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24/03/2022 | FRANCE | N°19BX03281

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 24 mars 2022, 19BX03281


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home, d'une part, à reconstituer sa carrière avec le paiement des primes pour travail de nuit d'un montant d'au moins 6 635,07 euros, à parfaire, et de la somme de 10 202,70 euros correspondant à la prime de service non perçue pour les années 2011 et 2014 à 2017, d'autre part, à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice mor

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home, d'une part, à reconstituer sa carrière avec le paiement des primes pour travail de nuit d'un montant d'au moins 6 635,07 euros, à parfaire, et de la somme de 10 202,70 euros correspondant à la prime de service non perçue pour les années 2011 et 2014 à 2017, d'autre part, à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral subi sur la période 2013 à 2018, d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2018, d'enjoindre à l'EHPAD de saisir la commission de réforme afin qu'il soit statué sur son incapacité et, enfin, de requalifier sa mise à la retraite en retraite imputable au service en raison de sa maladie professionnelle et d'en déduire toutes les conséquences de droit.

Par un jugement n° 1800038 du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 juillet 2019, M. B..., représenté par

Me Chiche-Maizener, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 30 avril 2019 ;

2°) de condamner l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home à reconstituer sa carrière avec le paiement, d'une part, des primes pour travail de nuit d'un montant d'au moins 7 261 euros, à parfaire, et, d'autre part, de la somme de 10 202,70 euros correspondant à la prime de service non perçue pour les années 2011 et 2014 à 2017, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable le 7 mars 2018 ;

3°) de condamner l'EHPAD Béthany-Home à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral subi sur la période 2013 à 2018, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable le 7 mars 2018 ;

4°) de constater qu'il doit bénéficier d'une retraite pour invalidité et d'en déduire toutes les conséquences de droit ;

5°) de mettre à la charge de l'EHPAD Béthany-Home la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Il soutient que :

- l'établissement a commis une faute en modifiant ses horaires de travail, sans que cela soit justifié par l'intérêt du service ;

- en n'assurant pas la protection de sa santé psychologique, l'établissement est l'auteur de faits constitutifs d'un harcèlement moral et donc d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- les préjudices financier et moral subis résultent directement des deux fautes précédemment alléguées ;

- son préjudice financier est constitué par la perte de sa prime de nuit, pour un montant de 7 261 euros, du non-versement de sa prime de service au titre des années 2010 et 2014 à 2017, pour un montant de 10 202,70 euros ;

- son préjudice moral lié aux troubles d'anxiété générés par ces fautes a perduré de 2013 à 2018 ;

- il est en droit de bénéficier d'une pension de retraite pour invalidité avec versement d'une rente viagère d'invalidité.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er mars 2021, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home, représenté par le cabinet GZB (selarl), conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé ;

- sa demande de première instance était au demeurant irrecevable en raison d'une part, de la tardiveté de ses conclusions indemnitaires fondées sur une décision devenue définitive faute d'avoir été contestée dans un délai raisonnable et, d'autre part, de l'absence de liaison du contentieux pour ses conclusions tendant à la requalification de sa mise à la retraite ou du fait que le juge ne peut pas être saisi de conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,

- et les observations de Me Stinco se substituant à Me Chiche-Maizener, représentant M. B... et de Me Bocquet, représentant l'EHPAD Béthany-Home.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., aide-soignant, a été muté à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home à Saint-Martin le 1er janvier 2008. Après avoir exercé ses fonctions dans le service de nuit, il a été affecté, à compter du 1er avril 2013, sur décision de la directrice par intérim de l'établissement du 11 février 2013, sur des horaires de jour. Il a ensuite été placé en congé de longue maladie à compter du 10 février 2014 pour une durée de trois années, puis en congé de longue durée à compter du 10 février 2017. Atteint par la limite d'âge, il a été radié des cadres et placé en retraite à compter du 2 février 2018.

Le 27 février suivant, il a adressé à l'EHPAD une demande indemnitaire en vue d'obtenir réparation des préjudices financiers et moral qu'il estime avoir subis. Par jugement

du 30 avril 2019 dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Sur les conclusions tendant à ce que la cour " constate que M. B... doit bénéficier d'une retraite pour invalidité et en déduise les conséquences de droit " :

2. M. B... demande à la cour de constater qu'il doit bénéficier d'une retraite pour invalidité et d'en déduire les conséquences de droit. De telles conclusions constituent des conclusions en déclaration de droit qu'il n'appartient pas au juge administratif d'accueillir en dehors des cas prévus par un texte.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne le changement des horaires de travail :

3. En application de l'article L. 315-17 du code de l'action sociale et des familles, le directeur de l'établissement social ou médico-social nomme le personnel et exerce son autorité sur l'ensemble de celui-ci. Aux termes de l'article R. 315-25 de ce code : " (...) le directeur a la responsabilité de la marche générale de l'établissement. Il est chargé de l'animation technique, de l'administration et de la gestion de l'établissement. (...) ".

