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04/11/2021 | FRANCE | N°19BX04093

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 04 novembre 2021, 19BX04093


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'Agen de réformer la décision du 19 février 2018 par laquelle la ministre des armées lui a accordé à titre temporaire une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique en tant qu'elle en a fixé le taux à 30 % au lieu de 40 % et qu'elle a rejeté ses demandes relatives aux infirmités de séquelles de contusion de l'épaule droite et d'hypoacousie droite.

Par un jugement du 8 juillet 2019, le tribunal

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'Agen de réformer la décision du 19 février 2018 par laquelle la ministre des armées lui a accordé à titre temporaire une pension militaire d'invalidité pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique en tant qu'elle en a fixé le taux à 30 % au lieu de 40 % et qu'elle a rejeté ses demandes relatives aux infirmités de séquelles de contusion de l'épaule droite et d'hypoacousie droite.

Par un jugement du 8 juillet 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 septembre 2019 et des mémoires enregistrés les 10 janvier et 16 mars 2020, M. B..., représenté par la SCP Tucoo-Chala, demande à la cour :

1°) d'ordonner avant dire droit une expertise médicale afin de déterminer les taux des infirmités ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal des pensions militaires d'Agen du 8 juillet 2019 ;

3°) de réformer la décision du 19 février 2018 et de fixer à 40 % le taux de l'infirmité d'état de stress post-traumatique ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne l'hypoacousie droite :

- les acouphènes sont antérieurs aux événements ayant déclenché l'état de stress post-traumatique, de vives douleurs à l'oreille droite ayant été constatées lors d'une séance de tirs le 17 octobre 2011 ; l'affirmation de l'expert selon laquelle ils seraient plus en rapport avec un traumatisme psychique qu'auditif n'est pas médicalement justifiée ; c'est ainsi à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande d'expertise ;

En ce qui concerne les séquelles de contusions de l'épaule droite :

- une nouvelle expertise s'impose dès lors que l'expert a retenu un taux de 5 % ;

En ce qui concerne l'état de stress post-traumatique :

- l'administration ayant retenu un taux inférieur à celui proposé par l'expert, il est fondé à solliciter une nouvelle expertise ;

- l'expert a retenu un taux de 40 % correspondant à des troubles modérés selon le guide-barème compte tenu de cauchemars réactivés par les attentats récents, d'une hypervigilance avec évitement des lieux publics, d'une irritabilité toujours présente, de reviviscences fréquentes des événements traumatiques et d'un émoussement affectif ; il suit un traitement comme l'a indiqué l'expert ; le deuxième avis de la commission de réforme n'est pas motivé médicalement ; c'est ainsi à tort que les premiers juges ont retenu un taux de 30 % à mi-chemin entre les troubles légers et les troubles modérés en se fondant sur l'appréciation arbitraire de l'administration ; un certificat médical du 8 novembre 2018 relève l'évolution fluctuante de son état de santé depuis l'automne 2017 ainsi qu'une aggravation de la symptomatologie, et conclut à la nécessité d'un renouvellement de son congé de longue durée pour une cinquième période de six mois.

Par des mémoires en défense enregistrés le 11 décembre 2019 et le 27 janvier 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

En ce qui concerne les séquelles de contusions de l'épaule droite :

- la requête d'appel non motivée est irrecevable ;

En ce qui concerne l'hypoacousie droite :

- les acouphènes ont été évalués par l'expert au taux de 5 % inférieur au minimum indemnisable, et M. B... n'apporte aucun élément tendant à contester l'absence d'hypoacousie après un examen audiométrique et un examen ORL ;

En ce qui concerne l'état de stress post-traumatique :

- elle n'était pas tenue de suivre l'évaluation de l'expert ; le médecin chargé des pensions militaires, dans son avis du 14 novembre 2017 confirmé le 23 janvier 2018 par la commission consultative, a évalué le taux de l'infirmité à 30 % après avoir relevé que le début d'isolement social s'est amendé, que l'intéressé ne prend pas de traitement médicamenteux car il l'a refusé, et qu'il convient de qualifier les symptômes de légers à modérés ; l'aggravation constatée depuis l'automne 2017 ne correspond pas aux troubles invoqués au moment de la demande.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;

- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Tucoo-Chala, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né en 1989, caporal-chef de l'armée de terre en activité, a sollicité le 10 avril 2017 une pension militaire d'invalidité pour les infirmités d'état de stress post-traumatique, de séquelles de contusion de l'épaule droite et d'hypoacousie droite. Par une décision du 19 février 2018, la ministre des armées lui a octroyé une pension temporaire au taux de 30 % avec jouissance du 3 avril 2017 au 2 avril 2020 pour l'infirmité d'état de stress post-traumatique et a rejeté le surplus de sa demande. M. B... relève appel du jugement du 8 juillet 2019 par lequel le tribunal des pensions militaires d'Agen a rejeté sa demande de réformation de cette décision.

