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03/11/2020 | FRANCE | N°18BX03448

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 03 novembre 2020, 18BX03448


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de constater le comportement fautif du centre hospitalier Andrée Rosemon dans le cadre de faits de harcèlement moral dont elle allègue avoir été victime en 2005, de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à lui verser une somme de 40 000 euros au titre du préjudice résultant d'un syndrome dépressif réactionnel, et d'enjoindre au centre hospitalier Andrée Rosemon de lui verser la somme de 12 124 euros au titre d'une prime forfaitaire

susceptible d'être attribuée aux aides-soignants des établissements relevan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane de constater le comportement fautif du centre hospitalier Andrée Rosemon dans le cadre de faits de harcèlement moral dont elle allègue avoir été victime en 2005, de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à lui verser une somme de 40 000 euros au titre du préjudice résultant d'un syndrome dépressif réactionnel, et d'enjoindre au centre hospitalier Andrée Rosemon de lui verser la somme de 12 124 euros au titre d'une prime forfaitaire susceptible d'être attribuée aux aides-soignants des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique.

Par un jugement n° 1600753 du 14 juin 2018 le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 septembre 2018 et régularisée le 12 octobre 2018, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 14 juin 2018 ;

2°) de condamner le centre hospitalier Andrée Rosemon à lui verser la somme forfaitaire de 40 000 euros au titre du préjudice subi du fait du harcèlement moral dont elle a été victime en 2005 ;

3°) d'enjoindre au centre hospitalier Andrée Rosemon de lui verser la somme de 12 124 euros au titre d'une prime forfaitaire susceptible d'être attribuée aux aides-soignants des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier Andrée Rosemon une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier de Cayenne a commis une double faute en ne prenant pas les mesures nécessaires à sa sécurité, pour protéger sa santé physique et mentale, et pour arrêter le harcèlement dont elle a été victime ;

- le directeur du centre hospitalier Andrée Rosemon est responsable, en sa qualité d'employeur, du harcèlement moral et de l'agression dont elle a été victime ; il n'a pris aucune mesure pour prévenir cette agression alors que les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail imposent à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des salariés et protéger leur santé physique et mentale. Il a ainsi manqué à l'obligation de résultat qui lui incombe ;

- le préjudice est établi par le développement d'un syndrome dépressif réactionnel survenu après les faits et ayant dû faire l'objet d'une hospitalisation d'un mois en 2006 ;

- la circonstance qu'elle a été en arrêt maladie de 2006 à 2008 ne devait pas faire obstacle au versement de la prime forfaitaire susceptible d'être attribuée aux aides-soignants des établissements visés au livre IX du code de la santé publique, prévue par l'arrêté du 23 avril 1975.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2019, le centre hospitalier André Rosemon conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête de Mme A..., qui se borne à reprendre à l'identique les arguments développés en première instance sans préciser en quoi les premiers juges auraient commis une quelconque erreur dans l'appréciation des moyens ainsi soulevés ni, en conséquence, les raisons de fait ou de droit pour lesquelles ils auraient eu tort de les écarter, est irrecevable ;

- les demandes indemnitaires étaient irrecevables compte tenu de la prescription quadriennale ; les faits se sont déroulés au mois d'octobre 2005 et la prescription n'a fait l'objet d'aucune interruption depuis cette date ;

- l'appelante ne saurait utilement se prévaloir d'une créance résultant des primes annuelles de 2006, 2007 et 2008 - qu'elle estime à tort ne pas avoir perçues - alors même qu'elle n'a accompli aucun acte interruptif de prescription, comme l'a légitimement admis le tribunal administratif de la Guyane dans son jugement ;

- le harcèlement moral, tel que défini par les dispositions de l'article 6 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, n'est pas caractérisé ;

- la requérante n'est pas fondée à soutenir aujourd'hui que le centre hospitalier Andrée Rosemon aurait commis une faute en ne prévenant pas une agression qui était totalement imprévisible ;

- l'agression dont elle a été victime résulte d'une faute personnelle détachable du service dont il ne saurait assumer la responsabilité, et au surplus celle-ci fait l'objet d'une procédure pénale au cours de laquelle l'intéressée s'est portée partie civile, sans que le jugement sur intérêts civils soit porté à la connaissance du centre hospitalier ;

- le moyen tiré du non-respect de l'obligation de sécurité imposée à l'employeur par les dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail est inopérant, ces dispositions n'étant pas applicables aux agents publics ;

- en l'absence de précision sur sa demande indemnitaire exorbitante tendant à la réparation d'un préjudice à hauteur de 40 000 euros, la juridiction ne pourra que rejeter les prétentions de l'appelante et ce, d'autant plus qu'elle a choisi de s'adresser au juge judiciaire pour obtenir l'indemnisation par la personne qui l'a agressée des préjudices qu'elle a subis.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., présidente de chambre,

- les conclusions de Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., secrétaire administratif au centre hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) de Cayenne, a adressé à ses supérieurs hiérarchiques les 3, 10 et 20 octobre 2005 des courriers faisant état d'un différend avec une de ses collègues. Le 30 novembre 2005, à l'occasion d'une réunion ayant pour objet de régler ce différend, elle a fait l'objet d'une agression physique de la part de celle-ci. Ces faits ont donné lieu à des procédures pénales et civiles ayant abouti notamment à la condamnation de l'auteur de l'agression. Par la suite Mme A..., qui souffrait de cervicalgies et d'un syndrome dépressif, a fait l'objet d'une hospitalisation du 6 avril au 6 mai 2006, puis d'un arrêt de travail prolongé jusqu'au 22 janvier 2007. Par courrier daté du 19 juillet 2016, elle a demandé au directeur du centre hospitalier Andrée Rosemon une indemnité de 40 000 euros au titre d'un préjudice consécutif à un harcèlement moral et à l'agression physique subie sur son lieu de travail le 30 novembre 2005, ainsi que la somme de 12 124 euros au titre d'une prime forfaitaire susceptible d'être attribuée aux aides-soignants des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique qui ne lui aurait pas été versée pour les années 2006, 2007 et 2008. Elle relève appel du jugement du 14 juin 2018 du tribunal administratif de la Guyane qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser ces sommes.

