarn de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que le tribunal a répondu au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte alors qu'il n'avait pas été soulevé ;

- le jugement méconnait l'autorité de la chose jugée en ce que le tribunal répond aux conclusions tendant à l'annulation des décisions l'obligeant à quitter le territoire et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement alors que ces décisions ont été annulées par jugement du 12 juin 2019 ;

- le jugement n'est pas suffisamment motivé en ce qui concerne la réponse aux moyens tirés du défaut d'examen de sa situation et des erreurs de fait ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreurs de fait substantielles quant à la durée de la vie commune et de sa présence en France ;

- la décision de refus de titre de séjour méconnait les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire enregistré le 24 août 2020, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens développés par Mme E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'accord franco-marocain ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... D... épouse E..., née le 1er janvier 1980, de nationalité marocaine, qui déclare être entrée en France en mars 2014, a déposé une demande d'admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale le 27 novembre 2017. Par un arrêté du 18 février 2019, le préfet du Tarn a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par un arrêté du 6 juin 2019, le préfet du Tarn l'a assignée à résidence. Par un jugement n° 1902581, 1903063 du 12 juin 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a renvoyé les conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour devant une formation collégiale et a annulé l'arrêté du 18 février 2019 en tant qu'il a obligé Mme D... épouse E... à quitter le territoire dans le délai de trente jours et en tant qu'il a fixé le pays de renvoi. Mme D... épouse E... relève appel du jugement n° 1902581 du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 février 2019.

Sur la régularité du jugement en tant qu'il statue sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français et de celle fixant le pays de renvoi :

2. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. En cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. (...) / L'étranger faisant l'objet d'une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 peut, dans le même délai, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision. Les décisions mentionnées au premier alinéa du présent III peuvent être contestées dans le même recours lorsqu'elles sont notifiées avec la décision d'assignation. / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours. (...) / Il est également statué selon la procédure prévue au présent III sur le recours dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français par un étranger qui est l'objet en cours d'instance d'une décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2. Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin statue dans un délai de cent quarante-quatre heures à compter de la notification par l'administration au tribunal de la décision de placement en rétention ou d'assignation (...) ". Aux termes de l'article R. 776-17 du code de justice administrative : " Lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence après avoir introduit un recours contre la décision portant obligation de quitter le territoire ou après avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle en vue de l'introduction d'un tel recours, la procédure se poursuit selon les règles prévues par la présente section (...) Toutefois, lorsque le requérant a formé des conclusions contre la décision relative au séjour notifiée avec une obligation de quitter le territoire, il est statué sur cette décision dans les conditions prévues à la sous-section 1 ou à la sous-section 2 de la section 2, selon le fondement de l'obligation de quitter le territoire (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le 6 juin 2019, soit postérieurement à la saisine du tribunal administratif, Mme D... épouse E... a fait l'objet d'un arrêté portant assignation à résidence dont les premiers juges avaient connaissance lorsqu'ils ont statué sur le recours formé par Mme D... épouse E... à l'encontre de l'arrêté du 18 février 2019. Dans ces conditions, les conclusions dirigées contre les mesures portant éloignement et fixation du pays de renvoi, contenues dans l'arrêté en litige, relevaient, en vertu des dispositions précitées, non de la compétence d'une formation collégiale, mais de celle d'un magistrat désigné pour statuer dans un délai de 72 heures à compter de la notification par l'administration au tribunal de la décision d'assignation. D'ailleurs, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a annulé, par un jugement du 12 juin 2019, l'arrêté du 18 février 2019 en tant qu'il a obligé Mme D... épouse E... à quitter le territoire dans le délai de trente jours et en tant qu'il a fixé le pays de renvoi. Par suite, le tribunal administratif de Toulouse a méconnu son office en statuant en formation collégiale, par son jugement du 7 novembre 2019, sur les conclusions présentées par Mme D... épouse E... à l'encontre de la décision lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français et celle fixant le pays de renvoi alors que le magistrat désigné s'était déjà prononcé sur ces conclusions par le jugement du 12 juin 2019. Il y a lieu dès lors d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a statué sur ces conclusions.

Sur les conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

5. La circonstance qu'un étranger est susceptible de bénéficier d'une procédure de regroupement familial ne le prive pas de la faculté de se prévaloir, le cas échéant, de l'atteinte disproportionnée qu'un refus de titre de séjour porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Mme D... épouse E..., qui déclare être entrée en France en mars 2014, justifie, par la production de factures et avis d'imposition des années 2015 et 2016, d'une vie commune depuis juillet 2015 avec M. B... E..., ressortissant marocain, titulaire d'une carte de résident de dix ans valable jusqu'au 21 avril 2021, avec lequel elle s'est mariée le 20 septembre 2017. De cette union est né un enfant le 20 octobre 2016 à Arles. M. E..., qui séjourne en France depuis plus de 20 ans, est père de trois enfants de nationalité française issus d'une précédente union et est titulaire d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'ouvrier forestier. Par suite, dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à la durée de la vie commune de M. et Mme E..., le refus de titre de séjour a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée eu égard aux motifs de ce refus et a, ainsi, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement en tant qu'il statue sur le refus de titre de séjour et les autres moyens de la requête, que Mme D... épouse E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 février 2019 en tant qu'il lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

8. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique, eu égard au motif sur lequel elle se fonde, la délivrance à Mme D... épouse E... d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date du présent arrêt des éléments de droit ou de fait nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose à la demande de Mme D... épouse E... une nouvelle décision de refus. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Tarn de procéder à cette délivrance dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement à Mme D... épouse E... de la somme de 1 200 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1902581 du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet du Tarn du 18 février 2019 est annulé en tant qu'il a refusé à Mme D... épouse E... la délivrance d'un titre de séjour.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Tarn de délivrer à Mme D... épouse E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme D... épouse E... une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Tarn.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, président,

M. Didier Salvi, président-assesseur,

Mme F..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 octobre 2020.

Le rapporteur,

F...Le président,

Marianne Hardy

Le greffier,

Stéphan Triquet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX01338 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01338
Date de la décision : 08/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Nathalie GAY-SABOURDY
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : DUJARDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-10-08;20bx01338 ?
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