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15/12/2021 | FRANCE | N°19BX04486

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 15 décembre 2021, 19BX04486


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile de construction vente Les Cèdres Bleus a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la commune d'Ondres à lui payer une somme de 980 170 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre d'une procédure de préemption.

Par un jugement n° 1702582 du 7 mai 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2019, et des mémoires enregistrés les 24 mars 2021 e

t 29 mars 2021, la société civile de construction vente Les Cèdres Bleus représentée par Me Cambr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile de construction vente Les Cèdres Bleus a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la commune d'Ondres à lui payer une somme de 980 170 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre d'une procédure de préemption.

Par un jugement n° 1702582 du 7 mai 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2019, et des mémoires enregistrés les 24 mars 2021 et 29 mars 2021, la société civile de construction vente Les Cèdres Bleus représentée par Me Cambriel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 mai 2019 du tribunal administratif de Pau ;

2°) à titre principal, de condamner la commune d'Ondres à lui payer une somme de 980 170 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre d'une procédure de préemption, subsidiairement de désigner un expert pour évaluer le préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la délibération du conseil municipal de la commune d'Ondres du 31 octobre 2014 autorisant son maire à exercer le droit de préemption a eu pour conséquence de ne pas permettre la réalisation d'un immeuble collectif dont la construction a été autorisée par un arrêté du maire d'Ondres du 31 mai 2007 lui délivrant un permis de construire ;

- la décision de préemption du maire présente un caractère fautif car elle est diamétralement opposée aux accords pris avec la commune avant la délivrance du permis de construire à savoir affecter le bâtiment C comprenant 12 logements, à une opération d'accession sociale à la propriété devant être menée en partenariat avec la commune ;

- elle heurte aussi la chose jugée par la juridiction administrative ;

- la délibération du conseil municipal et la décision du maire sont également entachées d'un détournement de pouvoir ; en effet, alors que la délibération du 31 octobre 2014 est motivée par un projet d'extension de l'école élémentaire (4 classes) et de la mairie, rien n'a été construit sur le terrain préempté comme en fait foi un constat d'huissier ; le conseil municipal élu en mars 2014 a, en réalité, choisi de donner satisfaction à un voisin du terrain d'assiette, soutenu par le nouveau maire, qui avait contesté le permis de construire délivré ; l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme prévoit d'ailleurs que les biens acquis par exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés pour l'un des objets mentionnés au premier alinéa de l'article L. 210-1 du même code, qui peut certes être différent de celui mentionné dans la décision de préemption ;

- la responsabilité sans faute de la commune est également engagée car les conséquences de cette préemption, qui anéantit le permis de construire du 31 mai 2007, excèdent incontestablement les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter les vendeurs et les acquéreurs de terrains en zone urbaine ;

- son préjudice est spécial, grave et certain ;

- son préjudice s'élève à 980 170 euros ; il correspond au résultat économique attendu de cette opération de promotion immobilière qui portait sur 44 logements, 258 m² de surface commerciale et 100 parkings, pour un chiffre d'affaires global de 11 479 506 euros TTC ; ce préjudice présente un caractère certain dès lors que le permis de construire avait été validé par la juridiction administrative ;

- le lien de causalité entre la préemption et le préjudice est évident.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 janvier 2021, la commune d'Ondres, représentée par Me Lecarpentier, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société civile de construction vente Les Cèdres Bleus d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle fait valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Nicolas Normand,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- les observations de Me Cambriel, représentant la SCCV Les Cèdres Bleus,

- et les observations de Me Lecarpentier, représentant la commune d'Ondres.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 septembre 2005, une promesse synallagmatique de vente a été signée par la société à responsabilité limitée Finnimo, société holding dont la société Les Cèdres Bleus est une filiale, avec les propriétaires des parcelles cadastrées section AP nos 127p et AP 128p situées dans la commune d'Ondres. Par arrêté du 31 mai 2007, le maire d'Ondres a délivré à la société Les Cèdres Bleus un permis de construire pour l'édification sur ces parcelles d'un immeuble collectif comprenant des logements et des locaux commerciaux. Par délibération du 23 novembre 2011, le conseil communautaire de la communauté de communes du Seignanx à laquelle appartient la commune d'Ondres a institué un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par le plan local d'urbanisme. Le 23 septembre 2014, une déclaration d'intention d'aliéner des parcelles cadastrées section AP nos 127p et 128p a été adressée à la commune. Par délibération du 31 octobre 2014, le conseil municipal d'Ondres a autorisé son maire à exercer le droit de préemption urbain de la commune. Par décision du 19 novembre 2014, le maire d'Ondres a exercé le droit de préemption de cette commune sur les parcelles d'assiette du projet. La société Les Cèdres Bleus relève appel du jugement du tribunal administratif de Pau du 7 mai 2019 qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune d'Ondres à lui payer une somme de 980 170 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mise en œuvre d'une procédure de préemption.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune :

2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager leur responsabilité.

3. En premier lieu, dès lors qu'une décision de préemption et une décision délivrant un permis de construire n'ont pas le même objet et relèvent de législations différentes, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision prise par le maire de préempter les terrains d'assiette en cause en 2014 serait illégale en ce qu'elle méconnaîtrait la promesse faite en 2007 par l'ancien maire de la commune de lui délivrer un permis de construire en échange de son engagement de créer, dans un bâtiment à construire, 12 logements en accession sociale à la propriété.