2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service (...) ". Aux termes de l'article L. 121-5 du même code : " La pension est concédée : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / (...). "

3. En premier lieu, en se bornant à affirmer qu'une nouvelle expertise s'impose sans apporter aucun élément tendant à critiquer le taux de 5 % retenu pour les séquelles de contusion de l'épaule droite par l'expert spécialisé en orthopédie et traumatologie qui l'a examiné le 25 septembre 2017, M. B... n'assortit pas sa demande d'organisation d'une nouvelle expertise des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. B... a présenté un traumatisme aigu de l'oreille droite lors d'une séance de tir le 17 octobre 2011 et que les tirs et les explosions auxquels il a été exposé en milieu clos le 20 novembre 2015 lors d'une opération de libération d'otages au Mali ont été à l'origine d'acouphènes. L'expert spécialisé en otorhinolaryngologie qui l'a examiné pour acouphènes et hypoacousie le 18 septembre 2017 a constaté que les conduits auditifs et les tympans étaient normaux et a réalisé un audiogramme. Il a conclu à l'absence d'hypoacousie et à la présence d'acouphènes bilatéraux surtout droits, évalués à un taux de 5 %. La circonstance qu'il a estimé, au vu des examens, que les acouphènes étaient plus en rapport avec un traumatisme psychique qu'auditif, n'est pas de nature à mettre en cause les conclusions de l'expertise. Par suite, la demande d'une nouvelle expertise avant dire droit ne peut être accueillie.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 125-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général. " Aux termes de l'article D. 125-4 du même code : " Le taux d'invalidité mentionné à l'article L. 125-1 est déterminé par le guide-barème des invalidités annexé au présent code. / (...). " En matière de troubles psychiques, le guide-barème fixe une échelle de six niveaux de troubles de fonctionnement, soit 0 % pour l'absence de troubles décelables, 20 % pour des troubles légers, 40 % pour des troubles modérés, 60 % pour des troubles intenses, 80 % pour des troubles très intenses et 100 % pour une destruction psychique totale. Il précise que la démarche clinique est globalisante, que l'expert, sans procéder à des estimations à 5 % près, peut proposer des pourcentages intermédiaires dans la mesure où un cas particulier se situerait entre deux niveaux. Il indique que les pourcentages ne sont pas des repères sur une échelle analogique, étant donné l'hétérogénéité des éléments compris dans le terme d'intégrité psychique et le fait qu'une évaluation clinique relève d'un jugement et non d'une mesure physique, mais des nombres indicatifs du degré de souffrance existentielle. Il fixe comme critères constitutifs de l'évaluation de l'invalidité : " 1. La souffrance psychique : l'expert l'appréciera à partir de l'importance des troubles, de leur intensité et de leur richesse symptomatique. Cette souffrance est éprouvée consciemment ou non par le sujet et/ou perçue par l'entourage ; / 2. La répétition : elle s'exprime, au sens psychopathologique, par des troubles au long cours ou rémittents ; / 3. La perte relative de la capacité relationnelle et le rétrécissement de la liberté existentielle : ce troisième critère, consécutif dans une certaine mesure aux précédents, concerne le mode de relation à autrui et le degré d'inadéquation des conduites aux situations. ". Il prévoit enfin que " Doivent être pris en compte également des critères positifs tels que : / - la capacité de contrôle des affects et des actes ; / - le degré de tolérance à l'angoisse et à la peur ; / - l'aptitude à différer les satisfactions et à tenir compte de l'expérience acquise ; / - les possibilités de créativité, d'orientation personnelle et de projet. ".

6. Il résulte de l'instruction que l'état de stress post-traumatique est en lien avec l'opération de libération d'otages du 20 novembre 2015 mentionnée au point 4, lors de laquelle M. B... a été confronté à des " scènes de massacres comportant plusieurs dizaines de corps ", et qu'il a été à l'origine d'un congé de longue maladie dont le cinquième renouvellement pour une durée de six mois à compter du 23 novembre 2018 a été prescrit par un certificat médical du 8 novembre 2018. L'expert psychiatre qui a examiné M. B... le 23 août 2017 a relevé que l'état de stress post-traumatique aigu, puis d'intensité importante, avait diminué avec la consultation régulière d'un psychiatre, que des cauchemars à thème de violence persistaient et étaient réactivés par tous les attentats, y compris celui qui avait eu lieu à Barcelone peu avant l'expertise, qu'il existait une hypervigilance avec évitement des lieux publics, que l'irritabilité avait diminué mais était toujours présente, que les reviviscences des événements traumatiques survenaient fréquemment, environ deux à trois fois par semaine, et qu'il y avait un émoussement affectif, mais aussi une reprise des contacts sociaux qui avaient été interrompus. Cette description au regard des critères fixés par le guide-barème correspond à des troubles modérés devant être évalués à 40 %, et non à des symptômes légers à modérés justifiant un taux intermédiaire de 30 %. Ni l'amélioration constatée par rapport aux phases aiguë et importante du stress post-traumatique, ni le fait que l'intéressé avait refusé un traitement médicamenteux, ne sont de nature, contrairement à ce qu'a estimé le médecin de l'administration chargé de donner un avis sur les demandes de pensions, à mettre en cause le taux de 40 % retenu par l'expert.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation de la décision de la ministre des armées du 19 février 2018 en tant qu'elle fixe à 30 % le taux de la pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de stress post-traumatique ainsi que, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué.

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que la ministre des armées est tenue de faire droit à la demande de M. B... tendant à la prise en compte de l'infirmité de stress post-traumatique au taux de 40 % du 3 avril 2017 au 2 avril 2020. Par suite, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à la liquidation des droits à pension correspondants dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision de la ministre des armées du 19 février 2018 est annulée en tant qu'elle fixe à 30 % le taux de la pension militaire d'invalidité temporaire allouée à M. B....

Article 2 : Le jugement du tribunal des pensions militaires d'Agen du 8 juillet 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est enjoint à la ministre des armées de procéder à la liquidation des droits à pension de M. B... en tenant compte de l'infirmité de stress post-traumatique au taux de 40 % avec jouissance du 3 avril 2017 au 2 avril 2020 dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2021.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 19BX04093


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04093
Date de la décision : 04/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

48-01-03-01 Pensions. - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. - Caractère des pensions concédées. - Barèmes.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : TUCOO-CHALA

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-11-04;19bx04093 ?
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