Sur le bien -fondé du jugement :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, dans sa version applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ".

3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. En l'espèce, Mme A... soutient qu'elle a été victime, avant son agression, de violences physiques et psychologiques de la part d'une collègue sur son lieu de travail et que ces faits seraient constitutifs de harcèlement moral. Elle reproche à la direction du centre hospitalier Andrée Rosemon de ne pas avoir mis fin à cette situation. Toutefois, elle se borne à faire le récit des événements précédant l'agression, sans produire d'autres éléments de preuve pour établir la matérialité des faits qu'elle invoque que des courriers des 3, 10 et 20 octobre 2005 par lesquels elle a informé ses supérieurs hiérarchiques de la situation. Il résulte de ces courriers qu'elle avait suspecté sa collègue de procéder à la rétention de produits d'entretien, ce qui lui avait valu des insultes, puis d'avoir volontairement fait disparaitre à deux reprises une affiche incitant au respect, à la dignité humaine et à l'estime de soi à l'accueil du service psychiatrie, et qu'elle accusait sa collègue, qui serait souvent absente, d'avoir mis en place un système de terreur en invectivant ses collègues pour imposer " ses volontés ". De telles accusations relèvent d'une situation conflictuelle entre collègues et les évènements relatés ont eu lieu sur une période de temps très courte. Ces éléments ne sont pas suffisants pour permettre au juge de présumer que les faits allégués soient constitutifs de harcèlement moral.

En ce qui concerne la responsabilité de l'administration en raison d'un manquement à une obligation de sécurité :

6. Si la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail, qui ne sont pas applicables aux agents publics hospitaliers, il est constant que les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet.

7. Les courriers de signalement de Mme A..., adressés le même jour à trois personnes différentes, le cadre infirmier, le chef de service et la responsable administrative, ne sauraient être regardés comme n'ayant donné lieu à aucune réponse de la hiérarchie alors que le premier de ces courriers constitue un compte-rendu sollicité par la responsable administrative, et que l'administration a pris en compte cette situation en convoquant les intéressées à une réunion ayant pour objet de normaliser leur relation de travail le 30 novembre 2005. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait manqué à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des agents sous sa responsabilité, notamment dans le cadre de la prévention du risque général lié au harcèlement moral, et l'agression dont Mme A... a été victime étant imprévisible, aucune faute n'est caractérisée pour ne l'avoir pas prévenue.

En ce qui concerne le préjudice né de l'agression survenue le 30 novembre 2005 :

8. Pour rejeter la demande de réparation du préjudice de Mme A... résultant de l'agression physique dont elle a été victime par une de ses collègues le 30 novembre 2005, les premiers juges ont relevé qu'il ressortait des pièces du dossier que, d'une part, la responsabilité de l'agression ne peut être imputée qu'à son ancienne collègue, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une condamnation pénale le 16 mai 2013 et d'autre part que, le directeur du centre hospitalier Andrée Rosemon a reconnu l'imputabilité au service de son agression, lui maintenant l'intégralité de sa rémunération à hauteur de 90 000 euros et lui accordant, au titre de la protection fonctionnelle, la prise en charge de ses frais d'avocats à hauteur de 1 800 euros. Mme A..., qui n'a pas déféré à la demande d'information de la cour quant aux suites données par la juridiction judiciaire à sa demande d'intérêts civils contre son agresseur, évoquée par le centre hospitalier, n'apporte en appel aucun élément nouveau de nature à justifier l'indemnisation par son employeur du préjudice moral invoqué. Par suite, elle n'est pas fondée à se plaindre que le tribunal a rejeté sa demande.

En ce qui concerne le versement de primes annuelles pour les années 2006, 2007 et 2008 :

9. Mme A... reprend, dans ses conclusions d'appel, ses conclusions indemnitaires relatives à l'attribution de la prime forfaitaire susceptible d'être attribuée aux aides-soignants des établissements relevant du livre IX du code de la santé publique qu'elle n'aurait pas reçue pendant qu'elle était en arrêt maladie de 2006 à 2008, sans toutefois critiquer l'exception de prescription quadriennale qui lui a été opposée par les premiers juges. Ces conclusions ne peuvent dès lors qu'être rejetées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir ni l'exception de prescription opposée par le centre hospitalier à l'ensemble des conclusions indemnitaires, Mme A... n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Andrée Rosemon, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par Mme A... au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme demandée par le centre hospitalier Andrée Rosemon sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier Andrée Rosemon présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au centre hospitalier Andrée Rosemon.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

Mme Catherine D..., président,

Mme Anne Meyer, président-assesseur,

Mme Kolia Gallier, conseiller.

Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

Le premier assesseur,

Anne Meyer Le président,

Catherine D...

Le greffier,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

18BX03448


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18BX03448
Date de la décision : 03/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme BEUVE-DUPUY
Avocat(s) : O TSHEFU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2020-11-03;18bx03448 ?
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