4. En deuxième lieu, la décision par laquelle le maire a préempté les terrains d'assiette en cause ne méconnaît pas l'autorité de la chose jugée par la juridiction administrative dès lors que le jugement du tribunal administratif de Pau en date du 1er décembre 2009, devenu définitif à la suite du rejet de l'appel et du pourvoi formé à son encontre, qui a rejeté la demande tendant à l'annulation du permis de construire délivré à la société Les Cèdres Bleus, ne présente pas une identité de cause et d'objet avec la décision de préemption prise par le maire de la commune d'Ondres.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé ". (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, (...), de réaliser des équipements collectifs (...). ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.

6. Il résulte de l'instruction que la délibération du conseil municipal autorisant le maire de la commune d'Ondres à préempter les terrains que la société Finnimo souhaitait acquérir pour permettre à sa filiale, la société Les Cèdres Bleus, de réaliser la construction d'immeubles est motivée par le fait que " les parcelles objet de la vente se situent en continuité de parcelles communales, terrain d'assiette de l'actuelle école élémentaire (...) dans le cadre du projet d'extension de l'école élémentaire et de la Mairie, projet urbain d'intérêt général, pour lequel une mission de programmation a été confiée au cabinet Abasgram par délibération du conseil municipal en date du 19 décembre 2013, il est essentiel de pouvoir récupérer l'assiette foncière constituée par les parcelles AP 127p et AP 128p (...) [Cela] permettra de proposer un projet d'extension de l'école élémentaire des 12 classes actuelles à 16 classes en y associant des équipements de qualité tel qu'une aire multisport ouverte à l'école mais aussi aux jeunes de la commune en dehors des horaires scolaires. ". Ce motif est d'intérêt général en ce que ce projet d'extension d'un équipement collectif répond à l'un des objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. La réalité de ce projet est, pour sa part, démontrée tant par la nature de ce projet, mentionnée dans la décision de préemption, que par la mission de programmation précitée confiée au cabinet d'architecte Abasgram, et ce alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date. La circonstance qu'une extension de l'école ait été réalisée, 3 ans plus tard, non pas sur le terrain d'assiette préempté mais sur le terrain limitrophe sur lequel se situait déjà l'école ne suffit pas à caractériser un détournement de pouvoir qui entacherait, selon la société requérante, la délibération et la décision de préemption litigieuse, alors d'ailleurs que la politique d'aménagement foncier de son territoire menée par la commune en 2014 pouvait légalement la conduire à estimer que les terrains d'assiette pour lesquels un permis de construire avait été délivré en 2007 servent désormais à mener une opération d'intérêt général. Il n'est pas davantage établi que ces décisions en cause aient eu pour objectif de satisfaire les intérêts privés du voisin du terrain d'assiette qui avait attaqué le permis de construire délivré. Par suite, dès lors que la délibération du conseil municipal et la décision subséquente du maire ne sont pas entachées d'un détournement de pouvoir et ne présentent donc pas un caractère illégal, la requérante, qui n'avait d'ailleurs pas introduit de recours en excès de pouvoir contre les décisions en cause, n'est pas fondée à demander réparation du préjudice qu'elle allègue sur le terrain de la responsabilité pour faute.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune :

7. La responsabilité des personnes publiques peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques au cas où des mesures légalement prises ont pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un dommage anormal et spécial.

8. La société soutient que la commune d'Ondres, en exerçant le droit de préemption a été à l'origine d'un préjudice spécial et anormal dès lors qu'elle a subi une perte financière résultant de l'impossibilité d'acquérir les terrains d'assiette sur lesquelles elle envisageait de réaliser un programme immobilier. Toutefois, en exerçant son droit de préemption sur l'immeuble dont il s'agit, la collectivité publique n'a pas fait subir à la société requérante d'aléa ou de sujétions excédant ceux que doivent normalement supporter les vendeurs et les acquéreurs de terrains situés en zone urbaine où un droit de préemption a été institué. D'ailleurs, alors même qu'à la suite d'un avenant en date du 27 décembre 2007, la promesse de vente a été assortie d'une condition suspensive d'épuisement des voies de recours contre le permis de construire délivré, la société n'a jamais cherché à purger le risque d'une préemption en incitant le vendeur à adresser à la collectivité concernée une déclaration d'intention d'aliéner lorsque le droit de préemption a été institué sur ces terrains en 2011. Elle s'est ainsi exposée à une évolution de la politique d'aménagement du territoire de la commune et ne bénéficiait à ce titre d'aucune espérance légitime à la concrétisation de son projet. Le préjudice allégué ne saurait, dans ces conditions, ouvrir droit à réparation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Les Cèdres Bleus n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Ondres qui n'est pas la partie perdante quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la société Les Cèdres Bleus non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Les Cèdres Bleus une somme d'argent à verser à la commune d'Ondres en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société civile de construction vente Les Cèdres Bleus est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune d'Ondres présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile de construction vente Les Cèdres Bleus et à la commune d'Ondres.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Brigitte Phémolant, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2021.

Le rapporteur,

Nicolas Normand La présidente,

Brigitte Phémolant Le greffier,

Marie Marchives La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

6

N° 19BX04486


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04486
Date de la décision : 15/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.

Urbanisme et aménagement du territoire - Procédures d'intervention foncière - Préemption et réserves foncières - Droits de préemption.


Composition du Tribunal
Président : Mme PHEMOLANT
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SCP DEFOS DU RAU - CAMBRIEL - REMBLIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-15;19bx04486 ?
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