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09/03/2021 | FRANCE | N°20BX03780

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 09 mars 2021, 20BX03780


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 avril 2020 par lequel la préfète de la Gironde a constaté la péremption de sa carte de résident, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 20BX02520 du 21 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 avril 2020 en tant qu'il porte refus de déli

vrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... F... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 avril 2020 par lequel la préfète de la Gironde a constaté la péremption de sa carte de résident, a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 20BX02520 du 21 octobre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 avril 2020 en tant qu'il porte refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi, a enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. F... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions de M. F....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2020, la préfète de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 octobre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de M. F... le versement à l'Etat d'une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le refus de délivrance d'un titre de séjour ne méconnaît pas le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; si l'intéressé est marié depuis le 3 novembre 2004 avec une Française, la vie commune a été rompue durant son incarcération pendant plusieurs années en Norvège ; rien n'indique qu'il a regagné son foyer à son retour en France en mars 2013 ; son épouse est décédée le 28 avril 2019 et le couple n'a pas eu d'enfant ; M. F... fait valoir sa relation avec une ressortissante du Montenegro et la naissance de leur enfant le 30 juin 2019 mais sa compagne, entrée en France à une date indéterminée postérieure au 9 mai 2019 alors qu'elle était enceinte de huit mois, est en situation irrégulière et il entretenait avec elle, hors de France, une relation alors qu'il se prévalait de la qualité de conjoint de Français ; il n'apparaît pas qu'il souhaite établir son nouveau foyer familial en France ; M. F... ne peut pas davantage se prévaloir de sa qualité de tuteur de son beau-père ni de ses liens avec celui-ci dès lors qu'il a été dans l'incapacité de s'occuper de lui pendant son incarcération en Norvège ; cette personne demeurant dans une unité de soins de longue durée, M. F... ne fait qu'assumer les démarches administratives le concernant et n'a pas à l'accompagner au quotidien ; de plus, un nouveau tuteur peut être désigné par la justice ; la présence en France de l'un de ses frères qui a la qualité de réfugié ne lui ouvre pas droit au séjour ; il n'apparaît pas qu'il n'aurait plus de liens avec les autres membres de sa famille qui résident au Kosovo et en Italie ; durant sa présence en France, il effectuait de fréquents séjours à l'étranger, au moins deux fois par an ; il n'a été délivré une autorisation provisoire de séjour à l'intéressé que pour respecter le jugement d'annulation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2021, M. F..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et subsidiairement, à l'annulation de l'arrêté contesté, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de résident dans le délai d'un mois suivant la décision à intervenir ou, à défaut, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le même délai, très subsidiairement, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande dans le même délai et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, d'assortir l'injonction d'une astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son profit d'une somme de 1 440 euros TTC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens invoqués par la préfète ne sont pas fondés ;

- au titre de l'appel incident, que le préfet a commis un détournement de procédure en mettant près de 3 ans à instruire sa demande et a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme G... A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., de nationalité kosovare, né le 11 août 1982, est entré au mois de janvier 2004 en France où sa demande d'asile a été rejetée en 2005. Marié avec une Française le 18 septembre 2004, il a été titulaire de titres de séjour en cette qualité sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile puis, à compter du 22 novembre 2007, d'une carte de résident dont la validité courrait initialement jusqu'au 21 novembre 2017. Interpellé en Norvège le 28 janvier 2008 pour avoir transporté de la cocaïne, il a été condamné le 4 mars 2009, dans ce pays, à une peine de 9 ans d'emprisonnement. Libéré de façon anticipé en raison notamment de l'état de santé de son épouse, décédée le 28 avril 2019 des suites d'une maladie diagnostiquée en 2012, il est revenu en France le 20 mars 2013. Le 29 août 2017, il a demandé le renouvellement de sa carte de résident. Par arrêté du 29 avril 2020, la préfète de la Gironde a constaté la péremption de sa carte de résident, a refusé de lui délivrer une nouvelle carte de résident ainsi qu'un titre de séjour valable un an, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. La préfète fait appel du jugement du 21 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 29 avril 2020 en tant qu'il porte refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi, et lui a enjoint de délivrer à M. F... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement. M. F... conclut au rejet de la requête et, subsidiairement, à l'annulation totale de l'arrêté préfectoral du 29 avril 2020.