4. M. B... soutient que la décision par laquelle il a été affecté en service de jour était entachée d'illégalité fautive dès lors qu'elle a été prise unilatéralement, qu'elle n'était pas justifiée par l'intérêt du service et que le changement d'horaires était constitutif d'un danger pour sa santé.

5. Il résulte de l'instruction que, par décision du 11 février 2013, la directrice de l'EHPAD a affecté M. B... à un poste de jour à compter du 1er avril 2013, pour un motif tiré de la sécurité des résidents. Se fondant sur la trop grande liberté prise par l'intéressé par rapport à ses obligations professionnelles, elle a estimé que l'habitude de ce dernier d'éteindre toutes les lumières afin de pouvoir dormir lorsqu'il était en service de nuit occasionnait un risque pour la sécurité, rendant vaine la surveillance par le système de caméras. M. B... ne conteste pas la pratique qui lui est reprochée. La décision de changement d'affectation, certes prise en considération de la personne, est dès lors justifiée par l'intérêt du service, le comportement de

M. B..., qui se trouve dans une situation légale et réglementaire et ne relève pas du droit du travail, étant nuisible au bon fonctionnement du service de nuit. La circonstance que les agents ayant assuré par la suite le service de nuit ne seraient pas qualifiés pour ce faire, à la supposer établie, n'est pas de nature à remettre en cause le motif fondant le changement d'affectation de M. B....

6. M. B... soutient qu'en édictant une telle décision sans tenir compte de son état de santé, l'EHPAD a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Il produit des certificats médicaux de son médecin traitant, ainsi que des avis émis les 18 juillet et 16 août 2012 à l'occasion de visites de reprise à la suite d'un congé de maladie dans lesquels le médecin du travail estime que M. B... était apte à reprendre son poste de nuit, mais inapte pour un poste de jour. Toutefois, ces avis médicaux, qui ne s'imposaient pas à l'autorité administrative avant de procéder à un changement d'affectation, sont peu circonstanciés sur les raisons pour lesquelles un passage en horaire de jour aurait des conséquences négatives sur l'état de santé de M. B.... Par suite, en procédant au changement d'affectation de M. B... par la décision

du 11 février 2013, dont l'illégalité peut être invoquée par la voie de l'exception alors même que faute d'avoir été contestée par voie d'action elle est devenue définitive, l'EHPAD n'a pas commis d'illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne l'existence d'un harcèlement moral :

7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. ".

8. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

9. Pour soutenir qu'il a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral,

M. B... allègue que son accident du travail du 10 avril 2011 lui ayant occasionné une épicondylite n'a pas été pris en compte, qu'il a subi des propos vexatoires tenant à sa voix trop grave et un changement d'horaires contre son avis et ayant pour conséquence la privation de sa prime de nuit, qu'il lui a été reproché des manquements professionnels sans mise en place d'une procédure disciplinaire, que ses souhaits d'évolution professionnelle n'ont pas été pris en compte et qu'on l'a radié des cadres et mis à la retraite pour limite d'âge sans lui permettre de demander une retraite pour invalidité. Toutefois et d'une part, l'absence de prise en compte de son accident du travail, les propos vexatoires et les reproches de faits fautifs sans lui permettre de bénéficier de la procédure disciplinaire ne sont pas établis par les pièces produites. D'autre part, le changement de ses horaires est, ainsi qu'il a été dit au point 5, justifié par l'intérêt du service. Enfin, l'absence de réponses à ses courriers ou sa mise à la retraite pour limite d'âge ne suffisent pas à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. Dans ces conditions, ainsi que l'ont à juste titre considéré les premiers juges, aucun des éléments de fait produits par M. B... n'apparaît susceptible de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral au sens des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'EHPAD n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité vis-à-vis de M. B.... Dès lors, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les conclusions de la demande à fin d'injonction :

11. En dehors des cas expressément prévus par des dispositions législatives particulières, inapplicables en l'espèce, du code de justice administrative, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Les conclusions présentées par M. B... devant les premiers juges, et tendant à ce que sa mise à la retraite soit requalifiée en retraite imputable au service en raison de sa maladie professionnelle n'entrent pas notamment dans les prévisions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, dès lors qu'elles sont présentées à titre principal. Dès lors, elles étaient irrecevables.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Saint-Martin a rejeté l'ensemble de ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Les conclusions de M. B... tendant au paiement des dépens du procès, lequel n'en comporte au demeurant aucun, ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Béthany-Home la somme de 1 500 euros en application des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Béthany-Home.

Délibéré après l'audience du 28 février 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19BX03281


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX03281
Date de la décision : 24/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: M. BASSET
Avocat(s) : CHICHE MAIZENER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-03-24;19bx03281 ?
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