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il ressort des pièces du dossier que M. F... a quitté son pays d'origine depuis 16 ans, qu'il a résidé sur le territoire français pendant plus de 11 ans, pour l'essentiel en situation régulière, et qu'il était marié avec une ressortissante française depuis 15 ans à la date du décès de celle-ci. Ainsi que l'a également relevé le tribunal, il justifie de la continuité de la vie commune avec son épouse, à l'exception de sa période d'incarcération en Norvège, alors même qu'il a entamé au cours de l'année 2018, une relation sentimentale avec une ressortissante du Montenegro avec laquelle il a eu une fille née le 30 juin 2019 à Bordeaux. Il précise au demeurant, sans qu'aucun élément ne permette de douter de la véracité de ses affirmations, que cette relation avait reçu l'approbation de son épouse qui se savait alors gravement malade et avec laquelle il n'avait pu avoir d'enfant. Aucun élément du dossier ne permet de mettre en doute la présence de M. F... auprès de son épouse, après son retour de Norvège, l'intéressé produisant plusieurs témoignages circonstanciés de proches attestant du soutien qu'il lui a apporté durant sa maladie. Il est propriétaire du logement qu'il occupait avec son épouse, celle-ci, décédée comme il a été dit, le 28 avril 2019, lui ayant légué le bien. Le 30 juillet 2019, une décision du juge des tutelles l'a désigné comme tuteur de M. C..., père de son épouse, et une attestation du médecin coordonnateur de l'unité de soins de longue durée du centre hospitalier de Bordeaux où réside celui-ci indique que M. F..., ainsi que son frère, résidant en France sous le statut de réfugié depuis 2002, rendent régulièrement visite à M. C..., qu'ils sont les seules personnes présentes dans l'entourage familial et amical de celui-ci et que leur présence est essentielle à son équilibre psychique. Il ressort également des pièces du dossier et notamment des certificats de formation et des nombreuses attestations circonstanciées produites au dossier, et notamment celles du maire de Martillac, commune où il résidait avec son épouse et où il réside encore, qu'il a acquis la pratique de la langue française et est bien inséré dans la société française. Il fait également état, sans que ses affirmations soient utilement contestées, d'interventions des autorités françaises après des autorités norvégiennes qui auraient abouti à sa libération anticipée et il ressort des pièces du dossier que les faits pour lesquels il a été condamné, malgré leur gravité, apparaissent isolés et ne s'inscrivent pas dans un parcours de délinquance habituelle. Ces faits sont par ailleurs anciens. Enfin, il produit les justificatifs concernant les différents emplois qu'il a occupés depuis son arrivée en France et justifie, en particulier, avoir suivi des formations et travaillé depuis son retour de Norvège, notamment en juillet et août 2013, de mars à décembre 2014, en avril et mai 2017 et depuis le 6 septembre 2017, date à laquelle il a pris un emploi en contrat à durée indéterminée en qualité de chauffeur, livreur et monteur de meubles. Il ne résulte d'aucune pièce du dossier que les voyages régulièrement effectués hors de France par M. F... dont la préfète fait état et dont l'intéressé soutient qu'ils sont motivés par des visites à sa famille, traduiraient de sa part, eu égard à leur fréquence et leur durée, une rupture des liens privés et familiaux qu'il a noués en France depuis plusieurs années. Il en va de même de la relation qu'il a nouée avec sa compagne de nationalité monténégrine, celle-ci ayant accouché en France de leur enfant. Dans ces conditions, et alors même que M. F... a ses parents et l'un de ses frères au Kosovo et l'une de ses soeurs en Italie, il doit être regardé, compte tenu des pièces du dossier, comme ayant en France des liens personnels et familiaux dont l'intensité, l'ancienneté et la stabilité sont avérés et comme justifiant d'une réelle insertion sociale et professionnelle dans la société française. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé le refus de délivrance d'un titre de séjour opposé à M. F... comme méconnaissant l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et qu'ils ont, en conséquence, annulé l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi et enjoint à l'administration de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

4. M. F... présente des conclusions incidentes dirigées contre le jugement en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 29 avril 2020 en ses dispositions constatant la péremption de sa carte de résident et le refus de lui délivrer une nouvelle carte de résident. Ces conclusions incidentes ne sont toutefois présentées qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ferait droit à l'appel principal présenté par la préfète. Ainsi, et dès lors que le présent arrêt rejette l'appel principal de la préfète, il n'y a pas lieu de se prononcer sur ces conclusions incidentes.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. F..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à l'Etat de la somme demandée par la préfète de la Gironde au titre des frais qui auraient été exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. F... de la somme de 1 200 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la préfète de la Gironde est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. F... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. I... F.... Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 9 février 2021 à laquelle siégeaient :

Mme G... A..., présidente,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

Mme D... E..., première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2021

La présidente-rapporteure,

Elisabeth A...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

N° 20BX03780


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03780
Date de la décision : 09/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : PERRIN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-03-09;20bx03780 ?
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